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Par Clément Balta<br />
47 ANS, NÉE LE 18 MAI 1970 À<br />
BUENOS AIRES (ARGENTINE).<br />
PALMARÈS : 27 TITRES, 1 US OPEN<br />
(1990), 1 MÉDAILLE D’ARGENT<br />
AUX JEUX DE SÉOUL (1988).<br />
MEILLEUR CLASSEMENT :<br />
N°3 MONDIALE (1989).<br />
Meadows, tu l’avais terrassée par un jeu<br />
d’attaque flamboyant. Le déclic avait eu<br />
lieu au tour précédent contre Marie-Joe<br />
Fernandez. À un set partout, tu décidas de<br />
prendre le filet d’assaut, laissant dans les<br />
mémoires un plongeon digne de Becker.<br />
L’offensive aura pourtant fait long feu.<br />
Ta plastique d’amazone était contredite<br />
par ta fine élégance : le signe déjà visible<br />
de cette ambivalence semblant te caractériser.<br />
Tu plaisais autant aux hommes<br />
qu’aux femmes : on aimait la virilité de<br />
ton jeu et ce revers de bombe latine,<br />
mieux que Vilas ; on goûtait ta discrétion<br />
et ce coup droit flottant que n’aurait pas<br />
renié Edberg. Une ambivalence inscrite<br />
jusque dans tes gènes, toi qui souffrais<br />
du syndrome de thalassémie, une anémie<br />
héréditaire que Sampras eut aussi à combattre.<br />
« Il m’est arrivé de dormir jusqu’à 16<br />
heures d’affilée », as-tu révélé.<br />
Gaby oh Gaby. Ta carrière fut à ton image,<br />
tout en ombre et lumière. Vingt-sept titres<br />
glanés, mais un seul en Grand Chelem, on<br />
l’a dit, malgré 18 demi-finales. Pour 15<br />
échecs. Étais-tu encore victime de cette timidité<br />
maladive pour être ainsi condamnée<br />
au meilleur second rôle, toi qui<br />
confias qu’il t’arrivait plus jeune de perdre<br />
des demi-finales par crainte de prononcer<br />
un discours en cas d’ultime victoire ? Un<br />
match – une demie, forcément – fut plus<br />
douloureux que les autres. Encore contre<br />
M.-J. Fernandez, menée 6/1, 5-1 en<br />
quarts à Roland-Garros en 1993. Et pourtant,<br />
malgré 5 balles de match, tu perdis.<br />
Comme rattrapée par un mal étrange,<br />
une forme pernicieuse d’autodestruction<br />
au moment décisif. « J’étais triste et frustrée.<br />
C’était dur d’oublier ce qui s’était passé,<br />
cela faisait désormais partie de moi, c’était<br />
en moi. » Deux ans plus tard, bis repetita.<br />
Contre Kimiko Date. Là aussi, tu menas<br />
6/1, 5-1. Là aussi, tu t’inclinas. « Peu après<br />
j’ai décidé d’arrêter ma carrière. Une fois<br />
prise, la décision n’a pas été difficile à vivre.<br />
Ce qui était dur, c’était de faire comprendre<br />
aux gens que c’était ce qui me rendait heureuse.<br />
Je ne voulais plus être sur le court. »<br />
Perseverare diabolicum.<br />
Alors que reste-t-il, Gaby oh Gaby ? Un<br />
goût d’inachèvement mêlé au sentiment<br />
que la vraie vie est ailleurs. Avec toi c’était<br />
le court des miracles ou le jardin secret,<br />
les raisons de ta fragilité enfouies. Une<br />
bête semblait sommeiller derrière la belle,<br />
tapie dans la pénombre. « La peur est toujours<br />
là, il faut la manipuler avec soin. Le<br />
problème est de se confronter avec ce que<br />
vous ne voulez pas affronter. » Tu sais gré au<br />
tennis de t’avoir donné « autant de satisfactions,<br />
la possibilité de voyager et [te] faire<br />
des amis. D’apprendre des choses sur [toi]<br />
en dépassant les obstacles. » Et le tennis te<br />
sait gré d’avoir été une marque à double<br />
titre : pas seulement en marketing sportif,<br />
mais pérenne, empreinte posée dans<br />
le temple du jeu. « Qui a jeté un regard<br />
derrière le filet et vu l’athlète qu’était Gaby,<br />
sa présence vivante sur le court, la façon<br />
qu’elle avait d’électrifier le jeu, sait que son<br />
nom appartient à l’élite du tennis, qu’il est<br />
un riche et durable héritage pour les générations<br />
à venir », a dit Steffi Graf lors de<br />
ton introduction au Hall of Fame. Graf,<br />
l’implacable et orgueilleuse championne.<br />
« En dehors du tennis, j’aimerais que les gens<br />
pensent de moi que je suis une bonne amie et<br />
une bonne personne. » On se souvient alors<br />
que tu fus la seule à t’abstenir quand il s’est<br />
agi de voter contre le maintien de Monica<br />
Seles au rang de n°1 mondiale après son<br />
agression en Allemagne, en 1993. Seles,<br />
contre qui tu fis un des trois seuls matches<br />
en 5 sets de toute l’histoire du tennis féminin,<br />
3 h 47 au bout de l’effort, en finale<br />
du Masters 1990. « Elle a d’abord pensé en<br />
être humain avant de songer au business et<br />
au classement. Ça montre à quel point elle a<br />
un caractère exceptionnel », a salué la Yougoslave<br />
(à l’époque), contre qui tu perdis<br />
aussi cette demi-finale à Roland-Garros<br />
en 1992 qui t’aurait permis de faire un<br />
grand pas vers la place de n°1 mondiale.<br />
Gaby oh Gaby. Coiffure impeccable, tailleur<br />
strict de femme d’affaires et sourire<br />
carnassier, affable et distante à la fois, te<br />
voilà aujourd’hui. Il y a deux ans, tu es<br />
partie t’installer en Suisse, dans le même<br />
canton que Federer et Hingis, on se<br />
doute que ce n’est pas que pour le clin<br />
d’œil tennistique. Au fond tu es une<br />
femme d’argent. De métal également,<br />
celui rapporté des JO de Séoul, en 1988.<br />
Une piba de plata au pays du pibe de oro.<br />
L’argent au cœur de l’Argentine, la couleur<br />
mate d’une perdante magnifique,<br />
intercalée entre les générations dorées<br />
Evert/Navratilova et Graf/Seles. Forte<br />
et fragile, introvertie et charismatique,<br />
ni tout à fait la même ni tout à fait une<br />
autre. À jamais Gaby oh Gaby, le refrain<br />
d’un tennis romantique.<br />
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TENNIS MAGAZINE 97