Science & Vie- Spécial Game of Thrones

LE RÈGNE DES DRAGONS
Capables
de comprendre
des ordres
simples, comme
“Dracarys” pour
cracher du feu,
les dragons
se nourrissent
de viande cuite.
Personne n’en a jamais croisé, mais tout le monde est capable
d’en reconnaître un quand il le voit, que ce soit sur une enluminure
médiévale ou dans un épisode de la série du Trône de
fer… Comme chez nous, dans le monde de fiction de Westeros,
les dragons sont légendaires : de gigantesques monstres
reptiliens aux ailes membraneuses, crachant le feu et terrifiant
hommes et bêtes par leur puissance et leur carrure.
Il existe toutefois une “petite” différence entre nos
deux contrées, hormis le fait que l’une est née de l’imagination
d’un auteur américain. Chez nous, les dragons hantent
les mythes et les contes un peu partout sur la planète,
de la Mésopotamie au monde maya en passant par la
Chine… D’où provient cette quasi-universalité des dragons ?
Certains universitaires font remonter leurs premières traces
au paléolithique, déjà, il y a plus de 10 000 ans. Leur singulière
et reptilienne morphologie a pu être inspirée dès l’Antiquité
et jusqu’au Moyen Âge par la description mal comprise
d’animaux exotiques ou par la découverte d’immenses ossements
ayant jadis appartenu à des dinosaures – tel le tyrannosaure,
disparu il y a pourtant plus de 65 millions d’années.
Jusqu’au Moyen Âge, on croyait pouvoir tomber sur
un monstrueux saurien géant au détour d’un sombre
chemin forestier… On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien.
Seules quelques îles lointaines, à Bornéo ou en Indonésie,
présentent une faune écailleuse digne de ce nom.
La situation n’est pas la même sur Westeros. Si là-bas les
À WESTEROS, LES DRAGONS SONT DE
RETOUR COMME CES ESPÈCES ÉTEINTES
QUE LA SCIENCE TENTE DE RESSUSCITER
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dragons sont tombés dans la légende, ils ont bien foulé la terre
créée par le romancier George R. R. Martin. Les derniers
spécimens sont toutefois morts deux siècles avant le début
de la série. Ne reste de leur gloire passée que les crânes des
plus impressionnants d’entre eux relégués dans les cryptes
de Port-Réal, la capitale du royaume, ainsi que les trois œufs
colorés que la jeune Daenerys Targaryen reçoit en cadeau
de mariage au début de la saga – un hommage pétrifié à l’emblème
de sa famille, puisque c’est avec cet animal que celle-ci
conquit naguère le monde… L’époque de leur règne sans partage
est alors révolue, leurs hauts faits d’armes ne sont plus
que des mentions dubitatives dans les livres des mestres,
et leurs exploits des histoires pour faire peur aux enfants…
En sorte, les dragons sont, dans la fiction aussi, devenus
un mythe, et nul ne croit plus en leur existence – seul Tyrion
Lannister affirme en avoir vu en rêve lorsqu’il était enfant,
avant qu’on moque sa naïveté.
Mais en quelques années, ou en quelques saisons télévisuelles
sous nos latitudes, l’impensable a repris chair ! Convoquant
une magie oubliée, Daenerys a redonné vie au mythe dans
une scène qui a marqué la fin de la première saison de la série,
quand elle est sortie d’un brasier funéraire avec trois jeunes
dragons, nés de leurs œufs de pierre… Et, après le déni,
le monde autour d’elle redécouvre la peur d’une créature
capable de les tuer tous d’un souffle embrasé…
Voilà qui nous met en face d’une problématique toute
contemporaine : et si des monstres du passé ressurgissaient
? Là où la magie fait son œuvre dans le monde
fantasy de Westeros, chez nous la science déploie
ses éprouvettes. Dans notre XXI e siècle bien rangé,
le simple retour de l’ours ou du loup, jadis redoutés au
même titre que le dragon ou le griffon, rappelle aux citadins
et aux éleveurs le sens des mots “prédateurs” et “sauvages”
et, sur fond d’une terreur ancestrale, pose la question
d’une cohabitation dont nous avons oublié les termes.
Mais certains scientifiques ont des ambitions plus folles et,
comme Daenerys Targaryen, ils se tournent vers les fossiles
d’espèces disparues. Depuis que des carcasses de mammouths
gelés ont été découvertes dans un
état de conservation impressionnant en
Sibérie, des laboratoires rêvent d’y trouver “la
cellule parfaite” pour tenter de cloner ce mastodonte
du passé qui domina l’Europe et que
nos lointains aïeux et Neandertal chassaient
au péril de leur vie. Plus fort encore : l’idée de
recréer un dinosaure fait son chemin. Certes,
impossible de ressusciter un véritable Tyrannosaurus rex, mais
certaines des caractéristiques du plus féroce des sauriens
pourraient être rendues à des volatiles actuels par manipulation
de leurs embryons, en commençant par la dentition ou
la queue. Comme pour les dragons de Daenerys – qui ne sont
que trois, et uniquement des mâles, ce qui limite les risques
de descendance –, seuls quelques spécimens pourraient être
créés, ceux-ci pareillement incapables de transmettre leurs
traits draconiques. De Game of Thrones à la réalité, un même fil
court, tissé de crainte et de fascination pour un passé que
l’on croyait révolu, avant qu’il revienne hanter le présent.
Émilie Rauscher
29 GAME OF THRONES