76 LGAVRIL 2020PORTRAITPortrait d’un virusPAR JULIEN BRUNDans une époque qui commente les événements plus qu’elle ne les interroge, passantcouramment d’un point à l’autre sans jamais les relier, la prise de hauteur n’a jamais sembléaussi nécessaire. De cette position à la vue d’ensemble, ces pointillés seraient tellement prochesqu’ils formeraient une ligne, aisément lisible.Jamais la propagation d’un virus n’aura été aussi rapide que dans un monde aux distancescontractées, aux échanges démultipliés et aux rythmes de l’instantanéité. À l’heure où cesmots se couchent, le pic de l’épidémie n’est pas encore franchi que l’Europe compte déjà plusde 25.000 morts selon les sources officielles 1 , elle est dorénavant le continent le plus touchépar la pandémie de Covid-19 qui a déjà fait 40.000 décès à travers le monde.Ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pasAvec respectivement plus de 11.000 et8.000 décès, l’Italie et l’Espagne sont lesdeux pays du monde les plus touchés. Ceschiffres terribles sont pourtant bien endeçà de la réalité. Faute d’un dépistage detoute la population européenne et d’unevérification systématique des causes dedécès, il faudra attendre de comparer letaux de mortalité avec les mois des annéesprécédentes. L’Europe devra, commela Chine, revoir ses premiers bilans à lahausse. Les chiffres actuellement publiéssont à la fois vrais et trompeurs et le tauxde mortalité du coronavirus reste encoreinconnu.Il est souvent dit qu’un virus qui tue moinsa plus de chances de se propager. Avecun taux de mortalité de 40%, Ebola estpar exemple resté cantonné à une partiede l’Afrique alors que le Covid-19 s’estpropagé à travers le monde en l’espace detrois mois seulement.La littérature scientifique s’enrichitchaque jour de ce nouveau virus et decette nouvelle maladie. On sait sa grandecontagiosité, son importante infectiositéet son affinité pour les cellules humaines,attaquant les poumons mais aussi d’autresorganes et le système nerveux, d’où la pertede goût et d’odorat chez certains malades.De nombreuses zones d’ombre persistentnéanmoins: pourquoi les hommes sontilsplus touchés que les femmes? est-ceun virus saisonnier qui s’éteindra avec lamontée des températures? les personnesdéjà infectées sont-elles immunisées? quelssont les traitements les plus efficaces?Les études et essais cliniques sont actuellementen cours et jamais dans l’histoireles résultats des travaux ont été aussirapidement partagés. L’Université Fudan deShanghai est la première à avoir séquencél’ADN du Coronavirus. Ses chercheursont placé la séquence du génome dansGenBank, une base de données en libreaccès, permettant aux scientifiques dumonde entier d’analyser les résultats.Décoder le mystère du Covid-19 est leseul moyen de trouver un traitement et unvaccin.“Faisant la lumièredans l’obscuritéde l’ignorance,les scientifiquessont une lueurd’espoir pourdes milliersde malades”La frontière qui sépare ce que l’on sait dece que l’on ne sait pas est délimitée par lestravaux scientifiques des chercheurs. Faisantla lumière dans l’obscurité de l’ignorance,ils sont une lueur d’espoir pour des milliersde malades.«Gouverner, c’est prévoir»Lorsqu’il a fallu choisir, les pays européens,dont le Luxembourg, ont choisi la vie àl’économie. Cette politique qui s’incarnedans le confinement des citoyens estcourageuse, à hauteur des enjeux, et rend seslettres de noblesse au mot «politique». Cechoix aura néanmoins un coût, actuellementinappréciable, qui impactera d’autant plusl’économie si la situation perdure. Lacrise sanitaire pourrait en effet engendrerune crise économique et c’est pourquoid’autres gouvernements, comme ceux desEtats-Unis ou du Brésil, choisissent encorecyniquement l’économie, argumentantparfois jusqu’à l’absurde. L’Europe est, ence sens, forte de politiques de raison quifont preuve d’une hauteur d’Homme. Ouimais gouverner, c’est aussi prévoir.Certes, entre les premières publications desétudes chinoises et le début de l’épidémie enItalie, c’est-à-dire fin février et début mars, ilétait extrêmement difficile de prévoir le risqued’une pandémie. Mais le fait qu’un pays nondémocratiquemette l’une de ses villes enquarantaine n’avait-il pas de quoi alerter surla dangerosité du virus et donc d’un besoin demasques, de respirateurs, de lits hospitaliers etde personnel médical? Certes de nombreusescrises sanitaires (le SRAS 2002, le H1N12009, le chikungunya 2005, 2009, 2010 ouEbola 2013-2015) eurent en Europe l’effetde crier au loup. Le déni ne saurait pourtantjustifier une Europe dépendante de la Chinepour son approvisionnement en matérielmédical et des nations ayant perdu, de ce fait,toute souveraineté sanitaire.
LGAVRIL 202077Illustration par mattthewafflecat de Pixabay