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Décryptage<br />
2. L’émerveillement<br />
pour le surnaturel<br />
94 GAME OF THRONES<br />
Si elle ne se limite pas à cela, la fantasy est<br />
fréquemment associée aux dragons, à la magie…<br />
Le genre pioche en effet allégrement<br />
dans les croyances populaires anciennes,<br />
mais ne se contente pas de les réemployer<br />
tel quel : il en réinvente les figures et les<br />
inscrit dans des univers où, contrairement<br />
au nôtre, le surnaturel qu’elles incarnent devient<br />
“naturel”. Il peut ainsi prendre plusieurs<br />
formes dans les mondes mis en scène.<br />
Ainsi peut-il être éminemment concret et<br />
imposant : dragons et créatures du bestiaire<br />
médiéval (griffon, basilic…) ne se cantonnent<br />
plus aux pages enluminées des manuscrits.<br />
Et les hommes peuvent tout autant croiser<br />
des dieux issus de panthéons pléthoriques.<br />
Excepté en plein climax, toutefois,<br />
ces rencontres sont rares… Ce qui contribue<br />
à la force d’évocation et les entités utilisées<br />
éveillent toujours un écho suffisant pour pouvoir<br />
se passer de longues descriptions.<br />
La magie, ensuite, devient une force réelle<br />
et accessible. Pour en poser les règles, les<br />
auteurs ont l’embarras du choix, entre les<br />
nombreuses traditions et les domaines occultes<br />
dont nous sommes friands. Les magies<br />
blanche et noire avec leurs lanceurs de<br />
sorts passionnent les lecteurs depuis plus de<br />
LA FORCE DU SYMBOLE<br />
cinquante ans – elles puisent dans un imaginaire<br />
fait de grimoires, de signes cabalistiques,<br />
de gestes codifiés ; tout comme l’alchimie<br />
convoque des fioles et des potions dans<br />
un laboratoire obscur ou la démonologie des<br />
pentacles ouvrant la voie vers<br />
d’autres plans d’existence.<br />
VITALITÉ NOUVELLE<br />
Mais son empreinte peut être plus<br />
subtile… Lorsqu’elle s’inspire par<br />
exemple des rebouteux et sourciers<br />
des campagnes, moins<br />
puissants mais plus inquiétants.<br />
Ou lorsqu’elle reprend<br />
le mode d’action de l’antique<br />
“magie du nom”, où connaître la véritable<br />
identité d’un individu permet de le<br />
contrôler – dans l’Égypte des pharaons,<br />
déjà, vouer le nom de quelqu’un à<br />
l’oubli, c’était le condamner dans<br />
l’au-delà… “Le mystère est le meilleur<br />
artisan du merveilleux”,<br />
écrivait Ursula Le Guin, dans<br />
La Main gauche de la nuit. Et<br />
de fait, même lorsque la magie<br />
est enseignée dans des écoles ou des<br />
académies ayant pignon sur rue, toujours<br />
Nous vivons aujourd’hui dans un monde symboliquement bien sec, où l’explicite est la règle.<br />
Cela n’a pas toujours été le cas : dans l’Antiquité comme au Moyen Âge, tout – lieux, objets,<br />
animaux… – était porteur de sens et d’informations venues de la religion ou de croyances<br />
païennes plus anciennes. “Le symbole, écrit le scénariste John Truby, est une concentration de<br />
sens, il fait référence à autre chose que lui et possède un langage caché qui influence émotionnellement<br />
le public par une action subtile mais puissante.” Si nous en avons généralement oublié le<br />
sens, nous sommes toujours sensibles à leur pouvoir évocateur : un anneau, une coupe, une<br />
épée, un ours ou la mer font ainsi immédiatement résonner des images pr<strong>of</strong>ondément ancrées<br />
en nous, parfois plus anciennes que les mots.<br />
elle renvoie à des secrets, des créatures plus<br />
anciennes que les hommes, à des énigmes<br />
que nous découvrons avec les protagonistes.<br />
Le même constat peut être fait pour les<br />
peuples mis en scène. De fait, l’humanité<br />
n’arpente souvent pas seule ces<br />
contrées imaginaires et l’histoire<br />
n’est pas la seule pourvoyeuse<br />
de cultures exotiques. Issus de<br />
la mythologie nordique, les elfes,<br />
aux longues silhouettes fines et aux<br />
oreilles en pointe, sont ainsi devenus<br />
un classique absolu depuis<br />
leur dépoussiérage par J. R. R.<br />
Tolkien. L’éminent pr<strong>of</strong>esseur<br />
a notamment puisé son<br />
inspiration dans Beowulf – un<br />
poème anglo-saxon du VII e siècle,<br />
lui-même tiré de l’épopée germanique<br />
relatant les exploits du héros éponyme.<br />
Leur simple présence<br />
exhale la magie, renvoie à<br />
des époques antérieures aux<br />
hommes. Les nains, mineurs et<br />
ingénieurs redoutables, les orcs<br />
aux mœurs barbares ou les trolls<br />
sont eux aussi intégrés dans la<br />
culture populaire.<br />
Chaque auteur tisse ainsi des<br />
mondes où le surnaturel chassé de notre<br />
quotidien hyperrationalisé trouve refuge,<br />
voire une vitalité nouvelle. Esquissée ou<br />
centrale, sa place est souvent liée au type de<br />
récit adopté : lointaine et poétique en high<br />
fantasy (J. R. R. Tolkien), elle peut se révéler<br />
brutalement efficace en heroic fantasy<br />
(David Gemmell). Et, paradoxalement, magie<br />
et créatures peuvent devenir si banales<br />
que la moindre technologie en devient par<br />
contraste “ésotérique” (comme chez Anne<br />
McCaffrey ou Ursula Le Guin) ! E.R.<br />
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