Les Nouvelles de Jérusalem - Numéro 105 - Printemps 2023

Archéologie
Les mystères de l’encrier en bronze de Qumrân
Comment écrivait-on à Qumran ?
La question que l’on oublie toujours
derrière les manuscrits… Expédition
documentaire en Jordanie pour
vieux baroudeurs dominicains.
La recherche éperdue d’un manuscrit
remplit des romans et les bandes
dessinées. Les manuscrits, on avait
déjà, on s’est contenté de l’encrier.
La quête ne fut pas facile. Tout ce
qui concerne Qumrân, jusqu’à la
moindre miette, fait vibrionner les
lobes du cerveau autant des Juifs
que des chrétiens de tout poil. Pensez
donc ! il n’y a qu’un pas à faire
pour se convaincre que l’encrier
aurait servi à écrire le prestigieux
rouleau d’Isaïe.
Les méandres que descendent les
archéologues sont toujours sinueux.
D’abord, les résidents du
lieu savaient écrire, et ils n’ont pas
écrit que des manuscrits sacrés.
Aïn Feshkha, site voisin interprété
comme une ferme ou comme un
atelier, a livré un autre encrier qui
aura servi au boutiquier à faire des
comptes. Mais l’admirable objet
de bronze a été trouvé à proximité
d’un amas de stucs disloqués, sa
reconstruction reste aléatoire et sa
fonction, énigmatique. La proximité
de l’encrier a, dans l’étrange
installation, encouragé à voir sur le
modèle médiéval le scriptorium qui
manquait aux manuscrits. L’encrier
est devenu fabuleux.
Faut-il encore rappeler que les
fouilles de Qumrân, menées
conjointement par le P. de Vaux
(de l’École) et Lankester Harding,
anglais (directeur des Antiquités
de Jordanie), ont été à l’origine
un projet jordano-franco-anglais,
sous licence jordanienne. En 1989,
la Jordanie a rendu les Territoires
à la Palestine, laquelle n’existe
pas et l’encrier, de jordanien est
devenu apatride. Mais la Jordanie
gère. Le précieux flacon est entre
les mains jordaniennes. Le dernier
méandre débouche donc dans les
caves sécurisées du Musée national
d’Amman.
Aussi faut-il montrer patte blanche
pour approcher l’objet. Il faut
écrire, prévenir, expliquer, et sans
réponse il faut récidiver. On progresse,
visite le musée, lequel
demande une lettre de la direction
des Antiquités. Va et vient, attentes
dans les fauteuils de moleskine,
aimablement agrémentées de cafés,
thés et cigarettes. Retour au
musée ultra moderne, antichambre
avec fines questions pour connaître
nos véritables intentions : rien que
photographier aux fins d’une publication.
Confiance, l’accord est
donné, il faut attendre le préposé
aux clés du souterrain sécurisé puis
du coffre-fort. Douce impression
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Nouvelles de Jérusalem - N° 105 - Pâque 2023
d’entrer dans le sanctuaire d’une
banque. Ambulations des deux
manutentionnaires portant la boîte
avec cérémonie. Enfin l’Objet
paraît dans son écrin, il ne brille
pas, il est moche et ne se gausse
que de sa corrosion. Qu’importe !
En gants blancs, il est posé sur la
table. Le fr. Humbert procède à
la photographie, l’installation est
sommaire, une feuille de papier A4
pour le fond et la lampe de bureau
pour l’éclairer. L’opération est
menée sobrement, dans le silence,
sans les gants et sans cérémonies.
À la sortie de l’édifice, le sentiment
est prégnant d’avoir gagné une
bataille. Peu importe l’encrier, les
photos sont dans la caméra, nous
sommes libres mais sans que l’on
puisse attendre : la voiture attend
pour nous mener au pont qui franchit
le Jourdain, retour à Jérusalem.
Sur le trajet qui frôle Qumrân, nous
lui glissons un regard complice.
Fr. Jean-Michel de Tarragon, o.p.
Archiviste conventuel