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ANALysE<br />
Un œil sur leur place de plus en plus grande<br />
dans le domaine de la fiction, dans les festivals<br />
spécialisés ou sur petit et grand écrans, suffit<br />
à s’en convaincre : les littératures de l’imaginaire,<br />
c’est-à-dire celles qui mettent en scène<br />
des mondes fictifs dans lesquels règnent technologies<br />
inédites ou magie, et en particulier<br />
la fantasy (voir jargon), semblent plus que<br />
jamais avoir le vent en poupe. Une évolution<br />
en cours depuis le début des années 2000 en<br />
France, pour un genre né un bon siècle plus<br />
tôt dans le monde anglo-saxon (voir chronologie).<br />
Alors que le secteur était jusqu’alors<br />
dominé par les auteurs phare d’outre-Manche<br />
(J. R. R. Tolkien) et d’outre-Atlantique (Robert<br />
Howard), le marché hexagonal du livre<br />
entame sa mue.<br />
En France, les maigres rayons dédiés des libraires<br />
se sont longtemps partagés entre les<br />
grands groupes généralistes, comme Editis<br />
(Fleuve éditions, XO, Pocket…) ou Robert<br />
Laffont. Ils faisaient alors la part belle aux références<br />
anglo-saxonnes – que ce soit J. R. R.<br />
Tolkien (Le Seigneur des anneaux), Frank<br />
Herbert (Dune), Isaac Asimov (Fondation, Les<br />
Robots) ou Michael Moorcock (Elric)… Des<br />
valeurs sûres des années 1970, toujours bien<br />
installées vingt ans plus tard dans un secteur<br />
ronronnant. Mais la fin des années 1990<br />
marque en France un tournant à double titre.<br />
On assiste ainsi à l’apparition d’éditeurs spécialisés,<br />
Mnémos (1996) et Bragelonne<br />
(2000), davantage tournés vers la découverte<br />
de nouvelles plumes ; s’ensuit la naissance<br />
d’une certaine French touch avec des auteurs<br />
comme Mathieu Gaborit (Abyme), Fabrice<br />
Colin (Confessions d’un automate mangeur<br />
d’opium), etc. Une stratégie payante, ces maisons<br />
étant aujourd’hui leaders du secteur.<br />
Mais surtout, au niveau mondial, la fantasy<br />
déferle au cinéma : Le Seigneur des anneaux<br />
(2001 pour La Communauté de l’anneau,<br />
puis en 2002 et en 2003 pour ses suites) et<br />
Harry Potter (À l’école des sorciers, 2001) balayent<br />
tout sur leur passage avec des entrées<br />
records. Depuis, l’intérêt du grand public ne<br />
s’est plus démenti ; un grand public enthousiaste<br />
mais qui ne s’en laisse pas conter pour<br />
autant et délaisse les tentatives les moins solides<br />
(Le Monde de Narnia (2005), Eragon<br />
(2006)…). Avec près de 7 millions d’entrées<br />
en France pour chaque film du Seigneur des<br />
anneaux, par exemple, le genre connaît une<br />
visibilité jusque-là inédite. Un regret toutefois<br />
: ces adaptations n’ont pas toujours pu<br />
créer en retour un véritable pont entre (télé)<br />
spectateurs et les livres dont elles sont tirées.<br />
Ce qui n’empêche pas le marché de<br />
l’imaginaire de bien se porter – à son échelle :<br />
ces genres longtemps sous-estimés représentent<br />
ainsi aujourd’hui (en 2018) 4,4 % de<br />
la production littéraire mais presque 8 % du<br />
chiffre global du monde de l’édition… pour<br />
moins de 4 % de la place dédiée en librairie,<br />
et une part encore plus restreinte dans les<br />
médias généralistes (1 %). D’où une difficulté<br />
à générer des best-sellers au rayon adultes<br />
malgré l’émergence d’auteurs reconnus tels<br />
Jean-Philippe Jaworski (<strong>Vie</strong>ux royaume, Rois<br />
du monde) ou Pierre Pevel (cycles Wielstadt,<br />
Les Lames du cardinal).<br />
En jeunesse, toutefois, les ventes ne se sont<br />
jamais aussi bien portées ! Une enquête du<br />
Centre national du livre indiquait d’ailleurs<br />
récemment que 46 % des 15-19 ans préféraient<br />
les littératures de l’imaginaire ;<br />
en 2016, une étude Ipsos citait “Harry<br />
Potter” comme le livre préféré des 7-19 ans.<br />
Plusieurs séries, y compris françaises, ont<br />
donc su bâtir un vrai engouement populaire<br />
autour d’elles.<br />
NATURE “MULTI-MÉDIATIQUE”<br />
Pour alimenter le phénomène, les différents<br />
acteurs du secteur ont pris le taureau par les<br />
cornes. Les festivals de l’imaginaire disposent<br />
désormais d’une bonne notoriété et drainent<br />
de plus en plus de curieux : le festival Imaginales<br />
(Épinal) a attiré 40 000 visiteurs en 2018,<br />
les Utopiales (Nantes) plus de 90 000, etc. Les<br />
éditeurs eux-mêmes (une cinquantaine de<br />
maisons) ont décidé d’allier leurs forces, notamment<br />
en organisant dans toute la France<br />
un “Mois de l’imaginaire”, en octobre, qui<br />
connaîtra sa troisième édition cette année ; soit<br />
l’occasion de rencontres dans des librairies, de<br />
tribunes, d’opérations commerciales, d’animation<br />
des réseaux sociaux, etc. Une démarche<br />
de sensibilisation qui commence à<br />
porter ses fruits et a <strong>of</strong>fert quelques retombées<br />
médiatiques. Fin 2017, “La Grande Librairie”<br />
Chronologie Aux sources de la fantasy<br />
1923-1954<br />
Publication de Weird<br />
Tales, magazine<br />
américain dédié au fantastique<br />
et à la fantasy.<br />
1924<br />
Publication<br />
de La Fille du roi<br />
des elfes de Lord<br />
Dunsany.<br />
1932<br />
Première nouvelle<br />
mettant en scène<br />
Conan le Cimmérien<br />
de Robert E. Howard.<br />
1937<br />
Publication<br />
de Le Hobbit<br />
de J. R. R.<br />
Tolkien.<br />
1954<br />
Publication de La Fraternité<br />
de l’anneau,<br />
premier tome du Seigneur<br />
des anneaux.<br />
1974<br />
Publication du premier<br />
jeu de rôle<br />
Donjons et dragons<br />
par Gary Gygax.<br />
1981<br />
Sortie d’Excalibur,<br />
de John<br />
Boorman,<br />
au cinéma.