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LA PHILOSOPHIE DANS LE BOUDOIR - il portale di "rodoni.ch"

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Troisième Dialogue<br />

jamais de complices, ou s'en défaire dès qu'<strong>il</strong>s nous ont servi. Ce n'est pas<br />

tout : la feinte est in<strong>di</strong>spensable, Eugénie, aux projets que tu formes.<br />

Rapproche-toi plus que jamais de ta victime avant que de l'immoler ; aie l'air<br />

de la plaindre ou de la consoler ; cajole-la, partage ses peines, jure-lui que tu<br />

l'adores ; fais plus encore, persuade-le-lui : la fausseté, dans de tels cas, ne<br />

saurait être portée trop loin. Néron caressait Agrippine sur la barque même<br />

qui devait l'engloutir : imite cet exemple, use de toute la fourberie, de toutes<br />

les impostures que pourra te suggérer ton esprit. Si le mensonge est toujours<br />

nécessaire aux femmes, c'est surtout lorsqu'elles veulent tromper qu'<strong>il</strong> leur<br />

devient plus in<strong>di</strong>spensable.<br />

Eugénie : Ces leçons seront retenues et mises en action sans doute ; mais<br />

approfon<strong>di</strong>ssons, je vous prie, cette fausseté que vous conse<strong>il</strong>lez aux femmes<br />

de mettre en usage ; croyez-vous donc cette manière d'être absolument<br />

essentielle dans le monde ?<br />

Dolmancé : Je n'en connais pas, sans doute, de plus nécessaire dans la vie ;<br />

une vérité certaine va vous en prouver l'in<strong>di</strong>spensab<strong>il</strong>ité : tout le monde<br />

l'emploie ; je vous demande, d'après cela, comment un in<strong>di</strong>vidu sincère<br />

n'échouera pas toujours au m<strong>il</strong>ieu d'une société de gens faux ! Or s'<strong>il</strong> est vrai,<br />

comme on le prétend, que les vertus soient de quelque ut<strong>il</strong>ité dans la vie<br />

civ<strong>il</strong>e, comment voulez-vous que celui qui n'a ni la volonté, ni le pouvoir, ni<br />

le don d'aucune vertu, ce qui arrive à beaucoup de gens, comment voulezvous,<br />

<strong>di</strong>s-je, qu'un tel être ne soit pas essentiellement obligé de feindre pour<br />

obtenir à son tour un peu de la portion de bonheur que ses concurrents lui<br />

ravissent ? Et, dans le fait, est-ce bien sûrement la vertu, ou son apparence,<br />

qui devient réellement nécessaire à l'homme social ? Ne doutons pas que<br />

l'apparence seule lui suffise : <strong>il</strong> a tout ce qu'<strong>il</strong> faut en la possédant. Dès qu'on<br />

ne fait qu'effleurer les hommes dans le monde, ne leur suffit-<strong>il</strong> pas de nous<br />

montrer l'écorce ? Persuadons-nous bien, au surplus, que la pratique des<br />

vertus n'est guère ut<strong>il</strong>e qu'à celui qui la possède : les autres en retirent si peu<br />

que, pourvu que celui qui doit vivre avec nous paraisse vertueux, <strong>il</strong> devient<br />

parfaitement égal qu'<strong>il</strong> le soit en effet ou non. La fausseté, d'a<strong>il</strong>leurs, est<br />

presque toujours un moyen assuré de réussir ; celui qui la possède acquiert<br />

nécessairement une sorte de priorité sur celui qui commerce ou qui<br />

correspond avec lui : en l'éblouissant par de faux dehors, <strong>il</strong> le persuade ; de<br />

ce moment <strong>il</strong> réussit. M'aperçois-je que l'on m'a trompé, je ne m'en prends<br />

qu'à moi, et mon suborneur a d'autant plus beau jeu encore que je ne me<br />

plaindrai pas par orgue<strong>il</strong> ; son ascendant sur moi sera toujours prononcé ; <strong>il</strong><br />

aura raison quand j'aurai tort ; <strong>il</strong> s'avancera quand je ne serai rien, <strong>il</strong><br />

s'enrichira quand je me ruinerai ; toujours enfin au-dessus de moi, <strong>il</strong> captivera<br />

bientôt l'opinion publique ; une fois là, j'aurai beau l'inculper, on ne<br />

m'écoutera seulement pas. Livrons-nous donc har<strong>di</strong>ment et sans cesse à la<br />

plus insigne fausseté ; regardons-la comme la clé de toutes les grâces, de<br />

toutes les faveurs, de toutes les réputations, de toutes les richesses, et<br />

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