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L'Essentiel du Sup - édition spéciale Semaine du Management

Quels sont les 10 Grands défis de l'Enseignement en gestion ? C'est la question que pose ce numéro spécial de l'Essentiel du Sup en partenariat avec la FNEGE pour la Semaine du Management 2018. Vous n'étiez pas présent lors de cet événement ? Alors lisez ce numéro !

Quels sont les 10 Grands défis de l'Enseignement en gestion ? C'est la question que pose ce numéro spécial de l'Essentiel du Sup en partenariat avec la FNEGE pour la Semaine du Management 2018.
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ENTRETIEN<br />

« Les grandes entreprises ont tendance à racheter<br />

des start-up pour pro<strong>du</strong>ire de l’innovation »<br />

© DR<br />

Il a créé Siri, le logiciel de reconnaissance<br />

vocale des Iphone, dirigé le centre d'innovation<br />

de Samsung à San José en Californie et<br />

travaille toujours aujourd'hui pour l’entreprise<br />

coréenne. Le regard de Luc Julia sur le<br />

management propre aux start-up.<br />

Olivier Rollot : Ingénieur diplômé de Télécom Paris, vous avez pratiquement<br />

vécu toute votre carrière professionnelle aux États-Unis. Créant des entreprises<br />

avant de rejoindre de grands groupes comme HP, Apple et aujourd'hui<br />

Samsung. Qu’est-ce qui a fait de vous cet inventeur aux multiples activités ?<br />

Luc Julia : Inventeur on ne le devient pas. Il faut avoir cette envie en soi de créer des<br />

« machins » utiles aux vraies gens. Depuis mes 5 ans, je voulais devenir chercheur au<br />

CNRS parce que j’imaginais que c’était là qu’on faisait des inventions. Quand j’ai eu 10<br />

ans, et comme j’étais un peu feignant, j’ai créé un robot qui devait faire mon lit à ma<br />

place. En fait il déchirait tous les draps mais ce premier échec a été une expérience<br />

intéressante…<br />

O. R : Après Télécom Paris ce ne devait pas être évident de se voir comme un<br />

créateur d’entreprise à l’époque de votre diplôme, en 1995 quand vous obtenez<br />

votre doctorat ?<br />

L. J : Il y avait une voie toute tracée à la sortie vers France Télécom mais c’est pendant<br />

mon doctorat que je me suis aperçu que le CNRS n’était pas pour moi.<br />

O. R : Et c’est là que vous partez aux États-Unis où vous créez de nombreuses<br />

entreprises après avoir été chercheur pendant 10 ans. Pourquoi<br />

cette passion de créer ?<br />

L. J : D’abord parce que ça m’amuse. Mais il ne faut pas croire que c’est pour autant<br />

facile. Quand on a 40 ou 50 personnes dans son entreprise et qu’on ne sait pas si on<br />

pourra les payer à la fi n <strong>du</strong> mois, l’entrepreneuriat c’est d’abord un problème d’argent.<br />

O. R : Vous y habitez depuis maintenant 25 ans. Comment expliquez-vous la<br />

fantastique réussite des entreprises de la Silicon Valley ?<br />

L. J : Ce qui caractérise la Silicon Valley c’est une forme de solidarité, ou plutôt de<br />

partage qui m’a tant surpris alors que j’étais un peu anti-américain de base à mon<br />

arrivée. La Silicon Valley c’est la quintessence <strong>du</strong> melting pot <strong>du</strong> XIX e siècle projeté au<br />

XXI e . Un univers où des personnalités venues <strong>du</strong> monde entier viennent apporter leur<br />

pierre à quelque chose qui n’existe pas vraiment ailleurs. Je travaille avec très peu<br />

d’Américains de souche mais avec beaucoup de gens qui, comme moi, sont prêts à<br />

partager. Ce n’est pas <strong>du</strong> tout l’image d’un pays égoïste que j’avais des États-Unis à mon<br />

arrivée. Ce que j’y ai vraiment découvert c’est cette capacité à partager des idées.<br />

O. R : Aux États-Unis vous découvrez un tout autre monde…<br />

L. J : Quand j’arrive, on me conseille tout de suite de me rendre au Xerox Park, là où a<br />

été inventée toute la micro-informatique. Tous les premiers mardis <strong>du</strong> mois, il y avait une<br />

réunion où se rendaient tous ceux que j’avais cités dans ma thèse. Des professionnels<br />

d’HP, IBM, Intel qui brassaient des milliards. Mes héros qui venaient discuter ensemble<br />

tous les mardis, se chamaillant dans un esprit de pure émulation. Un choc ! Je ne voyais<br />

vraiment pas l’Amérique comme cela. Et, 25 ans après, je constate toujours cette vision<br />

différente.<br />

O. R : On se fait facilement confiance, c’est ça le secret des start-up ?<br />

L. J : Je dirais plutôt qu’on se tient les uns les autres, on « rely on one another ». Une<br />

start up ne crée jamais exactement le pro<strong>du</strong>it auquel elle avait songé au début. Le secret<br />

c’est le pivot, l’agilité, la capacité à pivoter d’un projet à un autre.<br />

O. R : Cette capacité de pivot vient de ce qu’on appelle l’« agilité ». On peut apprendre<br />

à devenir agile ?<br />

L. J : C’est un état d’esprit qu’il ne faut pas essayer d’appliquer de manière religieuse.<br />

Pour s’adapter, il faut être curieux et ça ne s’apprend pas à l’école.<br />

O. R : On enseigne pourtant des méthodes agiles !<br />

L. J : Depuis 2005, il y a des cours d’agilité dans tous les cursus d’ingénieur en Californie.<br />

On ne sort pas diplômés sans connaître la méthode. Mais ce que j’apprends à mes<br />

équipes c’est que justement la méthode agile doit elle-même être agile. Son véritable<br />

intérêt c’est de s’opposer à ce qu’on appelle la méthode « waterfall » où on planifi e des<br />

mois, voire des années en avance des pro<strong>du</strong>its qui seront obsolètes quand ils sortent. Je<br />

ne pense pas qu’on puisse prétendre être des génies au point de voir si loin dans l’avenir.<br />

O. R : Vous pouvez un peu nous expliquer la méthode de travail que vous<br />

employez ?<br />

L. J : Notre méthode, c’est bien évidemment de partir d’une idée mais en planifi ant des<br />

« sprints » d’une à trois semaines pour défi nir des tâches et se rapprocher <strong>du</strong> but au<br />

moyen de « scrums », littéralement des « mêlées », des petits groupes, pour avancer.<br />

Tous les matins nous nous réunissons debout, en « stand up », pour des prises de parole<br />

courtes – un stand up ne doit pas dépasser les cinq minutes – où on raconte ce qu’on a<br />

accompli hier et comment on rectifi e éventuellement le tir.<br />

O. R : Comment constituez-vous vos équipes ? Aujourd'hui chez Samsung, hier<br />

dans des start-up c’est le même processus ?<br />

L. J : Je tiens d’abord à qu’elles soient multidisciplinaires car je crois aux visions multiples,<br />

à l’apport de ceux qui pensent différemment. Et cette multidisciplinarité va avec une<br />

multiculturalité qui rapproche des cerveaux très différents.<br />

O. R : L’esprit start-up dans un grand groupe, toutes les grandes entreprises en<br />

rêvent…<br />

L. J : Mais cela n’a rien d’évident à monter. Les grandes entreprises ont tendance à<br />

racheter des start-up pour pro<strong>du</strong>ire de l’innovation. Souvent les intégrations qui s’en<br />

suivent ne marchent pas trop. En créant l’équipe « from scratch », on peut insuffl er le<br />

bon esprit, mais après il faut lutter contre les jalousies et la politique. C’est sans doute le<br />

plus diffi cile.<br />

O. R : Conseillez-vous toujours aux jeunes ingénieurs français de rejoindre la<br />

Silicon Valley comme vous l’avez fait ?<br />

L. J : Les jeunes doivent créer quelque chose qui leur appartiennent et dont ils peuvent<br />

être fi ers. En France, l’ambiance a beaucoup changé avec des Grandes Écoles dont la<br />

moitié des étudiants imaginent créer un jour leur entreprise. C’est incroyable de voir<br />

qu’un étudiant de l’ENS fasse partie des fondateurs de BlaBlaCar ! En France, depuis<br />

5 ans, il y a vraiment un changement de mentalité alors qu’à mon époque il n’y avait<br />

pas d’autre solution que d’aller aux États-Unis pour créer quelque chose de nouveau.<br />

Aujourd'hui, j’embauche chaque année quatre ou cinq ingénieurs français. En 25 ans,<br />

c’est une centaine que j’ai ainsi extrait de France et 80 % sont restés. n<br />

L’ESSENTIEL DU SUP | NUMÉRO SPÉCIAL | SEMAINE DU MANAGEMENT<br />

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E 14659 Magazine LEssentiel-<strong>Semaine</strong><strong>Management</strong>-DI-V3.indd 27 03/05/2018 11:02

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