Victor Vasarely - Fondation Vasarely
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Face à ce puzzle, je me vois contraint de reconsidérer l’art<br />
de <strong>Vasarely</strong>. Quoi qu’en disent ses nombreux détracteurs,<br />
l’art optique ou ‘op’ art’ présente dans ses meilleurs<br />
moments un véritable intérêt, tant visuel qu’intellectuel.<br />
Comme la plupart des mouvements des années 1960,<br />
l’op’ art a sa propre vision politique du progrès social. Il<br />
fait en outre directement appel aux sens, aux perceptions<br />
de chacun. Pour <strong>Vasarely</strong>, l’art est ‘l’unité plastique de la<br />
société’ et son Manifeste Jaune de 1955 [NdT et non de<br />
1954 comme le dit le texte anglais] sur la démocratisation<br />
de l’art est profondément marqué par une attitude positive<br />
et progressiste envers la technologie, la société et l’esprit<br />
de l’art. Selon lui, le caractère unique d’une œuvre d’art<br />
et l’engagement personnel de l’artiste pour sa réalisation<br />
sont des concepts bourgeois. Il choisit de travailler pour sa<br />
part d’une façon qui se prête à la reproduction de masse<br />
au moyen de procédés techniques modernes. Créer des<br />
œuvres d’art qui décrient l’unicité de l’œuvre d’art pourrait<br />
certes être considéré comme une contradiction en soi.<br />
Cependant, contrairement à certains artistes, <strong>Vasarely</strong><br />
n’était pas hostile à la culture populaire, de sorte qu’il<br />
ne ressentait aucun tiraillement, aucun conflit intérieur<br />
à propos son œuvre. Selon lui, il ne s’agissait pas de se<br />
compromettre, mais de toucher le plus grand nombre de<br />
personnes possible. Son projet artistique se proposait en<br />
effet d’intégrer l’art dans la vie de tous les jours et de le<br />
rendre accessible à tous. Convaincu qu’il était possible<br />
de faire accéder les hommes à un univers où « l’art et le<br />
monde seraient à l’unisson » en jouant directement sur leur<br />
perception visuelle, il se concentra sur les effets d’optique.<br />
L’art de l’expérience spontanée.<br />
J’ai l’impression de mieux m’en sortir maintenant avec<br />
les pièces du puzzle, leurs protubérances et de façon plus<br />
générale leur contour. C’est sans doute parce que j’ai décidé<br />
de commencer par le cadre. Parallèlement, je commence à<br />
comprendre que l’art de <strong>Vasarely</strong> ne met pas seulement nos<br />
perceptions à mal, il se propose également de nous alerter<br />
sur la complexité de ce que nous sommes en train de vivre<br />
dans le monde qui nous entoure. Son œuvre se caractérise<br />
par un conflit, résultat de l’effort constant mais vain de<br />
nos yeux à distinguer clairement deux états de perception<br />
contradictoires. Pour parler en termes de psychologie<br />
perceptuelle (c’est-à-dire selon la théorie du Gestalt), notre<br />
cerveau peut aboutir à des solutions spatiales différentes<br />
pour le même stimulus. Etant habitués à voir le monde en<br />
trois dimensions, nous nous sentons obligés de choisir telle<br />
représentation spatiale ou telle autre, sans jamais parvenir<br />
à nous fixer sur aucune. Pour vérifier ceci, je laisse tomber<br />
le puzzle un instant et sors mon cahier. Je dessine au crayon<br />
deux carrés identiques légèrement décalés et les relie par<br />
quatre parallèles (voir figure II, p20). C’est le fameux cube<br />
de Necker, publié en 1832 par le cristallographe suisse<br />
L.A. Necker. Tandis que je fixe le dessin, un carré semble<br />
tout d’abord s’éloigner de moi et s’enfoncer dans le tableau<br />
tandis que l’autre semble se projeter en dehors de l’image.<br />
Il est fatiguant de regarder ce dessin pendant un moment<br />
car notre cerveau n’est pas capable de reconnaître deux<br />
structures contradictoires et de voir l’image telle qu’elle<br />
est, c’est-à-dire plane. Pour décrire ce phénomène,<br />
<strong>Vasarely</strong> parle d’‘effet en trompe-l’œil’, ou encore de ‘chocs<br />
émotionnels qui se succèdent sans interruption’. Ses<br />
tableaux font appel à une astuce similaire qui met notre<br />
vision à si rude épreuve que nos yeux prennent conscience<br />
de leur propre fonctionnement, qui devient le véritable sujet<br />
du tableau.<br />
J’ai maintenant devant moi le cadre du puzzle<br />
pratiquement complet, et dans la main la dernière pièce<br />
d’angle. C’est mon morceau préféré, car en le posant je<br />
finalise l’emboîtement cyclique des pièces, sans fin ni<br />
commencement. Je saisis maintenant quelques bribes du<br />
génie de cette structure. Quant à ce qui remplit l’intérieur du<br />
puzzle, à savoir Majus MC, je ne suis pas encore très sûr de<br />
ce dont il s’agit, mais je sais que c’est complexe et diversifié.<br />
Je dois avouer que je commence à vraiment m’amuser avec<br />
ce puzzle et j’ai l’impression de ne jamais avoir été aussi<br />
près de comprendre le génie magistral de <strong>Vasarely</strong>, maître<br />
absolu en matière de puzzles. Et c’est magnifique !<br />
John M. Cunningham<br />
Regional Cultural Centre<br />
Adrian Kelly<br />
The Glebe House & Gallery<br />
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