LA PHILOSOPHIE DANS LE BOUDOIR - il portale di "rodoni.ch"
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Troisième Dialogue<br />
Eugénie : Ah ! tu es délicieuse ! Allons, continue de m'instruire. Presse-toi<br />
donc en ce cas de m'apprendre quelle doit être la conduite d'une femme dans<br />
le mariage.<br />
Mme de Saint-Ange : Dans quelque état que se trouve une femme, ma<br />
chère, soit f<strong>il</strong>le, soit femme, soit veuve, elle ne doit jamais avoir d'autre but,<br />
d'autre occupation, d'autre désir que de se faire foutre du matin au soir : c'est<br />
pour cette unique fin que l'a créée la nature ; mais si, pour remplir cette<br />
intention, j'exige d'elle de fouler aux pieds tous les préjugés de son enfance, si<br />
je lui prescris la désobéissance la plus formelle aux ordres de sa fam<strong>il</strong>le, le<br />
mépris le plus constaté de tous les conse<strong>il</strong>s de ses parents, tu conviendras,<br />
Eugénie, que, de tous les freins à rompre, celui dont je lui conse<strong>il</strong>lerai le plus<br />
tôt l'anéantissement sera bien sûrement celui du mariage.<br />
Considère en effet, Eugénie, une jeune f<strong>il</strong>le à peine sortie de la maison<br />
paternelle ou de sa pension, ne connaissant rien, n'ayant nulle expérience,<br />
obligée de passer subitement de là dans les bras d'un homme qu'elle n'a jamais<br />
vu, obligée de jurer à cet homme, aux pieds des autels, une obéissance, une<br />
fidélité d'autant plus injuste qu'elle n'a souvent au fond de son cœur que le<br />
plus grand désir de lui manquer de parole. Est-<strong>il</strong> au monde, Eugénie, un sort<br />
plus affreux que celui-là ? Cependant la vo<strong>il</strong>à liée, que son mari lui plaise ou<br />
non, qu'<strong>il</strong> ait ou non pour elle de la tendresse ou des mauvais procédés ; son<br />
honneur tient à ses serments : <strong>il</strong> est flétri si elle les enfreint ; <strong>il</strong> faut qu'elle se<br />
perde ou qu'elle traîne le joug, dût-elle en mourir de douleur. Eh ! non,<br />
Eugénie, non, ce n'est point pour cette fin que nous sommes nées ; ces lois<br />
absurdes sont l'ouvrage des hommes, et nous ne devons pas nous y<br />
soumettre. Le <strong>di</strong>vorce même est-<strong>il</strong> capable de nous satisfaire ? Non, sans<br />
doute. Qui nous répond de trouver plus sûrement dans de seconds liens le<br />
bonheur qui nous a fuies dans les premiers ? Dédommageons-nous donc en<br />
secret de toute la contrainte de nœuds si absurdes, bien certaines que nos<br />
désordres en ce genre, à quelques excès que nous puissions les porter, loin<br />
d'outrager la nature, ne sont qu'un hommage sincère que nous lui rendons ;<br />
c'est obéir à ses lois que de céder aux désirs qu'elle seule a placés dans nous ;<br />
ce n'est qu'en lui résistant que nous l'outragerions. L'adultère que les hommes<br />
regardent comme un crime, qu'<strong>il</strong>s ont osé punir comme tel en nous arrachant<br />
la vie, l'adultère, Eugénie, n'est donc que l'acquit d'un droit à la nature,<br />
auquel les fantaisies de ces tyrans ne sauraient jamais nous soustraire. Mais<br />
n'est-<strong>il</strong> pas horrible, <strong>di</strong>sent nos époux, de nous exposer à chérir comme nos<br />
enfants, à embrasser comme tels, les fruits de vos désordres ? C'est<br />
l'objection de Rousseau ; c'est, j'en conviens, la seule un peu spécieuse dont<br />
on puisse combattre l'adultère. Eh ! n'est-<strong>il</strong> pas extrêmement aisé de se livrer<br />
au libertinage sans redouter la grossesse ? N'est-<strong>il</strong> pas encore plus fac<strong>il</strong>e de la<br />
détruire, si par imprudence elle a lieu ? Mais, comme nous reviendrons sur<br />
cet objet, ne traitons maintenant que le fond de la question : nous verrons<br />
que l'argument, tout spécieux qu'<strong>il</strong> paraît d'abord, n'est cependant que<br />
chimérique.<br />
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