SPECTRUM #3/2017

PORTRAIT
Daniel de Roulet, l’alliance de la plume et de la
science
Architecte puis informaticien, pour ensuite retourner à son amour premier, la littérature. Rencontre
avec un homme qui n’a pas hésité à réécrire son histoire à de multiples reprises. ANDRÉA SAVOY
Né à Genève en 1944, Daniel de Roulet
se souvient de la guerre encore
bien présente dans l’esprit et la vie
des gens, alors qu’il n’était qu’adolescent.
Son père, pasteur et passionné d'écriture
et de lecture, c’est tout naturellement
que Daniel se tourne vers le journalisme
quand on lui propose d’intégrer une école
à Paris. De retour en Suisse, il se fait engager
par la Tribune de Genève en tant
que critique cinématographique. Puis, un
beau jour, le changement.
Le tournant vers l’architecture
Alors qu’il sort d’une semaine de conférences
et de séminaires organisés par
l’Union des étudiants de France à Genève,
Daniel de Roulet en est certain, il doit
tourner le dos au monde de l’écriture et
passer à la « vraie vie ». Il se lance donc
dans une nouvelle voie qui le conduira à
Lausanne puis au Tessin : l’architecture.
Le temps s’écoule et les années 70 arrivent,
avec leurs mouvements sociaux et
leurs protestations syndicales anti-autonomisation.
Les architectes se revendiquent artistes,
réfutant la possibilité de se faire un jour
remplacer par une machine et refusant de
se laisser aller à l’utilisation d’ordinateurs.
Mais la troisième révolution industrielle
est en route, et Daniel de Roulet n’hésite
pas à prendre le taureau par les cornes en
acceptant un poste qu’on lui propose un
peu par hasard dans l’informatique. S’ensuivent
vingt ans dans ce domaine, qu’une
« crise de la quarante-cinq-aine », dit-il,
viendra clore.
Le retour aux sources
Après des dizaines d’années à tourner le
dos à la littérature, Daniel de Roulet se
demande s’il ne devrait pas revenir à sa
passion première. Mais le visage de cette
dernière n’est plus le même : alors que
Flaubert et Zola lisaient des ouvrages
scientifiques pour essayer de comprendre
le monde, les auteurs du 20ème refusent
de s’intéresser aux nouvelles technologies
qui font maintenant partie de ce dernier.
Quitte à laisser la littérature se faire éjecter.
Dès lors, refusant d’avoir à choisir entre
science et littérature, de Roulet se fait
maître dans l’art d’allier les deux et publie
« Virtuellement vôtre » et « La ligne
bleue », avec pour thème central le nucléaire.
Il admet, plein d’autodérision :
« lorsque la maison d’édition ayant publié
ce second roman m’a contacté pour avoir
la suite, je n’avais pas du tout d’idée ». Il
reprendra donc les mêmes personnages
pour ce qui se transformera au final en un
cycle de neuf romans, baptisé « La simulation
humaine ».
Le pari du numérique
Alors qu’il pensait réussir à rapprocher la
science et la littérature, Daniel de Roulet
se rend compte que la première ne s’intéresse
pas à la seconde, et qu’il ne connait
pas les effets que la science pourrait avoir
sur la littérature. Il n’en fallait pas plus
pour qu’il décide de miser sur une alliance
entre la technologie et le monde de l’écriture,
au risque de « brûler ses romans au
feu du numérique ». Grâce à son éditrice
et à l’EPFL, il se lance dans un projet ambitieux
ayant pour but de comprendre la
manière de lire d’aujourd’hui : « La simulation
humaine ». À partir d’une application
smartphone, qui propose de lire gratuitement
le cycle de romans de Daniel
de Roulet mentionné précédemment, de
précieuses informations peuvent être récoltées
quant au comportement du lecteur
(quelles pages a-t-il sautées, quand est-ce
qu’il a fait une pause dans sa lecture, etc.).
Désormais, l’auteur a donc l’opportunité
d’avoir un feedback sur son texte.
Reste à savoir si cette révolution aura une
influence majeure sur le monde de la littérature.
N’était-ce pas Nietzche lui-même
qui disait que sa machine à écrire avait
changé sa manière, justement, d’écrire ?
1944 : Naissance à Genève
1990 : Début du travail d’écriture de
« La simulation humaine »
1993 : Publication du premier roman
du cycle
2012 : Début de la collaboration avec
l’EPFL
2014 : « Le démantèlement du cœur »,
dernier roman de la saga, est publié
« La simulation humaine » raconte en 297
chapitres le destin de deux familles, l’une
au Japon, l’autre en Europe, de 1938 à
2013 et d’Hiroshima à Fukushima. Ce roman-fleuve
est disponible gratuitement sur
l’application smartphone du même nom.
© Photo : Wikimédia commons
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