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TRIBUNE<br />
Woman of Mystery<br />
Il est des matins, lorsque la veille n’a pas été trop<br />
chargée en boisson, où tu me donnes l’opportunité<br />
de m’émerveiller. Un adage dit que les yeux sont<br />
le reflet de l’âme, il y a manifestement affaire chez toi<br />
à quelque chose de différent. Tu es déjà venue, c’est<br />
certain. Une vie ne suffit pas à charger ainsi un regard.<br />
Elles n’ont que de simples piscines dont on fait le tour<br />
en deux brasses, l’eau est froide. Va savoir pourquoi<br />
tu as la responsabilité de contenir un océan dans lequel<br />
j’aimerais plonger. Je ne veux pas connaître ton<br />
histoire, ce sont ses mensonges qui m’intéressent, et<br />
ce poids. Il alourdit tes cernes. Tu fuis.<br />
Inutile de demander si tu as déjà vu la pluie, elle s’est<br />
arrêtée au pas de ta porte, et l’œil du cyclone jalouse<br />
les situations de détresse dans lesquelles tu t’es trouvée.<br />
Comme toujours, lorsque tu me pétrifies, je tente<br />
le reste de la matinée de déchiffrer les deux livres dont<br />
tu ne m’offres que la préface. Ils sont écrits dans cette<br />
langue à laquelle je comprends quelques mots.<br />
On m’a dit ce à quoi ressemblait chez toi ce qui préoccupe<br />
d’habitude un garçon de 22 ans. Tu ne me laisses<br />
pas le temps d’avoir envie de regarder, ce serait faire<br />
honte à ce cadeau empoisonné qui te distingue. Ils<br />
vont vite, personne n’a une minute pour t’entendre.<br />
Je me répute un des élus écorchés qui y parvient d’une<br />
manière aphone, interprétant ce panorama bleu et<br />
trop souvent rouge que tu offres malgré toi, qui donne<br />
une touche de couleur à ce visage méfiant et ravissant.<br />
Impossible de dissimuler l’espoir qu’un jour, un début<br />
de conversation futile et diplomatique s’amorce<br />
autour d’une de ces cigarettes que l’on consomme à<br />
outrance, faisant paradoxalement disparaître un instant<br />
le crabe qui s’accroche à nos cœurs. Si c’est le cas,<br />
inquiètes-toi. Je n’ai pas perdu l’art d’écouter.<br />
EVAN<br />
LUMIGNON<br />
Feuilleton : « Barbara »<br />
Qui l’eut cru ? Barbara,<br />
sans le savoir, faisait<br />
face à un énergumène<br />
avec les yeux d’un minotaure,<br />
un horrible animal<br />
perdu dans son propre labyrinthe.<br />
Mais sans des lunettes<br />
de vue, un taureau peut rapidement<br />
se transformer en<br />
un prince très charmant. Et Barbara, comme on s’y<br />
attendait, devint une des nombreuses victimes de la<br />
malicieuse illusion. Malgré tout cela, les regards se<br />
soutinrent durant une interminable minute, jusqu’à<br />
ce que le minotaure prenne la parole. Ce dernier remarqua<br />
la cruauté implacable d’un visage terrassé par<br />
la hideur. Et pourtant, il fut subjugué par ce même<br />
visage.<br />
« Je m’appelle Drilon. » commença-t-il sur un ton<br />
mielleux. Barbara préférait la voix au visage. Elle pensait<br />
toujours que le charme s’exprimait par le biais<br />
de la mélodie, et que le corps n’était qu’un emprunt<br />
qu’on rendrait à la Grande Faucheuse, celle qui chante<br />
la pire des berceuses. Pour Barbara, l’apparent beau<br />
visage de Drilon passa au second plan. Mais du point<br />
de vue des statues grecques, il ressemblait plutôt à de<br />
la putride fioriture.<br />
Ainsi allait s’entamer cette interaction, sur les futilités<br />
d’un romantisme mort au 18ème siècle. Barbara répondit<br />
« Et moi c’est Barbara. » avec une timidité telle<br />
que les pigeons picorant au loin furent mal à l’aise.<br />
« On dirait que tu as perdu tes lunettes. Tu louches<br />
beaucoup. » remarqua Drilon le Minotaure. La dulcinée<br />
fut touchée par ce compliment si véritable. Elle<br />
décida d’enchérir avec une autodérision que seuls les<br />
niais comprendraient : « Loucher, c’est ce qui me rend<br />
belle. » Quant au béotien adepte des répliques narcissiques,<br />
il surenchérit par pure générosité : « Et moi je<br />
suis beau tout court, mais le vois-tu Barbara ? ». Drilon<br />
avait l’air très sûr de lui. Ce que Barbara ne voyait<br />
pas, c’était la bouteille de whisky cachée dans la main<br />
droite et moite de ce sexagénaire alcoolique. Il semblait<br />
que le grand romantique nombriliste avait des<br />
choses à cacher, mais lesquelles ?<br />
Dans quelle situation l’indigente Barbara s’est-elle<br />
engouffrée ? Seul le prochain auteur le saura, et vous<br />
bien entendu…<br />
En attendant la suite, retrouve l’intégralité<br />
du feuilleton sur notre site<br />
web<br />
www.unifr.ch/spectrum<br />
DRILON<br />
MEMETI<br />
Prenez la parole et envoyez vos productions à : redaction@spectrum-unifr.ch<br />
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3/<strong>2017</strong>