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pas été une partie de plaisir, mais<br />
au bout du compte, j’ai vécu cette<br />
période comme un cadeau, car elle<br />
m’a permis de me maintenir encore<br />
deux années à ce niveau. Sans ça,<br />
j’aurais dû arrêter plus tôt.<br />
Cette période spéciale de votre<br />
carrière ressemble plus à un nouveau<br />
départ revigorant qu’à une<br />
véritable pause.<br />
Pendant six semaines, j’ai enfin pu<br />
lâcher la pression. Ça ne veut pas<br />
dire que je n’ai plus rien fait, mais<br />
l’intensité a changé, je n’aurais pas<br />
pu continuer à ce rythme. Et puis,<br />
au bout d’un moment, l’horloge<br />
interne reprend : tic-tac, tic-tac…<br />
Aucune patience ! Avoir six globes<br />
en poche, c’est un bonheur, mais<br />
aussi une malédiction : à chaque<br />
nouvelle victoire, la pression<br />
augmente, on se dit que l’année<br />
suivante sera encore plus difficile.<br />
Même si je savais que je pouvais le<br />
faire, ça commençait à devenir de<br />
plus en plus lourd. Avec cette fracture<br />
de la cheville, la pression a disparu<br />
d’un coup. Jusqu’à ce que mon<br />
horloge interne recommence et que<br />
les JO se pointent à l’horizon.<br />
Durant votre carrière, est-ce<br />
que vous perceviez cette admiration<br />
que les gens vous portent<br />
toujours aujourd’hui, quels que<br />
soient vos résultats ?<br />
Chaque victoire ne dure qu’une<br />
journée et je me disais toujours<br />
que je pouvais faire mieux. Alors,<br />
je n’avais aucunement conscience<br />
de ce rapport qu’avaient les gens<br />
« Chaque jour doit<br />
servir à évoluer.<br />
Stagner, c’est<br />
ennuyant. »<br />
avec moi. Je m’en rends compte<br />
maintenant, mieux que jamais. Ce<br />
n’est pas que l’estime des gens à<br />
mon égard ait changé, mais j’y prête<br />
maintenant plus attention et surtout<br />
je l’accepte enfin, ce qui n’était pas<br />
évident avant.<br />
Faut-il vraiment se jeter à fond,<br />
voire à l’extrême, dans ses projets<br />
pour réussir ?<br />
C’est en tout cas comme ça que je<br />
le vivais. Mieux valait être premier<br />
pendant deux ou trois ans que de<br />
rester dans la moyenne. Lors de<br />
ma troisième ou quatrième Coupe<br />
du monde, sur les 21 jours qui<br />
ont précédé la finale, j’en ai passé<br />
18 sur la piste, les trois autres sur<br />
la route. Et tant pis si je devais<br />
m’écrouler complètement le lendemain<br />
de la finale.<br />
Vous avez donc décidé de raccrocher<br />
en 2019. Ressentez-vous<br />
encore le choc du passage à la<br />
retraite ?<br />
(Il rit.) Je comprends le désarroi de<br />
ces retraités qui se retrouvent tout<br />
à coup dans un quotidien flou et<br />
presque vide. Mais une fois qu’on<br />
y remédie, ça devient un pur bonheur.<br />
Je suis ravi d’avoir découvert<br />
le ski de randonnée, l’hiver dernier.<br />
Je prépare tout mon matos pour le<br />
lendemain, et au moment de partir<br />
en montagne, je suis super excité.<br />
Ce que je préfère dans le ski de rando,<br />
c’est que tu peux vraiment aller<br />
où tu veux, davantage qu’en été. J’ai<br />
eu un vrai déclic quand j’ai senti que<br />
j’avais une passion, une fascination<br />
pour ce sport.<br />
Ça sonne comme un retour à<br />
l’enfance, que vous avez passée<br />
dans un refuge alpin dans les<br />
montagnes autrichiennes, juché<br />
à 1 500 mètres d’altitude...<br />
C’est la sérénité de mon enfance, le<br />
silence, que j’aime retrouver grâce<br />
à ça. Pouvoir profiter de la nature<br />
est un véritable privilège. Un jour<br />
où je traversais une période particulièrement<br />
stressante, j’ai calculé que<br />
j’avais donné plus d’une centaine<br />
de coups de fil en une seule journée.<br />
La plupart concernaient des détails,<br />
des questions logistiques du genre<br />
qui amène quoi, qui s’occupe de<br />
quoi… Aujourd’hui, il y a des jours<br />
où mon portable ne sonne pas et<br />
je mesure la chance que c’est. Au<br />
début, ça te manque peut-être, mais<br />
« En une journée,<br />
j’avais donné plus<br />
d’une centaine de<br />
coups de fil. »<br />
très vite, tu te mets à aimer ça. Ce<br />
fut le changement le plus significatif<br />
dans ma première année de retraite.<br />
En devenant papa en octobre<br />
2018, vous avez accueilli un miniprof<br />
dans votre vie. Que vous<br />
enseigne votre fils ?<br />
La patience, ce qui, quand on a des<br />
enfants, devient le projet de toute<br />
une vie. J’avais dit après sa naissance<br />
que l’aventure commençait<br />
pour moi, et c’est vrai. Avant, c’était<br />
sympa, mais c’est maintenant que<br />
les choses sérieuses commencent,<br />
celles qui comptent !<br />
Et qu’est-ce qui compte ?<br />
De comprendre que chaque jour<br />
doit servir à évoluer. Stagner, c’est<br />
ennuyant.<br />
Qu’espérez-vous aujourd’hui ?<br />
J’espère que les gens sauront tirer<br />
de la situation actuelle les leçons<br />
nécessaires pour faire enfin bouger<br />
les lignes.<br />
Que diriez-vous au Marcel<br />
Hirscher d’avant la retraite, celui<br />
qui vivait tout à fond, si vous le<br />
rencontriez aujourd’hui ?<br />
(Il réfléchit longuement.) Qu’est-ce<br />
qu’on veut ? Le succès tout de suite,<br />
ou peut-on se satisfaire de quelques<br />
globes de cristal en moins ? J’ai<br />
souvent senti que j’avais besoin de<br />
faire des pauses, mais si je m’étais<br />
écouté, aurais-je fini ma carrière<br />
avec huit globes chez moi ?<br />
Instagram : @marcel__hirscher<br />
THE RED BULLETIN 91