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LA PHILOSOPHIE DANS LE BOUDOIR - il portale di "rodoni.ch"

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Cinquième Dialogue<br />

quelque chose ; rien n'est égoïste comme la nature ; soyons-le donc aussi, si<br />

nous voulons accomplir ses lois. Quant à la reconnaissance, Eugénie, c'est le<br />

plus faible de tous les liens sans doute. Est-ce donc pour nous que les<br />

hommes nous obligent ? N'en croyons rien, ma chère ; c'est par ostentation,<br />

par orgue<strong>il</strong>. N'est-<strong>il</strong> donc pas hum<strong>il</strong>iant dès lors de devenir ainsi le jouet de<br />

l'amour-propre des autres ? Ne l'est-<strong>il</strong> pas encore davantage d'être obligé ?<br />

Rien de plus à charge qu'un bienfait reçu. Point de m<strong>il</strong>ieu : <strong>il</strong> faut le rendre ou<br />

en être av<strong>il</strong>i. Les âmes fières se font mal au poids du bienfait : <strong>il</strong> pèse sur elles<br />

avec tant de violence que le seul sentiment qu'elles exhalent est de la haine<br />

pour le bienfaiteur. Quels sont donc maintenant, à votre avis, les liens qui<br />

suppléent à l'isolement où nous a créés la nature ? Quels sont ceux qui<br />

doivent établir des rapports entre les hommes ? A quels titres les aimeronsnous,<br />

les chérirons-nous, les préférerons-nous à nous-mêmes ? De quel droit<br />

soulagerons-nous leur infortune ? Où sera maintenant dans nos âmes le<br />

berceau de vos belles et inut<strong>il</strong>es vertus de bienfaisance, d'humanité, de<br />

charité, in<strong>di</strong>quées dans le code absurde de quelques religions imbéc<strong>il</strong>es, qui,<br />

prêchées par des imposteurs ou par des men<strong>di</strong>ants, durent nécessairement<br />

conse<strong>il</strong>ler ce qui pouvait les soutenir ou les tolérer ? Eh bien, Eugénie,<br />

admettez-vous encore quelque chose de sacré parmi les hommes ? Concevezvous<br />

quelques raisons de ne pas toujours nous préférer à eux ?<br />

Eugénie : Ces leçons, que mon cœur devance, me flattent trop pour que mon<br />

esprit les récuse.<br />

Mme de Saint-Ange : Elles sont dans la nature, Eugénie : la seule<br />

approbation que tu leur donnes le prouve ; à peine éclose de son sein,<br />

comment ce que tu sens pourrait-<strong>il</strong> être le fruit de la corruption ?<br />

Eugénie : Mais si toutes les erreurs que vous préconisez sont dans la nature,<br />

pourquoi les lois s'y opposent-elles ?<br />

Dolmancé : Parce que les lois ne sont pas faites pour le particulier, mais<br />

pour le général, ce qui les met dans une perpétuelle contra<strong>di</strong>ction avec<br />

l'intérêt, attendu que l'intérêt personnel l'est toujours avec l'intérêt général.<br />

Mais les lois, bonnes pour la société, sont très mauvaises pour l'in<strong>di</strong>vidu qui<br />

la compose ; car, pour une fois qu'elles le protègent ou le garantissent, elles<br />

le gênent et le captivent les trois quarts de sa vie ; aussi l'homme sage et plein<br />

de mépris pour elles les tolère-t-<strong>il</strong>, comme <strong>il</strong> fait des serpents et des vipères,<br />

qui, bien qu'<strong>il</strong>s blessent ou qu'<strong>il</strong>s empoisonnent, servent pourtant quelquefois<br />

dans la médecine ; <strong>il</strong> se garantira des lois comme <strong>il</strong> fera de ces bêtes<br />

venimeuses ; <strong>il</strong> s'en mettra à l'abri par des précautions, par des mystères,<br />

toutes choses fac<strong>il</strong>es à la sagesse et à la prudence. Que la fantaisie de<br />

quelques crimes vienne enflammer votre âme, Eugénie, et soyez bien certaine<br />

de les commettre en paix, entre votre amie et moi.<br />

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