Paula compte le temps (bottom time) qui deviendra une unité de profondeur à notre prochaine plongée. utilisent la technique de respiration Pranayama issue du yoga. Certaines techniques renforcent le diaphragme ou échauffent les poumons. Ou permettent de se relâcher mentalement en quelques secondes. Je peux le confirmer, les inspirations et les expirations lentes permettent de se calmer et d’évacuer les pensées négatives, au moins pour un moment. J’ai rarement été d’aussi bonne humeur à cinq heures du matin. Le cours décisif de l’après-midi débute avec une surprise. Deux élèves nous accompagnent au lac. Chen, 22 ans, de Chine et Henry, 28 ans, d’Angleterre. Tous deux sont des apnéistes confirmés. Au lieu de profiter de l’enseignement de Paula en exclusivité, Chen, Hendrick et moi sommes tous trois accrochés à la bouée orange. Pendant les breath-ups, je m’efforce d’éteindre les bribes de conversation qui me parviennent. Un excellent exercice, me dis-je. Il y aura certainement plein d’autres moments où je voudrai faire abstraction des conversations des autres. Malgré tout, la pression monte. À travers mon masque, je vois Hendrick disparaître loin après les quatorze mètres de profondeur claire. Il a sûrement dépassé mon objectif du jour alors qu’il n’en est qu’à l’échauffement… Au premier essai, j’atteins neuf mètres. Loin, très loin de mon objectif. Tout au fond Comparaison entre amateur et pro sur une plongée en immersion libre (en se tirant le long d’un filin). 0 m 25 m 50 m 75 m 100 m 125 m Cours débutant : 1er jour, env. 10 m Cours débutant : 2e jour, env. 20 m Plongeur aguerri (3 à 5 semaines de pratique), env. 50m Record du monde Femmes : 97 mètres, Sayuri Kinoshita, Japon Record du monde Hommes : 125 mètres, Alexey Molchanov, Russie Une fois de plus, ma lumière dans la nuit s’appelle Paula. Sous l’eau, elle est rayonnante de zénitude. Avec une économie de gestes précis, elle redresse ma posture (tête trop penchée), la traction des bras (trop rapide) et compte mon bottom time (chaque seconde supplémentaire que j’ajoute au point le plus profond de ma progression en apnée pour remonter à la surface) pour le changer en unité de profondeur à ma prochaine tentative. À 14 mètres de fond et 10 secondes de bottom time, j’arrive à mes limites. « Très bien, me dit Paula quand je lui en fais part. C’est maintenant que le cours va devenir intéressant pour toi. » Je fais donc l’expérience à l’aune de mon propre corps de ce que Paula nous expliquait ce matin pendant la session théorique : en arrêtant de respirer, le taux de dioxyde de carbone dans le sang augmente et le corps génère un réflexe respiratoire. C’est là que la bataille mentale décisive se joue, que chaque apnéiste doit combattre un jour ou l’autre : céder au réflexe respiratoire ou persévérer avec la volonté de poursuivre l’apnée. Curieusement, ma limite mentale se situe précisément à l’endroit où l’eau du lac se réchauffe. L’activité volcanique des environs fait monter la température du lac à partir de quatorze mètres de fond. Paula en fait un défi. Dès que je sens l’eau se réchauffer entre mes doigts de pied, je fais encore quatre longueurs de bras vers le bas. « Quatre ? », je répète ahuri. « Ou cinq si tu veux te challenger. » Paula veut me tirer vers la barre des vingt mètres. Et comme je ne veux pas perdre la face devant elle, j’accepte. Une minute avant ma dernière plongée, je m’agrippe à la bouée orange à deux mains et m’efforce de respirer calmement. C’est exactement le moment que le groupe de touristes chinois choisit pour faire son apparition. Pendant mes breath-ups, je plonge à l’intérieur de moi. J’évacue le monde extérieur en expirant très fort. Les vacanciers qui font trempette. Chen et Henry accrochés à ma bouée. Je me sens 44 THE RED BULLETIN
« Qu’est-ce qui est plus fort ? La volonté de retenir ton souffle ou le réflexe respiratoire ? » Chaque mètre compte Au deuxième jour, Andreas progresse plus profondément dans le lac. Poussée d’adrénaline : à partir de 14 mètres de profondeur, la température de l’eau monte à 38°C.