Le petit monde de Raymond Bigot - Université de Caen Basse ...
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<strong>Le</strong> <strong>petit</strong> <strong>mon<strong>de</strong></strong> <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong> <strong>Bigot</strong><br />
ou ‘<strong>Le</strong>s <strong>Bigot</strong> et autres Camus qui ont conduit à notre mère’.<br />
Jean-Pierre Diehl, mars 2010<br />
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Entrée en matière<br />
Cette note est née <strong>de</strong> nombreux colloques que nous eûmes Bertrand mon frère aîné (<strong>de</strong> trois<br />
ans) et moi une fois que nous réalisâmes <strong>de</strong> conserve que nous ne remettrions plus les pieds à<br />
la Hulotte, maison <strong>de</strong> notre grand-père <strong>Raymond</strong> <strong>Bigot</strong> à Honfleur, simplement parce que la<br />
succession <strong>de</strong> notre mère s’était conclue <strong>de</strong> telle manière qu’un frère seul l’avait reçu en<br />
donation et que pas <strong>de</strong> chance il n’était pas du genre partageur. En ce temps, je me focalisais<br />
sur la remontée <strong>de</strong>s Diehl, le père, et négligeais quelque peu ces <strong>Bigot</strong>, la mère, pensant que<br />
<strong>de</strong> ce côté-là, tout était connu et simple : n’avions-nous pas <strong>de</strong>s documents conservés par<br />
notre mère Rosette sur le sujet ? Que nenni. Bertrand insista : il y avait <strong>de</strong>s vi<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s<br />
manques, <strong>de</strong>s trous noirs. Alors on s’y attela, doucement, sans hâte. La photo ci-<strong>de</strong>ssus est <strong>de</strong><br />
Cristo Barnard qui fit partie <strong>de</strong> notre première mission paléo-historique à Honfleur ; elle me<br />
plait bien. Sur le prédécesseur <strong>de</strong> ce banc, <strong>Raymond</strong> venait souvent s’asseoir pour contempler<br />
Honfleur du plateau.<br />
Il y eut <strong>de</strong>ux ou trois autres missions. La <strong>de</strong>rnière nous mena au cimetière d’Equemauville<br />
pour fleurir la tombe <strong>Bigot</strong> à la Toussaint 2007. Marguerite, la femme <strong>de</strong> Bertrand, était avec<br />
nous. On roula jusqu’à Trouville par les <strong>petit</strong>es routes que nous prenions autrefois à pied. On y<br />
mangea dans un restaurant près <strong>de</strong> la halle aux poissons où Bertrand semblait avoir sa<br />
serviette et ses habitu<strong>de</strong>s. Des crevettes et un turbot à la nage, arrosés d’un <strong>petit</strong> blanc <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>rrière les fagots. Puis on mit le cap sur la Goulafrière, en <strong>de</strong>ssous d’Orbec où on avait repéré<br />
une origine <strong>Bigot</strong>. Après avoir fait chou blanc dans le cimetière, on trouva un homme sur un<br />
tracteur dans une ferme appelée La <strong>Bigot</strong>ière. Il s’appelait <strong>Bigot</strong>. Troublant. On échangea nos<br />
cartes <strong>de</strong> visite virtuelles, on rentra sur Paris. L’affaire prenait corps. Puis Bertrand fut attrapé<br />
par un cancer vitesse (un rein bouffé puis <strong>de</strong>ux puis le reste) et mourut en janvier 2008. Cette<br />
note lui est dédiée. Cristo disait : ‘forcément vous étiez très liés parce que vous aviez<br />
beaucoup joué ensemble <strong>petit</strong>s.’ C’est bien vrai. J’ai perdu à la fois un frère et un camara<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
jeu.<br />
<strong>Le</strong> document utilisé pour la couverture est un extrait <strong>de</strong> la carte <strong>de</strong> Guillaume Delisle, 1716.<br />
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Table <strong>de</strong>s matières<br />
A. L’acte fondateur : la mère 4<br />
B. <strong>Le</strong>s <strong>Bigot</strong> <strong>de</strong> La Goulafrière… et avant, <strong>de</strong> La Folletière 5<br />
C. <strong>Le</strong>s Brézot <strong>de</strong> l’Orbiquet (*) 8<br />
D. <strong>Bigot</strong> épouse Brézot 14<br />
E. <strong>Le</strong>s Camus <strong>de</strong> L’Aigle 23<br />
F. Jeanne et <strong>Raymond</strong>, parents <strong>de</strong> Rosette 32<br />
Annexes<br />
Annexe 1 <strong>Le</strong>s <strong>Bigot</strong> <strong>de</strong> la Goulafrière et <strong>de</strong> la Folletière, et diagramme 39<br />
Annexe 2 Ruralité hier et aujourd’hui 41<br />
Annexe 3 <strong>Le</strong>s ascendants Brézot, et diagramme 42<br />
Annexe 4 Mon<strong>de</strong> paysan, exo<strong>de</strong> rural 44<br />
Annexe 5 L’irrigation dans la vallée 47<br />
Annexe 6 <strong>Le</strong>s Camus et la mouvance Carpentier-Buffet-Bunel, et diagramme 48<br />
Annexe7 Des stars : <strong>Raymond</strong>, Jeanne, Lucie ... 50<br />
Annexe 8 En conclusion, <strong>de</strong> bien belles images <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong>, en pull,<br />
l’une d’elles avec chapeau, une autre sans. 54<br />
Annexe 9 Quelques pistes <strong>de</strong> recherche 57<br />
(*) <strong>Le</strong> plus souvent écrit Brezot dans les actes, ce patronyme se prononce Brézot.<br />
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3
A ce jour, je n’ai engagé aucune recherche <strong>de</strong> haut vol sur cette ascendance maternelle. Je me<br />
contente <strong>de</strong> livrer mes constructions à partir <strong>de</strong> ce que j’ai en main, pour l’essentiel <strong>de</strong>s<br />
photos anciennes conservées par notre mère, certains <strong>de</strong> ses écrits assez lacunaires (<strong>de</strong>ux<br />
<strong>petit</strong>s cahiers fragmentaires) et le résultat <strong>de</strong> quelques recherches en bibliothèque. Avec<br />
l’appui éminent <strong>de</strong> Françoise Tranduc (fille <strong>de</strong> Colette et ma seule cousine germaine ; et elle<br />
habite <strong>Caen</strong> !) et <strong>de</strong> son mari Alain, j’ai commencé à questionner les états civils 1 . Et j’ai mis à<br />
contribution <strong>de</strong>s souvenirs personnels <strong>de</strong> bric et <strong>de</strong> broc.<br />
A ce point, j’ai une image assez précise <strong>de</strong> l’affaire en question pour rédiger cette note, qui<br />
comporte un texte principal et <strong>de</strong>s annexes. Certaines <strong>de</strong>s annexes peuvent paraître<br />
incongrues : c’est le privilège d’un auteur d’introduire <strong>de</strong>s annexes incongrues.<br />
Cette note pourra être enrichie <strong>petit</strong> à <strong>petit</strong>, comme l’oiseau fait son nid. Mais je tiens à<br />
préciser : l’œuvre et l’art <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong> <strong>Bigot</strong> ne seront pas abordés, il y a <strong>de</strong>s spécialistes pour<br />
cela.<br />
A. L’acte fondateur : la mère<br />
Notre mère Rosette, conçue en septembre 1913, est le fruit unique <strong>de</strong> l’union d’un <strong>Bigot</strong> et<br />
d’une Camus. Ces <strong>de</strong>ux-là ne vivaient pas loin l’un <strong>de</strong> l’autre, dans les confins du pays d’Auge<br />
pour <strong>Raymond</strong>, dans le pays d’Ouche pour Jeanne. <strong>Le</strong> coin en bas à droite du Calvados et à<br />
l’extrême-gauche <strong>de</strong> l’Eure, le coin en haut à droite <strong>de</strong> l’Orne : 30 km à tout casser. Des<br />
Normands. Si on <strong>de</strong>scend l’Orbiquet <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong>, on arrive à Trouville, si on <strong>de</strong>scend la Rille<br />
(ou Risle aujourd’hui) <strong>de</strong> Jeanne, on arrive à Berville sur la Seine. Et justement quand ils se<br />
marièrent, ils s’installèrent à Honfleur, à mi-chemin entre Trouville et Berville.<br />
Nous avons fréquenté <strong>Raymond</strong> et Jeanne, mais pas leurs parents : on connaît rarement ses<br />
arrières grands-parents. Et bien sûr on ne s’est intéressé à leur existence qu’après que notre<br />
mère eut disparu.<br />
Jeanne avait 38 ans quand naquit sa fille Rosette (son nom d’usage). Ce n’est pas très jeune<br />
pour une mère, surtout à l’époque. <strong>Raymond</strong> en avait 42. Ils avaient réfléchi <strong>de</strong>ux ans avant<br />
<strong>de</strong> la mettre en route. Rosette sera une enfant unique sur-entourée, surprotégée.<br />
Donc Rosette est née à Honfleur (en fait Equemauville, qui est la commune limitrophe <strong>de</strong>s<br />
hauts d’Honfleur : la maison <strong>Bigot</strong>, la Hulotte, dans la Côte <strong>de</strong> Grâce, était à flanc <strong>de</strong> falaise,<br />
littéralement à cheval sur les <strong>de</strong>ux communes). Honfleur en bas, le port, les corsaires, les<br />
découvreurs, les marins, les filles <strong>de</strong> joie et les pécheurs, Equemauville en haut, les champs,<br />
les vaches, les paysans, les maquignons. La carte <strong>de</strong> Cassini montre cela avec clarté.<br />
1 En cela, cette note diffère nettement <strong>de</strong> mes textes sur les Diehl qui, eux, sont fondés sur <strong>de</strong>s recherches poussées et<br />
<strong>de</strong>s entretiens avec <strong>de</strong>s pasteurs, <strong>de</strong>s généalogistes amateurs, <strong>de</strong>s cousins supposés, <strong>de</strong>s heures dans les cimetières, etc.<br />
J’ai complété ce texte par <strong>de</strong>s textes en annexe qui n’ont d’autre lien entre eux que d’être joints à cette note.<br />
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Pourquoi a-t-on inventé <strong>de</strong>ux communes ? <strong>Le</strong> fruit <strong>de</strong> l’histoire. <strong>Le</strong>s gens d’en bas n’avaient<br />
pas grand-chose en commun avec les gens d’en haut, sous Louis 15 et la suite, mais ils<br />
s’intégraient dans un <strong>mon<strong>de</strong></strong> entre terre et mer, se mettaient en affaire, se mariaient. C’est<br />
cela l’incroyable attrait <strong>de</strong> Honfleur : un pied dans l’eau, un pied dans le pré et le troisième<br />
dans les nuages.<br />
Dans ce texte, nous ne parlerons pas vraiment d’Honfleur pour <strong>de</strong> bon, sinon à la fin, car ce<br />
n’est franchement pas le sujet. Mais d’où venaient Jeanne et <strong>Raymond</strong> ?<br />
B. <strong>Le</strong>s <strong>Bigot</strong> <strong>de</strong> La Goulafrière… et avant, <strong>de</strong> La Folletière<br />
Dans ses ‘cahiers’ (en fait onze pages d’un <strong>petit</strong> cahier scolaire, 212 lignes au total), Rosette<br />
a écrit ce qu’elle savait <strong>de</strong> ses origines paternelles.<br />
« Juin 1973. Un jour à Honfleur, dans une vieille armoire, j’ai découvert <strong>de</strong>s paquets <strong>de</strong><br />
lettres, <strong>de</strong> photographies jaunies, qui aujourd’hui ont cent ans, toutes sortes <strong>de</strong><br />
souvenirs. Alors ressurgit tout un ancien passé étrange, fascinant mais encore très<br />
vivant, celui <strong>de</strong> mes aïeux auxquels je me sens très intimement liée. C’est alors que<br />
.<br />
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5
m’est venue l’idée <strong>de</strong> les fixer, ces souvenirs, précieux maillons pour ceux qui me<br />
suivront, en route vers leur avenir. Je souhaite les faire revivre un instant, tous ceux<br />
qui m’ont précédée, aussi intensément qu’il m’arrive <strong>de</strong> penser que je les ai connus.<br />
Voici d’abord la famille <strong>Bigot</strong> dont je porte le patronyme. Curieusement c’est d’eux que<br />
je possè<strong>de</strong> le moins <strong>de</strong> précisions. Ils sont tous originaires <strong>de</strong> La Goulafrière, à côté<br />
d’Orbec. Il y a cent cinquante ans, vers le milieu du XIXème, ils avaient <strong>de</strong>s terres dans<br />
la région. Il y a encore dans le cimetière <strong>de</strong> La Goulafrière <strong>de</strong>s tombes <strong>de</strong> <strong>Bigot</strong>,<br />
sûrement <strong>de</strong> lointains parents. Celui dont je possè<strong>de</strong> les premières photos et l’état civil<br />
est mon grand-père, Arsène <strong>Bigot</strong>, 1842-1912. » Né le 21 avril 1842 pour être précis.<br />
Arsène en 1868, par L. Turpin, Orbec<br />
‘<strong>Le</strong>s ancêtres paternels (<strong>de</strong> Paul <strong>Bigot</strong>) habitaient aux confins du Pays d’Ouche, en cette plaine<br />
austère et tourmentée où les communes <strong>de</strong> la Goulafrière et <strong>de</strong> Bonneval ont taillé leur<br />
territoire. Ils cultivaient la terre et gardaient <strong>de</strong>s moutons.’ (<strong>Le</strong>s Echos du Calvados, numéro<br />
du 17 juin 1942 : un article consacré au décès <strong>de</strong> Paul)<br />
En fait, le lieu d’émergence <strong>de</strong> nos <strong>Bigot</strong> se situe dans le Calvados à la Folletière, dans la<br />
haute vallée <strong>de</strong> l’Orbiquet, à <strong>de</strong>ux pas <strong>de</strong> l’Eure ; on est encore dans le Pays d’Auge.<br />
On y repère un couple François <strong>Bigot</strong> – Anne Rosey vers 1700. Des gens du commerce du lin<br />
et <strong>de</strong>s rubans. Deux générations plus tard, Robert monte sur le ‘plateau’, à dix kilomètres au<br />
6<br />
6
sud, dans l’Eure cette fois, à la Goulafrière : il a épousé une veuve qui avait hérité <strong>de</strong>s terres<br />
<strong>de</strong> son défunt mari. Cette fois-là, on est à l’orée du Pays d’Ouche. C’est à ce Robert qu’on doit<br />
donc la légen<strong>de</strong> agricultrice colportée dans la famille : en fait on n’a jamais vraiment quitté le<br />
commerce.<br />
Nous sommes passés Bertrand et moi à la Goulafrière (168 habitants, pas un <strong>de</strong> plus) à<br />
l’automne 2007. Faute <strong>de</strong> temps, nous n’avons pas trouvé <strong>de</strong> sépulture <strong>Bigot</strong> dans le cimetière<br />
mais nous sommes tombés sur <strong>de</strong>s <strong>Bigot</strong> cultivateurs. Des cousins nous sommes-nous<br />
exclamés. Cela reste à démontrer car ces <strong>Bigot</strong>-là dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la commune voisine <strong>de</strong><br />
Montreuil l’Argillé. Mais peut-être sont-ce <strong>de</strong>s cousins tout <strong>de</strong> même. Un examen <strong>de</strong>s pièces<br />
d’état civil permet <strong>de</strong> faire remonter notre Arsène à un Robert qui vivait au 18 ème siècle<br />
(l’annexe 1 donne <strong>de</strong>s informations sur cela, avec un ‘arbre’ rustique). En fait il y aurait eu au<br />
19 ème <strong>de</strong>ux familles <strong>Bigot</strong> distinctes dans la zone : les <strong>de</strong>scendants <strong>de</strong> notre Robert (dont nous<br />
et ces cousins), et ceux d’un François.<br />
La famille ‘Robert’ -celle d’Arsène, la nôtre- comportait <strong>de</strong>ux branches, à la suite <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux fils<br />
<strong>de</strong> Robert, vivant au hameau du Coudray. A la révolution, le premier fils, Gilles, aurait<br />
engendré une famille centrée sur le hameau <strong>de</strong> la Morinière (les <strong>Bigot</strong> au tracteur que nous<br />
avons croisés <strong>de</strong>scendraient <strong>de</strong> ceux-là), le second, Michel, une <strong>de</strong>scendance sur les terres du<br />
père au hameau du Coudray (nos <strong>Bigot</strong>). L’autre famille <strong>Bigot</strong> repérée <strong>de</strong>scend d’un François<br />
éponyme suivi <strong>de</strong> Jean <strong>de</strong> père en fils ; ceux-là sont aussi au Coudray mais également au<br />
Hamel : je n’ai pas trouvé <strong>de</strong> lien entre eux et la famille Robert (il pourrait y en avoir : on<br />
trouve le prénom François dans ‘notre’ branche). Enfin on trouve quelques <strong>Bigot</strong> épars. Quand<br />
on lit l’état civil, on aperçoit <strong>de</strong>s bouffées d’enfants <strong>Bigot</strong> en aval d’un mariage puis un silence<br />
<strong>de</strong> vingt ans.<br />
Ci-<strong>de</strong>ssous, je mets la carte <strong>de</strong>s Cassini <strong>de</strong> la zone, simplement car elle est plus utile au<br />
lecteur <strong>de</strong> ce texte que les cartes actuelles. On y voit les hameaux, on est moins pressé d’aller<br />
d’une ville à l’autre, on n’est pas écrasé par le réseau routier, le relief est simpliste mais<br />
compréhensible. On y voit le Coudray et la Morinière, fiefs <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>ux branches.<br />
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7
Michel notre ancêtre (1769-1839), le second fils <strong>de</strong> Robert tait ‘journalier’ (ce qui veut dire ‘à<br />
son compte, sans charrue ni outils’), ‘boucher’ ou ‘marchand’ selon les actes. On parle <strong>de</strong><br />
moutons : pour la laine ? pour la vian<strong>de</strong> ? pour les déjections-engrais ? pour les trois ?<br />
Il mit sa femme à dure épreuve : en quatorze ans, douze enfants. Cinq au moins moururent<br />
en bas âge. Léonard arriva en 1816, le onzième. Il se fit appeler Léonore. On peut voir son<br />
extrait <strong>de</strong> naissance en annexe 1.<br />
Léonore, qui avait vécu dans sa jeunesse l’espoir d’un renouveau <strong>de</strong> l’élevage <strong>de</strong> moutons, dut<br />
sentir le déclin inéluctable. Cela ne se passait pas qu’à la Goulafrière mais dans toute la<br />
France : le protectionnisme <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong> l’Empire et <strong>de</strong> la Restauration se dissipait pour<br />
laisser place au libre échange et à l’importation massive <strong>de</strong> laines venues <strong>de</strong> l’hémisphère sud.<br />
Il est fort vraisemblable qu’il prépara son fils à un avenir dégagé <strong>de</strong>s fermes : Arsène l’aîné<br />
sera commerçant et épousera une fille <strong>de</strong> la ville. Et il répartit les risques entre la ville et la<br />
campagne : il maria ses <strong>de</strong>ux filles, Célestine et Aglaé, à <strong>de</strong>ux paysans <strong>de</strong> la Goulafrière,<br />
Isidore Deschamps et Léoni<strong>de</strong> <strong>Le</strong>comte qui engendreront <strong>de</strong>s <strong>petit</strong>s paysans.<br />
On aurait aimé avoir plus d’informations sur ces <strong>Bigot</strong>. Hélas, les paysans ne laissent<br />
guère <strong>de</strong> traces dans l’histoire écrite hormis les actes d’état civil. Si nos supposés<br />
cousins <strong>de</strong> la Morinière avaient dans <strong>de</strong>s coffres ou <strong>de</strong>s archives <strong>de</strong>s documents<br />
d’intérêt, ils pourraient être intéressés à les lire et les mettre en perspective : la<br />
présente note leur sera transmise (voir l’annexe 2).<br />
Arsène semble avoir été un jeune-homme séduisant. Léonore son père fut sans doute à<br />
l’origine <strong>de</strong> son départ pour Orbec. Arsène débuta à 14 ou 15 ans comme commis chez un<br />
maître drapier <strong>de</strong> la rue Gran<strong>de</strong>, Achille Plesseret ; il logeait chez son patron. Arsène était<br />
toujours chez le même patron en 1866 : au recensement, il était <strong>de</strong>venu employé, il avait 24<br />
ans. Il créa son commerce en 1867 ou 1868. Très certainement ce fut Léonore qui avança<br />
l’argent pour créer et meubler la boutique <strong>de</strong> la Rue Gran<strong>de</strong> 2 , environ 30 000 euros<br />
d’aujourd’hui (voir le paragraphe D plus bas).<br />
Il ne lui restait plus qu’à trouver une épouse agréable, ce qui fut fait en <strong>de</strong>ux ans. Une Brézot.<br />
C. <strong>Le</strong>s Brézot <strong>de</strong> l’Orbiquet<br />
Rosette poursuit : « (Arsène <strong>Bigot</strong>) épousa Marie Brezot. L’ancêtre <strong>de</strong>s Brezot, c’est<br />
Pierre Brezot (1816-1880 3 ), un <strong>de</strong>scendant direct <strong>de</strong> cette branche venue du<br />
Danemark sous Louis XV. Ils étaient tous forestiers. Ils étaient venus pour exploiter les<br />
forêts du comte <strong>de</strong> Colbert-Laplace. Il est resté dans cette région d’Orbec et il y a fait<br />
souche. J’en ai beaucoup entendu parler dans la famille. J’ai ses photos. Il a la haute<br />
taille, le cheveu blond ondulé, le regard lointain, clair. Bel homme habitué à scruter la<br />
mer, en vrai viking. Il était intelligent et entreprenant. En 1835 il inventa un métier à<br />
effilocher la laine. Il <strong>de</strong>vient constructeur et vend (ses machines) à toute l’Europe. A<br />
l’époque il fallait <strong>de</strong> l’audace. »<br />
La référence viking d’abord : l’annexe 4 l’évoque pour l’éliminer. C’est un enjolivement <strong>de</strong><br />
Rosette qui rêvait <strong>de</strong> châtelains, <strong>de</strong> parcs et d’une référence à l’an mil (elle avançait<br />
également que les <strong>Bigot</strong> <strong>de</strong>scendaient d’un compagnon <strong>de</strong> Guillaume le Conquérant). Or aucun<br />
<strong>de</strong>s Brézot n’a été forestier : tous ont été laboureurs, certains sont <strong>de</strong>venus tisserands <strong>de</strong><br />
2 L’usage <strong>de</strong> la terre avait profondément changé entre 1750 et 1850. <strong>Le</strong>s labours avaient été abandonnés pour être<br />
transformés en herbages. L'élevage s’était développé : les bovins évi<strong>de</strong>mment mais aussi les moutons, pour leur vian<strong>de</strong><br />
et surtout pour leur laine. Traditionnellement laboureurs, les paysans avaient du <strong>de</strong>venir éleveurs ce qui n’est pas<br />
exactement pareil.<br />
3 Rosette hésitait sur ces dates. Celles que nous donnons viennent toutes <strong>de</strong> l’état civil.<br />
8<br />
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‘froc’ 4 , et à la <strong>de</strong>rnière génération on trouve <strong>de</strong>s ‘mécaniciens’ ou ‘hydrauliciens’. C’est moins<br />
exotique que d’être les employés <strong>de</strong>s Colbert-Laplace (ceux-ci n’ont pris possession du<br />
château <strong>de</strong> Mailloc qu’à la Restauration, alors que notre Pierre était adolescent) mais c’est plus<br />
logique et tout aussi intéressant, voire plus.<br />
La seule certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’histoire familiale qui est confirmée est celle-ci : on faisait <strong>de</strong> ce Pierre<br />
Brézot un inventeur qualifié qui, grâce aux lettres reçues du <strong>mon<strong>de</strong></strong> entier <strong>de</strong> gens qui<br />
s’informaient <strong>de</strong> ses brevets, aurait composé une collection <strong>de</strong> timbres d’une gran<strong>de</strong> valeur<br />
affective. Et c’est vrai. Il était né à la Cressonnière, au hameau du Buisson, tout près d’Orbec.<br />
Son père, Pierre Michel, était, lui, né à Cernay, à 3 km à l’ouest. Il s’était installé et marié à la<br />
Cressonnière avec une Rosalie <strong>Le</strong> Devin, orpheline, qui y résidait. Il en eut sept enfants. Pierre<br />
était le second.<br />
« La Cressonnière, <strong>petit</strong>e commune d'une superficie <strong>de</strong> 458 hectares, peuplée <strong>de</strong> 193<br />
habitants, et dont l'église, élevée sur un mamelon, domine un vallon pittoresque,<br />
arrosé par une <strong>petit</strong>e rivière qui approvisionne une importante papeterie, et donne son<br />
nom à la commune. L'église n'offre rien <strong>de</strong> particulier sous le rapport architectural. »<br />
Amédée Tissot, dans ‘Chemin <strong>de</strong> fer <strong>de</strong> Lisieux à Orbec : <strong>petit</strong> gui<strong>de</strong> du promeneur et<br />
du touriste’, Lisieux, imprimerie Lajoye-Tissot, 1873. 100 pages. En 1973, la commune<br />
4 <strong>Le</strong> froc (prononcer fro’) était une étoffe <strong>de</strong> laine grossière mais soli<strong>de</strong>. ‘Il n'est permis d'y employer que <strong>de</strong>s laines <strong>de</strong><br />
France, & <strong>de</strong>s agnelins tondus à dos. Il est défendu <strong>de</strong> le fabriquer avec plis, peignons, bourres, moraines, & autres<br />
matières <strong>de</strong> mauvaise qualité’. <strong>Le</strong> froctier était un fabricant-tisserand <strong>de</strong> frocs. La fabrication était alors presque<br />
exclusivement concentrée dans le canton d'Orbec. <strong>Le</strong>s fabricants apportaient leurs frocs au marché d’Orbec, où les<br />
marchands <strong>de</strong> Lisieux et <strong>de</strong> Bernay se rendaient chaque mercredi et y enlevaient les 1 500 ou 1 800 pièces exposées.<br />
9<br />
9
<strong>de</strong> La Cressonnière a été rattachée dans celle <strong>de</strong> St Martin <strong>de</strong> Bienfaite sous le régime<br />
<strong>de</strong> fusion/association.<br />
Ce Pierre Michel présentait une caractéristique spectaculaire qu’on prêtait à tort à un autre,<br />
(Galopin <strong>de</strong> l’Aigle : voir plus loin) : il était allé en Russie avec Napoléon et en était revenu, un<br />
exploit en soi quand on y pense 5 . Etait-ce son choix ? Avait-il été conscrit ? Je penche pour la<br />
secon<strong>de</strong> hypothèse. N’empêche : à son retour, il dut jouir d’une certaine réputation dans le<br />
bourg. Il ne dut pas avoir grand mal à réunir la somme nécessaire à se payer son métier à<br />
tisser (l’équivalent <strong>de</strong> 300 euros). <strong>Le</strong> mariage avec Rosalie eut lieu quelques jours après la<br />
première restauration. Napoléon revint, puis repartit. L’année suivant, <strong>Le</strong> couple Brézot eut<br />
une <strong>petit</strong>e Marie, puis Pierre, puis Alexis Elie, puis … <strong>Le</strong>s tisserands avaient un grand appétit<br />
d’enfants car ils avaient besoin <strong>de</strong> main d’œuvre domestique, pour préparer les laines, pour<br />
nouer les fils, pour garnir les navettes, … 6 .<br />
Donc sur les actes publics, on trouve Pierre Michel comme froctier. On peut penser que Pierre,<br />
son fils ainé, fut très tôt associé à ces travaux en famille. Il est assez naturel qu’il se soit<br />
montré inventif, au point <strong>de</strong> construire sa carrière sur l’amélioration <strong>de</strong>s machines d’une<br />
industrie qui, on le regrettera, allait mettre <strong>de</strong> fait tous ces froctiers au chômage. Parions<br />
cependant que Pierre Michel avait fière allure quand il mettait son habit <strong>de</strong> fête pour les<br />
foires : « Un tisserand froctier a habit, veste et culotte <strong>de</strong> froc brun qu'il porte avec <strong>de</strong>s bas <strong>de</strong><br />
laine bleue et cravate <strong>de</strong> mousseline (1792). »<br />
<strong>Le</strong>s ascendants Brézot sont repérés dans les actes <strong>de</strong> l’état civil : c’est l’objet <strong>de</strong><br />
l’annexe 4. Contentons-nous <strong>de</strong> dire ici que ce sont <strong>de</strong>s paysans, sans doute tisserand<br />
comme appoint, venus initialement <strong>de</strong> Chamboy dans le nord <strong>de</strong> l’Orne, sur les bords<br />
<strong>de</strong> la Dives : illettrés, prêts à se déplacer pour gagner leur vie, prenant femme là où ils<br />
arrivent. Des migrants intérieurs, dirait-on aujourd’hui.<br />
Pierre était autodidacte et écrivait simplement sans les fioritures en usage à l’époque. Il fut<br />
dispensé du service militaire pour avoir tiré un bon numéro (qu’en pensa son père, l’ancien<br />
grognard ?). Il fut d’abord ‘maréchal’ (c’est-à-dire maréchal taillandier, un homme du fer et<br />
5 La confirmation irréfutable est qu’il s’était vu décerner en 1857 la médaille <strong>de</strong> Sainte Hélène, dossier 62 539.<br />
6 « <strong>Le</strong>s enfants étaient occupés à dévi<strong>de</strong>r les écheveaux <strong>de</strong> fils <strong>de</strong> trame et à les enrouler sur les fuseaux <strong>de</strong> la navette,<br />
que, dès 10 ou 11 ans, garçons ou filles apprenaient à lancer, suivant un manuscrit <strong>de</strong> l’ouvrier Bion, conservé à la<br />
Bibliothèque <strong>de</strong> Rouen. <strong>Le</strong> tisserand avait trop besoin d’ai<strong>de</strong> pour ne pas gar<strong>de</strong>r ses enfants à l’atelier. Ils ne vivaient<br />
donc pas toujours au grand air comme les fils <strong>de</strong>s paysans. L’industrie familiale ne fut donc pas toujours une idylle. »<br />
10<br />
10
<strong>de</strong>s outils), sans doute après un apprentissage chez un forgeron. Puis il s’installa à Orbec 7 ,<br />
<strong>de</strong>vint ‘mécanicien’ (ce qui recouvre à la fois <strong>de</strong>s capacités d’invention et la maîtrise <strong>de</strong><br />
l’architecture du fer) et enfin ‘effilocheur’ lorsqu’il inventa sa ou ses machines pour les<br />
industriels <strong>de</strong> la région et créa sa propre entreprise d’effilochage. Voici un <strong>de</strong> ses brevets (il y<br />
en eut peut-être d’autres).<br />
A cette époque, l'industrie textile prospérait dans le Pays d'Auge. <strong>Le</strong> travail <strong>de</strong> la laine<br />
l'emportait dans la vallée <strong>de</strong> l'Orbiquet. <strong>Le</strong>s filatures mécaniques avaient supplanté le travail<br />
familial puis artisanal et avaient remplacé comme employeur majeur les moulins à foulon pour<br />
les frocs. <strong>Le</strong>s laines importées se substituaient aux laines locales, dont celles <strong>de</strong> la Goulafrière.<br />
<strong>Le</strong> tissage se mo<strong>de</strong>rnisa après 1850. L'énergie hydraulique fut remplacée par les machines à<br />
vapeur à partir <strong>de</strong> 1860.<br />
Fils <strong>de</strong> froctier, au fait <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> filage et <strong>de</strong> tissage, formé sur le tas par <strong>de</strong>s gens qui<br />
savaient <strong>de</strong>viner son talent, Pierre prit appui sur la révolution industrielle en cours et s’établit<br />
à son compte. Tandis que son père <strong>de</strong>vint ‘propriétaire’ et gar<strong>de</strong> champêtre à la Cressonnière,<br />
lui fit son chemin à Orbec, et fut sans doute suivi quelques années plus tard par son frère<br />
puiné Elie qui s’était spécialisé dans les travaux hydrauliques ruraux : adduction d’eau,<br />
irrigation raisonnée <strong>de</strong>s pâturages (dans la vallée <strong>de</strong> l’Orbiquet, on appelait cela le baignage’ :<br />
voir l’annexe 5). Elie eut une <strong>de</strong>scendance marquée par <strong>de</strong>s décès cruels : sa bru, son <strong>petit</strong>fils<br />
le serrurier…<br />
Quant aux autres enfants du couple Brézot- <strong>Le</strong> Devin, à part Elie, je ne sais pas<br />
(encore) ce qu’il advint d’eux. Pourtant, on voit un net mouvement <strong>de</strong>s <strong>petit</strong>s bourgs<br />
ruraux, avec leurs laboureurs et leurs fermiers, vers la ville, Orbec, ce qui<br />
s’accompagne d’un changement d’activité : la mécanique, l’horlogerie, la serrurerie… Il<br />
n’y aura pas <strong>de</strong> retour à la terre.<br />
Dans les documents publics, je trouve Pierre comme industriel d’Orbec en <strong>de</strong>ux endroits. Une<br />
première fois à l’Inventaire général du patrimoine culturel : « à Orbec, au 3-5 rue <strong>de</strong>s Osiers,<br />
une usine à tourner le fer construite en 1851 par ‘Brézot’ (avec un accent), équipée d'une roue<br />
hydraulique. Réglementée par arrêtés préfectoraux du 1er juillet 1852 et du 17 mars 1863,<br />
elle cesse <strong>de</strong> fonctionner vers 1880 ».<br />
On sait par le recensement <strong>de</strong> 1866 qu’il habitait rue <strong>de</strong>s Osiers avec femme et<br />
enfants, dont Marie : sans doute tout contre sa fabrique. On était à moins <strong>de</strong> cent<br />
mètres <strong>de</strong> la boutique d’Arsène.<br />
La photo ci-après représente la (courte) rue <strong>de</strong>s Osiers vers la fin du 19éme siècle ; l’eau <strong>de</strong> la<br />
Vespière, une puissante rivière <strong>de</strong> résurgence, coule dans la rigole à gauche (on appelait<br />
d’ailleurs la Vespière ‘la Rigole’) et actionne les machines <strong>de</strong> Brézot.<br />
7 « Orbec est une <strong>petit</strong>e ville <strong>de</strong> 3 000 habitants, bien bâtie et assez commerçante, sur une rivière qui prend sa source à<br />
une lieue <strong>de</strong> là, à la Folletière. Cette rivière, qui sort <strong>de</strong>s couches inférieures <strong>de</strong> la craie verte, fait moudre un moulin<br />
en sortant <strong>de</strong> terre, et il n'y a pas à douter qu'elle ne soit le résultat d'un courant souterrain qui a parcouru pendant<br />
quelque temps une vallée dont il a reçu les sources avant <strong>de</strong> paraître à la surface du sol. » Annuaire <strong>de</strong>s cinq<br />
départements <strong>de</strong> l'ancienne Normandie, 15e année par l'Association norman<strong>de</strong> (1849).<br />
11<br />
11
Je trouve Pierre une secon<strong>de</strong> fois dans le ‘<strong>petit</strong> gui<strong>de</strong> du promeneur et du touriste’, d’Amédée<br />
Tissot (opus cité), où il est le promoteur« d’une usine, pour fabrication et réparation <strong>de</strong><br />
machines (la rue <strong>de</strong>s Osiers) » et « d’une fabrique d'effilochage <strong>de</strong> déchets <strong>de</strong> laine » (à<br />
Beauvoir, avec un Augustin Laprestey, dit ‘marchand <strong>de</strong> laines’). Dans les années 1870 donc,<br />
en sommeil les Osiers, on passa à l’effilochage. <strong>Le</strong>s brevets datent <strong>de</strong>s années 1855-1860.<br />
Pierre <strong>de</strong>vait tester dans cette usine Beauvoir ses machines effilocheuses en compagnie <strong>de</strong><br />
Laprestey, natif <strong>de</strong> la Vespière et <strong>de</strong> sept ans son ca<strong>de</strong>t.<br />
L’usine Beauvoir était au bord <strong>de</strong> l’eau 8 , à la sortie d’Orbec, aux Sept vannes.<br />
8 L’usine Beauvoir, comme on l’appelait en 1900, avait été construite vers 1818 par Laillier sur le site d'un moulin à<br />
foulon et augmenté d'une filature avant 1825. Dans les années 1850, elle consommait une quarantaine tonnes <strong>de</strong> laine et<br />
d’effilochés par an. <strong>Le</strong>s <strong>de</strong>ux ateliers furent réglementés le 29 décembre 1854. Entre 1914 et 1928, la filature fut<br />
convertie en moulin en farine (source : Patrimoine <strong>de</strong> France notice n° IA14000866). L’effilochage produit <strong>de</strong> la laine<br />
12<br />
12
Pierre et sa famille changèrent <strong>de</strong> logement. On le trouve désormais au « hameau <strong>de</strong><br />
Beauvoir » en contrebas d’Orbec, au bord <strong>de</strong> l’Orbiquet, près <strong>de</strong> l’usine. La maison était peutêtre<br />
sur la rive opposée à l’usine, dans le bourg même <strong>de</strong> Beauvoir là où la carte <strong>de</strong> Cassini le<br />
situe (une consultation du cadastre et <strong>de</strong>s recensements permettrait <strong>de</strong> le savoir).<br />
Il avait épousé en 1846 une femme d’un village voisin (Meulles), Marie Victoire Surlemont (21<br />
avril 1815-1887), fille d’un homme du coin <strong>de</strong>venu jardinier à Rouen et d’une femme qui,<br />
séparée <strong>de</strong> son mari, était rentrée chez sa mère, à Gourgon dans l’Orne, tout près <strong>de</strong><br />
Meulles) : une rareté à cette époque.<br />
Je vous montre maintenant Pierre et sa femme vers 1870. Je n’ai pas <strong>de</strong> photo potable d’eux,<br />
mais simplement <strong>de</strong>s photocopies que j’ai scannées (un <strong>de</strong> mes frères -mais lequel ?- a les<br />
originaux). Elles ont été sans doute prises vers la fin <strong>de</strong>s années 1860 par L. Turpin, à la<br />
même date que celles <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux filles proposées après. Tous les <strong>de</strong>ux ont alors un peu plus <strong>de</strong><br />
cinquante ans.<br />
dite ‘<strong>de</strong> récupération’ par déchirage <strong>de</strong> tissus usagés et récupération <strong>de</strong>s déchets récoltés tout au long <strong>de</strong>s opérations<br />
textiles (qui <strong>de</strong>vaient exister en quantité dans la région du fait <strong>de</strong> l’importante activité ancestrale <strong>de</strong> fabrication <strong>de</strong><br />
‘frocs’ et autres tissus d’usage). On dirait aujourd’hui qu’il s’agit d’une opération <strong>de</strong> recyclage et <strong>de</strong> valorisation.<br />
13<br />
13
Un vieil instituteur confie aux Echos du Calvados : « Quelle belle lignée que celle <strong>de</strong>s Brézot.<br />
Tous intelligents, chercheurs, possédés par le goût <strong>de</strong> la découverte. <strong>Le</strong> grand-père <strong>de</strong> Paul<br />
<strong>Bigot</strong> ne fut-il pas l’inventeur d’un métier à effilocher la laine ? Ce sont <strong>de</strong>s ‘gens <strong>de</strong> la vallée’ ;<br />
leur activité se concentre sur les usines, sur les chutes d’eau, sur les bois » (1942, op. cité).<br />
<strong>Le</strong> couple eut trois enfants : Marie, Victorine et Georges, nés entre 1847 et 1855.<br />
Dans les annexes 3 et 4, nous donnons les quelques renseignements que nous avons sur<br />
l’ascendance Brézot. Disons ici ce qu’on sait <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong> Pierre.<br />
Rosette écrit : « Pierre fut secondé dans sa tâche par ma propre grand-mère Marie et ma<br />
(tante) Victorine (que) j’ai connue dans mon enfance, aveugle, mais à vingt ans, elle avait son<br />
<strong>petit</strong> Tilbury à gran<strong>de</strong> allure pour la joie <strong>de</strong> mon père enfant. » Que purent faire ses filles pour<br />
le secon<strong>de</strong>r ? Des correspondances, <strong>de</strong> la comptabilité, <strong>de</strong>s relations publiques sans doute.<br />
Georges (tout à droite) prit la succession <strong>de</strong> son père dans l’usine d’effilochage, mais fit faillite<br />
9 et poursuivit ailleurs sa vie comme ‘industriel’, sans autre précision qu’une liste, compilée<br />
par Rosette, <strong>de</strong>s enfants qu’il eut <strong>de</strong> Lucie <strong>Le</strong>roux, une nièce du peintre Boudin 10 .<br />
Mais l’absence, dans la saga familiale, <strong>de</strong> référence à Marie Surlemont, épouse <strong>de</strong> Pierre, pose<br />
question. Elle survécut sept ans à son mari et <strong>Raymond</strong> la connut jusqu’à ses quinze ans, mais<br />
pas au point <strong>de</strong> la valoriser auprès <strong>de</strong> Rosette.<br />
<strong>Le</strong> seul autre <strong>de</strong>scendant du froctier qui ait laissé une trace publique est Elie, fils d’Alexis Elie<br />
et neveu <strong>de</strong> Pierre, ci-<strong>de</strong>ssous en conscrit : il <strong>de</strong>vint, à la suite <strong>de</strong> son père, un entrepreneur<br />
<strong>de</strong> travaux ruraux à Orbec et dans la vallée 11 .<br />
9 Par jugement du 19 décembre 1890, l’entreprise <strong>de</strong> Georges Brézot, effilocheur d’Orbec, est mise en liquidation. Un<br />
liquidateur est nommé, M. Desportes. Source : Archives commerciales <strong>de</strong> France, 27 décembre 1890<br />
10 <strong>Le</strong> couple Georges-Lucie <strong>Le</strong>roux eut quatre enfants ; <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s trois fils eurent une <strong>de</strong>scendance que connaissait<br />
Rosette, dont un Marcel qui avait son âge. Mais on ne rencontrait ces cousins que dans les cimetières : il en va ainsi <strong>de</strong>s<br />
familles qui manquent <strong>de</strong> point focal.<br />
11 « Elie Brézot, d’une conduite digne d’éloges et d’une capacité rare pour un journalier, a conduit et exécuté <strong>de</strong><br />
grands travaux d’irrigation chez Monsieur <strong>de</strong> Monville à la Cressonnière. Parmi ces travaux, il faut citer un très long<br />
aqueduc, véritable tunnel servant à conduire les eaux d’une prairie dans une autre, en suivant un chemin<br />
d’exploitation. (…) <strong>Le</strong> bureau <strong>de</strong> la société a accordé à Brézot (et à Cordier) <strong>de</strong>ux médailles supérieures à celles qu’ils<br />
ont déjà reçues. » Annuaire <strong>de</strong>s cinq départements <strong>de</strong> l’ancienne Normandie, Bulletin <strong>de</strong> l’agriculture, <strong>de</strong> l’industrie,<br />
<strong>de</strong>s sciences et <strong>de</strong>s arts, 1873, page 349. On sait aussi qu’il fit <strong>de</strong>s travaux d’irrigation pour le compte <strong>de</strong>s propriétaires<br />
<strong>de</strong>s châteaux <strong>de</strong> Mailloc et <strong>de</strong> Saint Martin <strong>de</strong> Bienfaite. Voir l’annexe 5.<br />
14<br />
14
D. <strong>Bigot</strong> épouse Brézot<br />
Rosette poursuit : « Mon grand-père Arsène <strong>Bigot</strong> épousa en 1869 (non : 1870) ma grandmère<br />
Marie Brezot une femme intelligente et très sensible. » Arsène était <strong>de</strong>puis dix ans<br />
commerçant à Orbec. Il avait ouvert son le magasin (on le trouve dans son apport au<br />
mariage : celui-ci est estimé à 14 700 francs dont 12 000 francs pour les aménagements du<br />
magasin et les marchandises en stock). Son ancrage en ville se faisait sous les meilleurs<br />
auspices. Il <strong>de</strong>venait le gendre <strong>de</strong> Brézot, un industriel déjà urbain, aisé et respecté 12 .<br />
<strong>Le</strong> mariage eut lieu le 9 janvier 1870. Parmi les témoins, le grand-oncle d’Arsène, Pierre Huë,<br />
un vieux paysan-éleveur <strong>de</strong> la Goulafrière, et Augustin Laprestey, l’associé <strong>de</strong> Brézot. <strong>Le</strong><br />
contrat est pour une communauté réduite aux acquêts ; la dot <strong>de</strong> Marie y est détaillée : linge,<br />
lit, édredons, couverts, meubles en noyer, … pour un total <strong>de</strong> 5 000 francs (dix mille euros<br />
d’aujourd’hui). Il est clair qu’il n’y a pas <strong>de</strong> bien immobilier, ni d’un côté ni <strong>de</strong> l’autre. <strong>Le</strong>s<br />
signatures <strong>de</strong>s époux signalent une scolarisation réussie : on en a fini avec les lettres bâton et<br />
les croix <strong>de</strong> certains <strong>de</strong> leurs ascendants.<br />
<strong>Le</strong> jeune couple vécut dans cette ville et tous leurs enfants y naquirent. Ils logèrent au <strong>de</strong>ssus<br />
du magasin, au 12 <strong>de</strong> la Rue Gran<strong>de</strong>, à <strong>de</strong>ux pas <strong>de</strong> l’atelier que Pierre avait construit dans la<br />
rue <strong>de</strong>s Osiers. Voici Marie à <strong>de</strong>ux époques <strong>de</strong> sa vie. Sur celle <strong>de</strong> droite, elle est avec Rosette<br />
qui ne la connut que trois ans.<br />
12 ’(Il y a à Orbec) 16 établissements industriels occupant plusieurs centaines d'ouvriers. Ce sont : une fabrique <strong>de</strong><br />
rubans <strong>de</strong> fil et fil et coton : à M. Conard ; quatre filatures <strong>de</strong> laine : à M. Martin (la Ma<strong>de</strong>leine), à M. Dutheil<br />
(Beauvoir), à M. Labiche (Boulogne), à M. Dubos fils (Friar<strong>de</strong>l) ; trois foulonneries, à M. Thourou<strong>de</strong> fils (Orbec), à<br />
M. Jourdain (Boulogne), à M. Fournet (Launay) ; <strong>de</strong>ux fabriques d'effilochage <strong>de</strong> déchets <strong>de</strong> laine : à MM. Brézot et<br />
Laprestey jeune ; <strong>de</strong>ux blanchisseries <strong>de</strong> toiles : à MM. Galopin et Lamare ; une papeterie, pour papiers d'emballage :<br />
à MM. Dubos et Guilbert ; <strong>de</strong>ux tanneries : à Mme veuve Colas et à M. <strong>Le</strong>roux ; une usine, pour fabrication et<br />
réparation <strong>de</strong> machines : à M. Brézot.’ Amédée Tissot, op. cité.<br />
15<br />
15
Aidé <strong>de</strong> sa femme et <strong>de</strong> sa belle sœur, Arsène développa son magasin <strong>de</strong> ‘nouveautésconfection’<br />
à vingt mètres <strong>de</strong> l’église Notre-Dame, au 12-14-16 rue Gran<strong>de</strong>, toujours actif<br />
en 1914 (en 1910, <strong>Raymond</strong> écrit à son père ‘Monsieur <strong>Bigot</strong>, Nouveautés à Orbec’ et ça<br />
arrive). Ces maisons existent toujours et leur aspect extérieur n’a pas changé, à part les<br />
vitrines.<br />
16<br />
16
Je ne sais pas quand Léonore son père est mort mais au début du 20 ème siècle Arsène<br />
était encore propriétaire ‘<strong>de</strong> fermes’ (avec <strong>de</strong>s moutons ?). Il avait du les mettre en<br />
location. Il <strong>de</strong>vait aller <strong>de</strong> loin en loin à la Goulafrière pour voir ses <strong>de</strong>ux sœurs, dire<br />
bonjour aux copains d’école, boire un coup et encaisser les baux éventuels.<br />
Brézot était encore vivant lors du mariage <strong>de</strong> sa fille (il vivait à Beauvoir alors ; il mourut en<br />
1880, le 18 juillet) et vit grandir ses premiers <strong>petit</strong>s enfants.<br />
« (Arsène et Marie) eurent sept enfants dont <strong>de</strong>ux moururent en bas âge. Un fut<br />
étouffé dans son berceau, acci<strong>de</strong>nt assez fréquent. C’était Maurice. <strong>Le</strong>s survivants<br />
furent Paul (...), <strong>Raymond</strong> mon père (...), Marguerite qui fut religieuse (...)... »<br />
Mais Rosette, lasse d’écrire, continua sur <strong>de</strong>s généralités puis tomba en panne. Il y a une<br />
raison à cela : elle n’avait pas vraiment connu les autres, exception faite <strong>de</strong> Léon, qui vivait<br />
avec sa mère à Orbec et qui mourut quand elle avait 7 ans. Reprenons donc.<br />
1. Paul Marie Arsène, l’aîné (20 octobre 1870 - 8 juin 1942) naquit en pleine<br />
guerre franco-alleman<strong>de</strong>. D’abord en primaire à Orbec (‘assis sur les bancs <strong>de</strong> l’école<br />
d’Orbec, il apprend sous la férule <strong>de</strong> M. Caval les rudiments <strong>de</strong> français et <strong>de</strong> calcul’<br />
13 ), puis après sa première communion, élève interne <strong>de</strong>s Frères <strong>de</strong> la Doctrine<br />
Chrétienne à Rouen 14 , sa belle écriture le fit remarquer et, au moment <strong>de</strong> chercher un<br />
emploi, lui permit <strong>de</strong> trouver, à l'âge <strong>de</strong> seize ans, une place <strong>de</strong> copiste chez<br />
l'architecte attaché à l'entretien <strong>de</strong>s biens immobiliers <strong>de</strong> la famille d'Orléans, rue<br />
Dupleix à Paris, près <strong>de</strong> l'École Militaire. Deux ans après, il fut admis à l'école <strong>de</strong>s<br />
beaux-arts <strong>de</strong> Paris : on est donc alors en 1888. On dit que sa vocation d’architecte se<br />
serait révélée à l'occasion <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> l'Exposition Universelle <strong>de</strong> 1889, en<br />
particulier <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> la tour Eiffel (on notera qu’on dit toujours ces choses<br />
après, pas pendant et encore moins avant). <strong>Le</strong> voici sur les genoux <strong>de</strong> sa maman :<br />
j’aime bien cette photo car c’est la seule sur laquelle Marie ne fait pas une tête <strong>de</strong><br />
condamnée au bagne.<br />
13 Mon amour irraisonné <strong>de</strong> la géographie me fait mettre cette note : « (A l’école d’Orbec), l’enseignement est<br />
essentiellement pratique et comprend, outre les matières obligatoires, l’histoire, la géographie. Bien que ces <strong>de</strong>ux<br />
facultés fassent actuellement partie du programme <strong>de</strong> l’enseignement primaire, vous me pardonnerez, Messieurs, <strong>de</strong><br />
dire un mot sur la géographie. Jadis cet enseignement laissait beaucoup à désirer. (…) <strong>Le</strong>s jeunes enfants (…)<br />
possédaient parfois <strong>de</strong>s notions assez étendues sur l’Europe et les autres parties du <strong>mon<strong>de</strong></strong> mais si vous leur posiez les<br />
questions les plus simples sur leur département, leur arrondissement et même leur canton, ils restaient muets. Etait-ce<br />
leur faute ? Non Messieurs : nous ne possédions pas <strong>de</strong> géographie départementale. Aujourd’hui, les élèves <strong>de</strong><br />
l’arrondissement <strong>de</strong> Lisieux ont la bonne fortune d’avoir pour inspecteur un <strong>de</strong> leurs anciens collègues, (…) M. Marie-<br />
Cardine. (…) Grâce à ses travaux, il fit paraître une géographie départementale. (…) Aujourd’hui, toutes nos écoles<br />
possè<strong>de</strong>nt non seulement une carte murale du département mais <strong>de</strong> <strong>petit</strong>es cartes du même secteur, <strong>de</strong>stinées aux<br />
enfants. » Annuaire <strong>de</strong>s cinq départements <strong>de</strong> la Normandie, 1882, publié par l’Association norman<strong>de</strong>. Page 77.<br />
14 Congrégation religieuse qui se consacrait à l'enseignement primaire. Elle avait été autorisée par ordonnance royale<br />
du 17 juillet 1822, à titre d'institution charitable. Il s’agissait en fait d’une résurgence <strong>de</strong>s Frères <strong>de</strong>s écoles chrétiennes<br />
créés par Jean-Baptiste <strong>de</strong> la Salle, supprimés à la Révolution et rétablis après le Concordat. <strong>Le</strong> siège <strong>de</strong> cet ordre était<br />
dans la Maison Saint-Yon (démolie en 1850) près <strong>de</strong> Rouen. Pas <strong>de</strong>s drôles, les lassalliens ! Des prières, <strong>de</strong>s vêpres, <strong>de</strong>s<br />
complies dans tous les sens... Un examen <strong>de</strong>s archives <strong>de</strong> la congrégation aux Archives <strong>de</strong> Rouen permettrait d’en<br />
savoir plus sur les capacités du jeune Paul et en particulier sur sa belle écriture. Et sur celles <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong> itou.<br />
17<br />
17
Survient l’occupation d’Orbec par les Prussiens : trois semaines en janvier et février 1871, <strong>de</strong><br />
la violence, quelques fusillés, <strong>de</strong>s réquisitions, <strong>de</strong>s exactions, puis la vie reprend son cours.<br />
2. <strong>Raymond</strong> le ca<strong>de</strong>t (17 mai 1872 - 26 avril 1953 à Honfleur, Equemauville<br />
en fait). Notre grand-père. Lui aussi fit sa communale à Orbec (avec Monsieur Caval),<br />
lui aussi <strong>de</strong>vint élève interne <strong>de</strong>s Frères <strong>de</strong> la Doctrine Chrétienne à Rouen. Mais à 13<br />
ans, il abandonna les frères à leur sort chrétien et entra en apprentissage chez le ‘père<br />
Hardouin’, l’ébéniste d’Orbec, ‘qui aimait le bois’ disait <strong>Raymond</strong>. Puis il partit à Paris,<br />
sans doute à l’instigation <strong>de</strong> son grand frère, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans son aîné (peut-être<br />
logeaient-ils ensemble ?), et là, dans divers ateliers <strong>de</strong> décoration, il perfectionna ses<br />
connaissances techniques. <strong>Le</strong> soir il fréquentait les cours <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin <strong>de</strong> l’Ecole <strong>de</strong> la<br />
Place <strong>de</strong>s Vosges puis les séances <strong>de</strong>s Arts décoratifs. Après quoi il partagea son temps<br />
entre Paris et Orbec alors que son frère, lui, <strong>de</strong>venait un architecte <strong>de</strong> renom, prix <strong>de</strong><br />
Rome et patati et patata. On dit que c’est alors qu’il sentit qu’il <strong>de</strong>ssinerait, sculpterait<br />
et peindrait <strong>de</strong>s oiseaux avant toute chose. Une insondable unité entre l’homme et ses<br />
œuvres plastiques. Je cite Jean Lazard (1922) : « <strong>Bigot</strong> voit avec justesse, et s’exprime<br />
avec force et vérité ; c’est par là qu’il s’imposera. Son grand charme est qu’il n’est<br />
d’aucune école. Il est trop épris <strong>de</strong> la nature pour se soumettre aux règles d’une<br />
esthétique arbitraire et changeante. C’est dans la nature que <strong>Bigot</strong> prend ses modèles,<br />
à la nature qu’il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> son moyen. » De lui je n’ai pas <strong>de</strong> photo sur les genoux <strong>de</strong> la<br />
maman. Mais j’ai celle-là, avec cerceau et jupette, que je ne trouve pas mal du tout.<br />
18<br />
18
Arriva alors le chemin <strong>de</strong> fer, en avril 1873 : trois services par jour jusqu’à Lisieux qu’on<br />
atteignait quatre fois plus vite qu’en carriole 15 . Orbec, dont l’économie lainière avait très<br />
fortement décliné avec l’ouverture du chemin <strong>de</strong> fer Paris-Lisieux-Cherbourg, revécut.<br />
3. Marie accoucha d’un mort-né, Georges, en 1873.<br />
4. En 1876 ce fut Marguerite, future religieuse sous le nom <strong>de</strong> Mère Marie Thérèse,<br />
scolarisée chez les sœurs augustines d’Orbec dès son jeune âge 16 . Elle fut expulsée <strong>de</strong><br />
France le 3 juillet 1908, à 32 ans, avec ses collègues et se réfugia au Convent of our<br />
Lady à Saint <strong>Le</strong>onards-on-Sea, sur la côte sud <strong>de</strong> l’Angleterre, une création nouvelle<br />
dans une maison achetée exprès par les Augustines. Elle y mourut à 46 ans.<br />
15 « L'Almanach <strong>de</strong> Lisieux pour l'année 1787 contenait la note suivante : ‘Messageries <strong>de</strong> Lisieux à Orbec. Il part <strong>de</strong><br />
chez le sieur d'Algot, rue et fauxbourg d'Orbec, tous les Mardis, une Voiture, portant personnes et marchandises, et<br />
repart d'Orbec le Mercredi et arrive à Lisieux le même jour. <strong>Le</strong> prix <strong>de</strong>s places est <strong>de</strong> 24 sous par personne, et, pour<br />
les paquets, 6 <strong>de</strong>niers par livre.’ Nous ne sommes déjà plus à l'époque moins éloignée où l'honnête Harang, qu'on<br />
accusait <strong>de</strong> lenteur, réalisait pourtant, sur ses <strong>de</strong>vanciers, un progrès réel et sensible, en accomplissant <strong>de</strong>ux fois dans le<br />
même jour le trajet <strong>de</strong> Lisieux à Orbec La locomotive franchit aujourd'hui, en 45 minutes, les 19 kilomètres qui<br />
séparent les <strong>de</strong>ux villes, s'arrêtant néanmoins sept fois dans son parcours.’ » Tissot, op. Cité, 1873. Voir note 4.<br />
16 Dite ‘l’école <strong>de</strong> la communauté’ qu’avait fréquenté Marie Brézot : 156 élèves en 1881. L’autre école <strong>de</strong> filles était<br />
laïque, mais avec 45 élèves seulement. La laïcité, c’était pour les garçons, ou pour les filles <strong>de</strong> famille très pauvres …<br />
19<br />
19
5. Après il y eut Léon (1878-1921), mort à 43 ans, je ne sais <strong>de</strong> quoi. Je n’ai<br />
qu’une mauvaise photo ‘jeune’ <strong>de</strong> lui, et les quelques clichés <strong>de</strong> ses quarante ans le<br />
montrent maigre, toujours chau<strong>de</strong>ment vêtu. Il <strong>de</strong>vait couver quelque chose <strong>de</strong>puis<br />
longtemps. Il travailla dans le magasin <strong>de</strong> ses parents, toujours fragile puis <strong>de</strong> plus en<br />
plus anémique. Je le trouve à Paris avec son frère <strong>Raymond</strong> en 1910. Marguerite se dit<br />
‘désemparée par sa mort et mourut quelques mois après’ (dixit Rosette).<br />
6. En 1880, Marie eut Thérèse qui mourut 18 ans plus tard <strong>de</strong> la tuberculose : elle<br />
aurait vaincu la maladie si elle avait vécu aujourd’hui 17 . Mystique très tôt, scolarisée<br />
chez les Augustines, elle n’eut pas une vie heureuse.<br />
7. En 1885, Marie accoucha enfin d’un septième enfant, Joseph, mort né. Elle avait<br />
alors quarante ans.<br />
Jamais nous ne saurons ce qui se passait dans le foyer <strong>Bigot</strong>, à Orbec, dans les années 1890.<br />
Mais il est assez remarquable que <strong>de</strong>s parents <strong>de</strong> cette époque, issus <strong>de</strong> milieux certes aisés<br />
et évolués, mais productifs, acceptent que leurs <strong>de</strong>ux fils aînés partent à Paris pour embrasser<br />
une carrière artistique. Certes les dons <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux adolescents <strong>de</strong>vaient être visibles (le Père<br />
Hardouin <strong>de</strong>vait le confirmer dans le cas <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong>), mais tout <strong>de</strong> même, les frères <strong>de</strong> la<br />
doctrine chrétienne <strong>de</strong>vaient émettre <strong>de</strong>s préventions relatives à la débauche obligée <strong>de</strong>s<br />
rapins et aux ravages <strong>de</strong> tous les excitants qui en avaient perverti plus d’un, Madame Marie.<br />
Mais ils ne poussèrent pas plus leurs filles à la reproduction que leurs fils au commerce. Certes<br />
la tuberculose <strong>de</strong> Thérèse avait été dépistée tôt et interdisait tout espoir, mais Marguerite était<br />
une vigoureuse jeune femme. Ses parents la laissèrent entrer en religion et même,<br />
l’encouragèrent 18 , enfin sa mère surtout. Dans cette famille, la religion était clairement une<br />
affaire <strong>de</strong> femmes : je n’ai pas <strong>de</strong> souvenir <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong> à la messe, et la vie atypique <strong>de</strong> Paul<br />
n’entrait sûrement pas dans les canons <strong>de</strong>s frères <strong>de</strong> la doctrine chrétienne (ah, cette<br />
‘gouvernante’, Madame Vergniaud, qui facilita les <strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong> sa vie...).<br />
Plus tard, seul <strong>de</strong> la fratrie <strong>Raymond</strong> se maria, et à 39 ans encore, seul <strong>Raymond</strong> eut <strong>de</strong>s<br />
enfants, ... enfin une seule enfant, avec Jeanne <strong>Bigot</strong> : c’est Rosette, objet du paragraphe F.<br />
Une seule <strong>de</strong>scendante pour quatre grands parents, c’est peu.<br />
Mais avant d’arriver à Rosette, mettons une image <strong>de</strong>s cinq enfants <strong>Bigot</strong> survivants. De<br />
gauche à droite, Paul (l’uniforme <strong>de</strong>s frères sans doute), <strong>Raymond</strong> (itou mais en culotte<br />
courte), Marguerite (qui passera chez les sœurs), Léon (déjà âgé et bien au chaud 19 ) et enfin<br />
Thérèse, étonnement mature.<br />
17 J’ai d’elle un testament olographe préparé en 1894 alors qu’elle n’avait que quatorze ans. Prévoyante, Thérèse, et<br />
fataliste. Son mental <strong>de</strong>vait être à la déprime. Si elle avait vécu, elle serait rentrée chez les Augustines comme sa sœur,<br />
écrit-elle.<br />
18 J’ai <strong>de</strong>s lettres échangées entre Marie et sa fille qui montrent combien elles partageaient un détachement mystique<br />
<strong>de</strong>s choses terrestres. J’ai également un cahier manuscrit <strong>de</strong> Marguerite où elle conte ses voyages ‘en religion’ entre<br />
1905 et 1908, juste après que la décision d’expulser les ordres, dont le sien, ait été prise (à noter qu’en gros, il ne<br />
s’agissait pas d’une interdiction faite aux religieux <strong>de</strong> prier, mais d’enseigner : nuance). Rien sur la famille.<br />
19 <strong>Le</strong>s photos originales sont éparpillées, notre mère nous ayant donné à chacun (nous étions six frères) quelques<br />
épreuves <strong>de</strong> son stock dans un souci d’égalitarisme tout à son honneur. J’ai donc certains originaux... mais pas <strong>de</strong> Léon<br />
avant ses 35 ans. Et les photocopies que j’ai <strong>de</strong> lui enfant sont franchement illisibles (alors que d’autres photocopies ont<br />
belle allure : voyez plus loin le couple Camus-la-Flèche). Donc certes il détone dans la brochette mais les lecteurs<br />
disposant <strong>de</strong> clichés appropriés pourront aisément les substituer à mon Léon emmitouflé.<br />
20<br />
20
Quand les enfants se dispersèrent, perdit-on <strong>de</strong> vue Orbec ? Il semble que oui, à l’exception<br />
<strong>de</strong> Paul qui s’y fit enterrer. Je n’ai pas le souvenir qu’on nous ait fait visiter cette <strong>petit</strong>e ville<br />
qui avait vu naître notre grand-père. Dommage car elle est encore aujourd’hui d’une<br />
authenticité certaine 20 .<br />
La carrière d’artiste <strong>de</strong> Paul est bien balisée. Ses élèves ont regroupé leurs souvenirs et<br />
impression. L’<strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Caen</strong> a mis tout cela en ligne 21 . Nous n’en parlerons pas ici. Mais<br />
celle <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong> est moins publique : certes il y eut quelques écrits, en leur temps, mais<br />
dans <strong>de</strong>s ouvrages ou <strong>de</strong>s revues confi<strong>de</strong>ntiels.<br />
Après son apprentissage à Paris, <strong>Raymond</strong> travailla à Orbec. Un travail détaillé sur ses<br />
productions <strong>de</strong> 1895 à 1909 permettrait d’en savoir plus. Voici son atelier. La première photo<br />
est d’Eugène Tribouillard 22 , vers 1904 ; elle est signée en bas à droite. On voit une <strong>petit</strong>e<br />
bâtisse au fond d’une cour pavée. L’atelier a l’air minuscule. <strong>Raymond</strong> y habite-t-il ? A l’étage<br />
alors ? C’est peu probable.<br />
20 Dans un article ‘<strong>Le</strong>s maisons d’Orbec’, Madame Élisabeth <strong>Le</strong>scroart-Cazenave, conservateur du musée d'Orbec,<br />
propose cette vision : « Petite ville du pays d'Auge, siège du bailliage qui englobait Lisieux, Orbec constitue par son<br />
authenticité un remarquable terrain d'étu<strong>de</strong> où l'interpénétration <strong>de</strong>s architectures rurale et urbaine, trop souvent<br />
dissociés, apparaît <strong>de</strong> manière très sensible. (…) En pleine prospérité industrielle, la brique se substitua définitivement<br />
au bois et <strong>de</strong>vint le matériau <strong>de</strong> prédilection <strong>de</strong> l'urbanisme naissant, commandé par le percement <strong>de</strong> nouvelles voies.<br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s faça<strong>de</strong>s, la lecture du parcellaire et l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s intérieurs révèlent le développement <strong>de</strong> la cité : son<br />
éclatement à la fin du Moyen Âge au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s limites naturelles du ruisseau <strong>de</strong> la Vespière, la conquête <strong>de</strong>s cœurs<br />
d'îlots, le morcellement et le regroupement <strong>de</strong>s tènements. Ces logis et leurs communs environnés <strong>de</strong> jardins, <strong>de</strong><br />
vergers et <strong>de</strong> prés, auxquels se mêlaient, le long <strong>de</strong>s canaux du ruisseau <strong>de</strong> la Vespière, les ateliers (anciennes<br />
tanneries, teintureries, blanchisseries) offrent aujourd'hui l'image idéale d'un con<strong>de</strong>nsé d'architecture, né du voisinage<br />
<strong>de</strong> tous les rangs et <strong>de</strong> toutes les fortunes et d'un savoir-faire maîtrisé. » Revue <strong>Le</strong> Pays d'Auge, mars-avril 1997.<br />
http://www.pays-auge-culture.org<br />
21 http://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/bigot/liens<br />
22 Pourquoi Tribouillard ? A Orbec, il y avait encore à l’époque L. Turpin (atelier et exposition <strong>de</strong> photographies),<br />
habitant dans la Gran<strong>de</strong> Rue, un voisin <strong>de</strong>s <strong>Bigot</strong> et qui avait fait tous les portraits <strong>de</strong> famille jusqu’en 1900 au moins.<br />
Peut-être s’était-il mis à la retraite ? Eugène Tribouillard exerçait à Lisieux, au 88, rue Petite Couture Prolongée, <strong>de</strong><br />
1899 à 1910 environ. <strong>Le</strong>s clichés <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux photographes sont tous numérotés (Turpin en était à 14 000 en 1898), ce<br />
qui leur permettait <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s retirages et <strong>de</strong>s agrandissements, ou même <strong>de</strong>s cartes postales (c’est le cas <strong>de</strong> la<br />
photographie <strong>de</strong> l’intérieur <strong>de</strong> l’atelier). Quand un photographe disparaît, il peut arriver que son fonds soit versé à <strong>de</strong>s<br />
archives. Si c’est le cas, une consultation <strong>de</strong> ces archives pourrait donner d’intéressants renseignements...<br />
21<br />
21
La secon<strong>de</strong> photo est prise à l’intérieur. Est-elle <strong>de</strong> Tribouillard également ? Je le pense. On y<br />
voit <strong>de</strong>s sculptures dans le style qu’il avait alors : en particulier en bas à gauche, son premier<br />
panneau dit ‘<strong>de</strong>s corbeaux’, daté <strong>de</strong> 1903, dont Charles Chassé disait en 1947 :<br />
« le sujet <strong>de</strong> son premier bas-relief est un vol <strong>de</strong> corbeaux et <strong>Bigot</strong> y attache une<br />
gran<strong>de</strong> importance car l’œuvre contient en germe bien d’autres sculptures <strong>de</strong> rapaces<br />
diurnes ou nocturnes, chouettes, grands-ducs et vautours dont, désormais, il sera le<br />
compagnon et le portraitiste ».<br />
22<br />
22
Quand il était à Paris, pour ses expositions, où logeait-il ? Chez une Madame <strong>Le</strong>meilleur. Or il<br />
existait à l’époque un Georges <strong>Le</strong>meilleur 1851-1945, peintre et graveur, originaire <strong>de</strong> Rouen,<br />
qui exposait à Paris. Serait-ce chez lui ? Si on s’appuie sur ce qui est écrit sur une carte à<br />
Jeanne (‘A chaque instant, la maison est ébranlée par <strong>de</strong> fortes détonations provenant <strong>de</strong>s<br />
travaux souterrains faits par une nouvelle ligne du métro –tout proche d’ici- boum ! boum !!’),<br />
cet appartement aurait été dans le coin Vavin–Raspail <strong>de</strong> Paris, au sud <strong>de</strong> Montparnasse. A<br />
l’époque, <strong>Raymond</strong> exposait à ‘l’Eclectique’, qui venait d’être fondé chez Simonson, 19 rue<br />
Caumartin sous la prési<strong>de</strong>nce d’Anatole France. Sa carrière parisienne avait débuté en 1904.<br />
23<br />
23
Dans les années 1905-1910, sa notoriété était établie. <strong>Le</strong>s rares textes <strong>de</strong> cette époque en<br />
ren<strong>de</strong>nt compte.<br />
E. <strong>Le</strong>s Camus <strong>de</strong> L’Aigle<br />
Camus est un nom courant en Normandie. A L’Aigle, où la mémoire familiale les nichait, il<br />
existait il y a <strong>de</strong>ux siècles plusieurs familles Camus homonyme. Mais celle <strong>de</strong> ‘nos’ Camus est<br />
assez typée : ils sont tanneurs aussi loin qu’on les trouve, ils travaillent et vivent tout contre<br />
la Rille et son canal dérivé, ils se marient à Saint Martin, l’église féodale….<br />
Cet autochrome <strong>de</strong> 1890 environ donne une idée <strong>de</strong> ce qu’était la zone <strong>de</strong>s tanneurs.<br />
Grâce au Patrimoine <strong>de</strong> France et son inventaire général, on repère dès 1835 une tannerie<br />
Camus, propriété <strong>de</strong> Nicolas Camus, au 12 rue <strong>de</strong>s tanneurs. L’activité <strong>de</strong> tannage en ce lieu<br />
aurait été abandonnée vers 1888 23 . Voyons voir.<br />
23 http://www.patrimoine-<strong>de</strong>-france.org/oeuvres/richesses-14-4728-36803-M60413-84360.html<br />
24<br />
24
Miracle : cela colle avec les <strong>petit</strong>s diagrammes gribouillés <strong>de</strong> Rosette. <strong>Le</strong> Camus en question<br />
était un certain Nicolas Portien Camus (23 avril 1774–31 juillet 1852) qui épousa le 8 Prairial<br />
An IX une Thérèse Françoise Euphrasie Agis 24 . A partir <strong>de</strong> là ; un examen <strong>de</strong>s actes d’état civil<br />
en ligne (Orne pour Laigle, Eure pour Louviers, Bernay et Beaumont) permet d’établir filiations<br />
et arborescences. <strong>Le</strong> graphique donné dans l’annexe 6 est le résultat <strong>de</strong> cette composition.<br />
Notre Nicolas Portien était le fils d’une Marie Anne Montigny et d’un Jean Camus, né à Laigle<br />
d’un couple apparemment important si on décrypte les titres <strong>de</strong> la famille <strong>de</strong> sa mère. Dans<br />
notre famille <strong>de</strong> roturiers et <strong>de</strong> manants, on voit apparaître une alliance ponctuelle avec la<br />
noblesse <strong>de</strong> l’endroit, mais qui <strong>de</strong>vait être si ténue qu’on en perdit le souvenir 25 .<br />
<strong>Le</strong>s Camus étaient <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong>puis longtemps. La référence à la tannerie est<br />
explicite dès 1750. Celui qui établit l’affaire <strong>de</strong> manière mo<strong>de</strong>rne est Nicolas Portien. Sa famille<br />
était déjà installée rue <strong>de</strong>s tanneurs mais il y fit construire son atelier et sa maison.<br />
La tannerie était au n°12, la maison d’habitation au n°14. On pourrait en savoir plus<br />
sur cette implantation en étudiant le cadastre napoléonien et le dossier foncier <strong>de</strong> la<br />
tannerie : quand a-t-elle été fondée ? Avec quels capitaux ?<br />
Nicolas Portien et Thérèse eurent d’abord une fille, Thérèse comme sa mère, puis Etienne, puis<br />
Paul, puis un ou <strong>de</strong>ux enfants <strong>de</strong> plus. Ce Paul, surnommé Camus-La Flèche 26 , prit la<br />
succession <strong>de</strong> son père dans la tannerie dans les années après avoir travaillé avec lui en<br />
doubles comman<strong>de</strong>s 27 . C’est lui le tanneur <strong>de</strong> nos mémoires : il vécut très longtemps et vit la<br />
fin <strong>de</strong> son entreprise, alors que son fils était aux comman<strong>de</strong>s.<br />
24 Je fais cette note spéciale sur les prénoms normands <strong>de</strong> l’époque. Alors que les Diehl se limitent à <strong>de</strong>s Hans et <strong>de</strong>s<br />
Caroline, les Normands alignent une brochette <strong>de</strong> noms incroyables. ‘Comment voulez-vous nommer votre <strong>petit</strong>e ?<br />
Euphrasie, monsieur le greffier. ’Thérèse Euphrasie mourut jeune, en 1834, à Laigle. Quant à Portien, c’était un moine<br />
auvergnat dont les reliques sont partagées entre Saint-Pourçain sur Sioule et Laigle (Saint Martin).<br />
25 <strong>Le</strong>s parents <strong>de</strong> Jean Portien, Jean et Marie-Anne Montigny, se marièrent le 20 juin 1768 à Laigle, dans la Paroisse<br />
Saint Martin, celle du centre ville. On était alors sous Louis XV. La mère <strong>de</strong> Jean (et donc épouse <strong>de</strong> Jean-François<br />
Camus son père) était une Marie-Charlotte Chambellan du Clos Girard, dont le frère était vicomte <strong>de</strong> Beaumont-le-<br />
Roger (dans l’Eure à l’est <strong>de</strong> Bernay) et conseiller du roi au baillage ; son neveu était un maréchal <strong>de</strong>s loges <strong>de</strong> la<br />
maison du roi, un autre neveu était un gar<strong>de</strong> du duc d’Ascot, etc : il y en a une pleine page dans le registre paroissial.<br />
Dommage que Rosette n’ait pas su ces choses plus tôt, elle en aurait été flattée (d’accord, elle était en aval <strong>de</strong> six<br />
générations sur cette vicomtesse, mais tout <strong>de</strong> même…).<br />
26 Pourquoi ‘La Flèche’ ? Cela vient très probablement <strong>de</strong> son grand-oncle Léonard Chambellan <strong>de</strong> La Flèche (né et<br />
mort à Beaumont le Roger, sur la Rille, en aval <strong>de</strong> Laigle. 1757-1837), docteur en mé<strong>de</strong>cine. <strong>Le</strong> dictionnaire <strong>de</strong> la<br />
noblesse cite <strong>de</strong>s ‘Vicomtes <strong>de</strong> Beaumont et <strong>de</strong> La Flèche’. Ce Léonard aurait pu être le parrain <strong>de</strong> notre Paul.<br />
27 Quatre ou cinq enfants ? Il n’est pas facile <strong>de</strong> jongler avec les registres à l’époque du calendrier républicain. Nous<br />
sommes sûrs <strong>de</strong> Thérèse Euphrasie (née le 12 mars 1802) et <strong>de</strong> Paul (né le 17 frimaire An XIV, c’est-à-dire le 8<br />
25<br />
25
C’est là qu’habitaient encore <strong>de</strong>s Camus du début du XXème siècle 28 . La belle maison (on<br />
disait la propriété) s’ouvre sur ‘un grand parc’, près d’un <strong>de</strong>mi-hectare à vue <strong>de</strong> nez. Elle est<br />
traversée par la rivière, la Rille, ou du moins un bras <strong>de</strong> ladite : toutes les tanneries sont au<br />
bord <strong>de</strong> l’eau, l’industrie veut cela. Un ‘<strong>petit</strong> pont’ franchit un tout <strong>petit</strong> bras <strong>de</strong> la rivière :<br />
c’est très romantique, la moitié <strong>de</strong>s photos Camus est prise sur le <strong>petit</strong> pont. Sur l’image ci<strong>de</strong>ssous,<br />
le cadre <strong>de</strong> gauche indique la maison, celui <strong>de</strong> droite la tannerie.<br />
Voici la cour et les communs <strong>de</strong> la maison, et l’âne, et le conducteur <strong>de</strong> la carriole, un<br />
domestique pour sûr (on dirait employé <strong>de</strong> maison aujourd’hui). <strong>Le</strong> Bras <strong>de</strong>s Tanneurs est à<br />
l’arrière-plan, en contrebas, la Risle <strong>de</strong>rrière ; à droite est la tannerie dont on voit une <strong>de</strong>s<br />
cheminées. Et la maison qui s’ouvre sur la rue <strong>de</strong>s Tanneurs est <strong>de</strong>rrière le photographe.<br />
Paul Camus-La Flèche épousa à Laigle Mélanie Joséphine ‘Galopin’ (17 août 1812–1888) le 24<br />
septembre 1834. Elle était née à L’Aigle également. Ce sont <strong>de</strong>s arrières grands parents <strong>de</strong><br />
décembre 1805, et mort le 11 janvier 1893 à 87 ans : la tannerie, ça conserve). Témoin <strong>de</strong> ces naissances, l’ancêtre, le<br />
septuagénaire Jean Camus, le fils <strong>de</strong> cette dame Chambellan, si bien titrée, et ci-<strong>de</strong>vant grand-père <strong>de</strong> Nicolas Portien.<br />
28 On ne va pas donner ici la liste complète <strong>de</strong>s naissances et <strong>de</strong>s dates (on arrive aisément au milieu du 17 ème siècle),<br />
mais tout est dans les archives <strong>de</strong> l’Orne pour L’Aigle. Restons-en là, il faut laisser du travail aux autres.<br />
26<br />
26
Rosette. Sur la photocopie, Paul a un <strong>petit</strong> air à la Lincoln que nous soulignons avec une fierté<br />
non feinte. Mélanie, tellement elle est belle, on la revoit plus loin en plus net.<br />
Dans la famille, ce nom ‘Galopin’ a toujours été jugé comme réjouissant, d’autant que<br />
Rosette ajoutait ‘et ce Galopin a été à Moscou en 1812 et en est revenu via la<br />
Bérésina’. Voyons voir. J’ai l’acte <strong>de</strong> naissance d’Etienne Dominique Galopain (6 août<br />
1782 à Saint Antonin du Sommaire dans l’Eure). C’était un fabricant <strong>de</strong> bas, domicilé à<br />
L’Aigle rue Bonaparte. Il épousa le 10 juin 1811 Marie Joséphine Morel (1789-1831), là<br />
où elle vivait, à Moulins-<strong>de</strong>-la-Marche dans l’Orne. <strong>Le</strong> couple Galopin-Morel eut cinq<br />
enfants au moins, dont Mélanie, future épouse Camus, mais aussi une fille avec qui un<br />
Monsieur <strong>Le</strong>grand fit un futur monseigneur : Armand. Armand fut un personnage haut<br />
en couleurs qu’on évoquait avec révérence et componction : né en 1853 à L’Aigle,<br />
<strong>de</strong>venu pour finir évêque <strong>de</strong> Dacca (au Bangla<strong>de</strong>sh désormais), il avait entre temps été<br />
missionnaire au Japon 29 . Il vivait encore dans les années 30 et certains objets étranges<br />
parsemaient toujours la chambre <strong>de</strong> Paul Camus dans les années 50. Sur la mini-photo<br />
<strong>de</strong> droite, il est à La Hulotte, dans les années 30 il semble. On <strong>de</strong>vine Jeanne <strong>Bigot</strong> née<br />
Camus tout à gauche, Ma<strong>de</strong>leine Camus tout à droite.<br />
29 Rapport <strong>de</strong> 1919 en Birmanie méridionale, <strong>de</strong> l’évêque Cardot : « Avant <strong>de</strong> terminer ce rapport, je me permettrai <strong>de</strong><br />
signaler un événement qui a fait quelque bruit, autour <strong>de</strong> mon humble personne : je veux parler <strong>de</strong> la célébration du<br />
25e anniversaire <strong>de</strong> ma consécration. <strong>Le</strong> 24 juin 1918, ce ne fut qu’une <strong>petit</strong>e fête <strong>de</strong> famille ; mais, cette année pour<br />
obéir aux voeux <strong>de</strong> nos catholiques, j’ai dû me résigner à <strong>de</strong>s fêtes solennelles qui ont duré trois jours, les 18, 19 et 20<br />
février (1919). Mgr Foulquier, <strong>de</strong> la Birmanie Septentrionale, et Mgr <strong>Le</strong>grand, évêque <strong>de</strong> Dacca, un <strong>de</strong> mes anciens<br />
condisciples <strong>de</strong> Paris, m’ont fait l’honneur d’y assister ; presque tous nos missionnaires étaient présents et il y en avait<br />
aussi quelques-uns <strong>de</strong>s missions voisines ; enfin, bon nombre <strong>de</strong> chrétiens étaient venus <strong>de</strong>s districts. Ce fut pour mes<br />
diocésains, l’occasion <strong>de</strong> m’offrir un ca<strong>de</strong>au, qui m’a permis <strong>de</strong> liqui<strong>de</strong>r la <strong>de</strong>tte <strong>de</strong> la cathédrale. » Rapport 513,<br />
Missions étrangères <strong>de</strong> Paris.<br />
27<br />
27
Fin <strong>de</strong> la parenthèse. Revenons à Galopin et testons la véracité <strong>de</strong> sa campagne <strong>de</strong> Russie.<br />
Mélanie, future épouse Camus, naquit en août 1812. Or celui qui présenta l’enfant au maire et<br />
signa l’acte fut notre Etienne, son père. Difficile d’être le même jour à L’Aigle et à Smolensk !<br />
Donc Galopin n’est jamais allé à la Bérésina. C’est Jean-François, le frère aîné <strong>de</strong> Nicolas<br />
Portien, qui y alla ; il fut ensuite militaire <strong>de</strong> carrière, reçut la médaille <strong>de</strong> Sainte Hélène et fut<br />
pensionné à ce titre (cela figure dans son acte <strong>de</strong> décès) ; il mourut dans la maison <strong>de</strong> la rue<br />
<strong>de</strong>s Tanneurs. Avec Pierre Michel Brézot, l’arrière grand-père Brézot <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong>, cela nous<br />
fait <strong>de</strong>ux grognards honorés dans la famille. Pas mal.<br />
Camus La Flèche et Mélanie eurent quatre enfants. L’aînée, Aline, mourut au berceau. Un <strong>de</strong>s<br />
trois fils, le <strong>de</strong>rnier, Paul (1849-1904), prit pour quelques années la succession <strong>de</strong> son père à<br />
la tannerie. L’usine ferma comme on l’a dit, en 1890 environ. Et le vieux Camus-La Flèche<br />
mourut, la peine au cœur sans doute. En un peu moins <strong>de</strong> cent ans, on aura donc eu trois<br />
Camus tanneurs : Nicolas Portien, Camus La Flèche et Paul.<br />
La maison <strong>de</strong> Laigle resta dans la famille jusque dans les années 20. Elle servait <strong>de</strong><br />
base arrière à ceux qui vivaient <strong>de</strong> ci <strong>de</strong> là, on s’y retrouvait pour <strong>de</strong>s fêtes, <strong>de</strong>s<br />
réunions <strong>de</strong> circonstance, <strong>de</strong>s fiançailles. Qui tenait cette maison, qui y vivait en<br />
permanence ? Je ne sais pas. Mais dans les albums <strong>de</strong> Rosette, aucune photo n’a été<br />
prise à Bernay, toutes l’ont été à Laigle. Laigle, ce lieu légendaire où l’on avait tanné,<br />
d’où l’on partait vers la Bérésina et où un parc propice se prêtait aux rencontres d’une<br />
famille dispersée… 30 .<br />
Trois fils. Paul tanneur…. Et les <strong>de</strong>ux autres ? Une affaire comme la tannerie ne permettait pas<br />
<strong>de</strong> nourrir trois ou quatre ménages : ces autres fils seront voyageurs <strong>de</strong> commerce.<br />
A cette époque, un voyageur <strong>de</strong> commerce jouait un rôle essentiel dans la circulation<br />
<strong>de</strong>s tissus. <strong>Le</strong>s centres <strong>de</strong> production étaient éparpillés un peu partout en France,<br />
chacun avec ses spécialités (voir la carte ci-<strong>de</strong>ssous), les catalogues étaient<br />
fragmentaires, le fax n’existait pas. Et puis on choisit mieux un tissu si on peut le voir<br />
et le toucher. Ses valises du VRP étaient bourrées d’échantillons. Comme <strong>de</strong> nombreux<br />
créateurs <strong>de</strong> magasin manquaient <strong>de</strong> professionnalisme, le VRP agissait aussi comme<br />
conseil, sur l’achalandage, sur l’agencement <strong>de</strong>s rayons, sur la gestion <strong>de</strong>s stocks. Il<br />
était un voyageur ferroviaire infatigable et connaissait tous les hôtels du ‘commerce’ ou<br />
du ‘lion d’or’ <strong>de</strong> France.<br />
30 La cause <strong>de</strong> ce décalage peut provenir <strong>de</strong> ceci. A Bernay, il y avait un magasin. Quand Armand mourut, en 1906, il<br />
est possible que sa veuve et ses <strong>de</strong>ux filles se soient repliées sur Laigle (en 1909, quand <strong>Raymond</strong> écrit à Jeanne, c’est à<br />
Laigle, jamais à Bernay). Cela expliquerait aussi que Jeanne se trouve disponible pour une relation amoureuse après<br />
ces années au comptoir.<br />
28<br />
28
Du second fils, Léon (1842- ?), on ne sait rien. Il épousa une <strong>de</strong>moiselle d’Hay ou d’Huy ; il<br />
séjournait à <strong>Caen</strong> en 1872 puis plus rien. Armand (1838-1906), l’aîné, a laissé plus <strong>de</strong> traces.<br />
Armand nous intéresse : c’est le grand-père <strong>de</strong> Rosette. Il résidait à Verneuil quand il séduisit<br />
une <strong>de</strong>moiselle <strong>de</strong> Louviers, Eugénie Carpentier (1845-1915), la fille d’un clerc <strong>de</strong> notaire. Un<br />
autre nom fétiche dans la mémoire <strong>de</strong> Rosette.<br />
Voici ces <strong>de</strong>ux dames importantes. A gauche Mélanie Galopin, femme <strong>de</strong> Paul Camus-La<br />
Flèche, à droite, Eugénie Carpentier, femme d’Armand Camus, le fils <strong>de</strong> Paul Camus-La Flèche.<br />
Une génération les sépare. Mais le style <strong>de</strong>s robes reste immuable : c’est rassurant.<br />
Marié, Armand s’installa à Bernay pour y tenir un magasin <strong>de</strong> nouveautés rue du Commerce<br />
(qui <strong>de</strong>vint en 1879 la rue Thiers).<br />
Pour faire fonctionner un tel établissement, Armand avait un atout déterminant : ses enfants.<br />
<strong>Le</strong> couple Armand – Eugénie en eut trois, nés à Bernay : Paul (30 juillet 1875– Honfleur, 30<br />
décembre 1959), Jeanne (22 novembre 1876– Laval, 17 février 1964) et Ma<strong>de</strong>leine (16 juin<br />
1878– Laval, 21 juillet 1965).<br />
29<br />
29
<strong>Le</strong>s <strong>de</strong>ux filles furent certainement mises au comptoir (on disait ‘<strong>de</strong>moiselles <strong>de</strong> magasin’).<br />
Paul et Ma<strong>de</strong>leine resteront célibataires. Jeanne épousera <strong>Raymond</strong> <strong>Bigot</strong>.<br />
Armand mourut en 1906, et le magasin ferma. Eugénie se replia sur L’Aigle, tout en gardant<br />
semble-t-il le logement <strong>de</strong> Bernay. Elle mourut en 1915. Ils n’eurent d’autres <strong>petit</strong>s-enfants<br />
que Rosette, qui ne connut sa grand-mère qu’un an.<br />
Voici donc la fratrie Camus : Jeanne (photo prise à Honfleur juste avant son mariage), puis<br />
Paul (vers 1890 car après il se met à porter <strong>de</strong>s barbes <strong>de</strong> tout poil et il est difficile <strong>de</strong> trouver<br />
son visage pendant les trente ans qui suivent), et enfin Ma<strong>de</strong>leine (vers 1906).<br />
De Paul, on sait qu’il alla à Paris et qu’il était ven<strong>de</strong>ur puis chef <strong>de</strong> rayon au BHV : son père<br />
pensait sans doute qu’il y apprendrait les techniques mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> gestion 31 . Ma<strong>de</strong>leine apprit<br />
la couture et <strong>de</strong>vint couturière quand le magasin cessa son activité. Puis à une date<br />
indéterminée elle alla s’installer à <strong>Caen</strong> comme modiste (chapelière si vous voulez). Cela a<br />
peut être à voir avec le fait que Rosette alla à <strong>Caen</strong> pour faire <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine (une<br />
31 En 1866, Xavier Ruel, quincailler lyonnais, fonda le "Bazar <strong>de</strong> l'Hôtel <strong>de</strong> Ville". Quand il disparut en 1900,<br />
l’entreprise comptait 800 employés. « En 1901, le Bazar commence à vendre <strong>de</strong> la Mo<strong>de</strong>, mais reste fidèle aux<br />
comptoirs à prix fixes qui ont fait sa réussite. <strong>Le</strong> personnel bénéficie d'un jour <strong>de</strong> congé tous les dix jours et est<br />
rémunéré à la guelte. »<br />
30<br />
30
année seulement, avant <strong>de</strong> dénicher Edouard) : ce serait vers 1933 donc. Avant cela, elle<br />
avait emménagé à Honfleur où vraisemblablement elle prenait soin <strong>de</strong> Rosette <strong>petit</strong>e.<br />
On allait en vacances à L’Aigle où vivaient quelques survivants Camus âgés. On en profitait<br />
pour faire le tour <strong>de</strong>s connaissances, pour se montrer aussi. Il fallait toutefois qu’il y eut<br />
encore <strong>de</strong>s revenus là-bas afin <strong>de</strong> conserver un certain train <strong>de</strong> vie, provincial certes mais<br />
cossu. Avec <strong>de</strong>ux domestiques à <strong>de</strong>meure.<br />
Sur la photo ci-<strong>de</strong>ssous, prises dans la ‘propriété’, on voit la maman Eugénie et sa<br />
progéniture. On remarquera les essais <strong>de</strong> Paul pour ressembler à Landru (c’est prémonitoire<br />
puisque Landru ne sera guillotiné qu’en 1922 ! Trop fort, ce Paul).<br />
31<br />
31
A cette époque vaguement insouciante (on chevauchait les prési<strong>de</strong>nces Loubet et Fallières),<br />
on allait aux bains <strong>de</strong> mer à Saint Aubin, au nord <strong>de</strong> <strong>Caen</strong>. Et on aimait se déguiser pour un<br />
oui pour un non, et si Ma<strong>de</strong>leine jouait les marquises ou les fermières, Paul faisait plus<br />
exotique. Quant à Jeanne, elle se déguisait en elle-même.<br />
Pourquoi Paul ne se maria-t-il pas ? Nous ne lui avons pas posé cette question, car celui que<br />
nous appelions Tonton était un concentré d’habitu<strong>de</strong>s bien établies qu’il n’avait pu développer<br />
qu’en solitaire, <strong>de</strong> cela nous étions convaincus. C’est le seul <strong>de</strong> la famille qui s’autorisait à aller<br />
en bas au café boire un coup avec <strong>de</strong>s amis et qui faisait jusqu’au bout les mots croisés <strong>de</strong><br />
l’Indépendant honfleurais. Et sa chambre ressemblait à celle d’un loup <strong>de</strong> mer à la retraite<br />
alors qu’il n’avait jamais voyagé bien loin. Et pourquoi Ma<strong>de</strong>leine, belle comme un <strong>petit</strong> cœur,<br />
et que nous appelions Tata, ne se maria-t-elle pas ? Si elle chercha, elle ne trouva pas.<br />
Jeanne cherchait. En 1909, elle finit par trouver <strong>Raymond</strong>, le <strong>Raymond</strong> <strong>de</strong> la partie B qui<br />
semblait vivre alors à cheval entre Paris et Orbec, chez ses parents je pense. Elle avait 33 ans<br />
et lui 37. Comment une jeune femme <strong>de</strong> Bernay pouvait-elle dénicher un fiancé à Orbec,<br />
surtout un <strong>Raymond</strong> qui passait plus <strong>de</strong> temps à regar<strong>de</strong>r les chouettes et les hiboux que les<br />
dames... ? Pour sûr, Marie <strong>Bigot</strong>, veuve, avait du mettre en route ses limiers pour trouver<br />
l’épouse voulue. Il est possible que cela se soit noué via les acheteurs <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong><br />
<strong>Raymond</strong>, la moyenne bourgeoisie norman<strong>de</strong>, les mé<strong>de</strong>cins, les notaires, les propriétaires <strong>de</strong>s<br />
domaines qu’arpentait l’artiste avec ses carnets et ses crayons. Mais plus prosaïquement, les<br />
pères <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mariés, tous <strong>de</strong>ux marchands <strong>de</strong> nouveauté, avaient du se connaître.<br />
<strong>Le</strong>s fiançailles eurent lieu en 1909. A cette occasion, une jolie photo fut prise sur le <strong>petit</strong> pont<br />
(ci-<strong>de</strong>ssus). <strong>Raymond</strong> et son chapeau (qu’il gardait pour dormir, pensions-nous), son frère<br />
Léon sans chapeau, la maman Camus et ses <strong>de</strong>ux filles. Ma<strong>de</strong>leine toujours en position un peu<br />
soumise. C’est certainement Paul qui prit la photo. <strong>Le</strong>s choses sérieuses pouvaient<br />
commencer. On notera que le <strong>petit</strong> pont était vraiment très <strong>petit</strong>.<br />
32<br />
32
F. Jeanne et <strong>Raymond</strong>, parents <strong>de</strong> Rosette<br />
Je n’écris pas une biographie <strong>de</strong> Rosette : chaque lecteur établira la sienne s’il le veut. Ce<br />
paragraphe est consacré aux débuts <strong>de</strong> la vie commune <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong> et <strong>de</strong> Jeanne :<br />
l’installation à Honfleur, l’arrivée <strong>de</strong> Rosette, l’irrésistible attraction exercée sur Ma<strong>de</strong>leine et<br />
Paul au point qu’ils viendront y vivre. Exit L’Aigle, exit Orbec, arrive Honfleur.<br />
Fiancés en 1909, mariés <strong>de</strong>ux ans plus tard, le 6 février 1911 à Bernay, les époux <strong>Bigot</strong><br />
cherchèrent un point <strong>de</strong> chute. Ce fut Honfleur.<br />
Rosette écrit : « Mon père avait comme ami à Orbec le jeune docteur Bréhier (Georges<br />
Bréhier, Brest 1873-Honfleur 1965. Il fut conseiller municipal d’Orbec <strong>de</strong> 1904 à 1909).<br />
Celui-ci vint s’installer à la Rivière Saint-Sauveur (il fut responsable <strong>de</strong> l'Assistance aux<br />
Nourrissons <strong>de</strong> la Rivière Saint Sauveur <strong>de</strong> 1910 à 1947) et (<strong>Raymond</strong>) lui <strong>de</strong>manda <strong>de</strong><br />
lui trouver une maison à Honfleur : ce que (Bréhier) fit et en 1911 quand (<strong>Raymond</strong>) se<br />
maria il s’y installa. » 32<br />
33<br />
Honfleur, Clau<strong>de</strong> Monet, 1866<br />
Honfleur était une ville connue pour son charme, ses habitants parfois insolites (Allais et Satie<br />
entre autres), l’ouverture sur la Baie <strong>de</strong> Seine, ... Des peintres l’avaient montré <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s<br />
dizaines d’années, et <strong>Raymond</strong> en avait fréquenté certains. Mais là-<strong>de</strong>dans, pas d’histoire<br />
d’oiseau. Honfleur, c’était plutôt la crevette... Or <strong>Raymond</strong>, c’était les oiseaux. S’il ne s’était<br />
pas marié, il serait resté à Orbec, j’en suis certain. Mais il était marié, sa femme espérait avoir<br />
un enfant, et surtout le lien avec L’Aigle et Orbec se rompait, Eugénie Camus faiblissait (elle<br />
mourra en 1915), tout comme sa propre mère Marie d’ailleurs (elle mourra en 1917).<br />
32 Dans son introduction à l’exposition <strong>Bigot</strong> du Musée Eugène Boudin, 5 juillet-30 septembre 1986, Honfleur.<br />
33
Va pour Honfleur, merci Georges Bréhier. Pour les oiseaux, <strong>Raymond</strong> construira <strong>de</strong>s volières et<br />
il ira passer <strong>de</strong>s journées entières, voire <strong>de</strong>s nuits, dans les forêts voisines. Et <strong>de</strong> sa maison,<br />
une étrange construction blanche à flanc <strong>de</strong> coteau, sans confort aucun (en 1950, on faisait<br />
encore pipi dans <strong>de</strong>s pots <strong>de</strong> chambre en faïence blanche et on n’avait l’eau, froi<strong>de</strong> bien sûr,<br />
qu’à la cuisine), il fera une sorte d’ermitage, avec un atelier construit comme un bunker dans<br />
un prolongement du jardin. Vivre à flanc <strong>de</strong> coteau, cela impliquait aussi d’être bon marcheur<br />
et bon grimpeur. « Tiens, j’ai oublié d’acheter <strong>de</strong>s allumettes » et hop, une expédition d’une<br />
heure. Cela éliminait la visite impromptue <strong>de</strong> curieux. <strong>Raymond</strong> n’a jamais eu d’automobile.<br />
Il fallut <strong>de</strong>ux ans pour mettre l’enfant en route. L’accoucheur fut le susnommé Bréhier, futur<br />
maire d’Honfleur (<strong>petit</strong>s, nous l’avons connu, âgé mais bon pied bon œil ; nous craignions ses<br />
redoutables sinapismes humi<strong>de</strong>s à l’ancienne qu’il tenait pour souverain contre mille choses),<br />
le bébé fut Rosette, enfant unique. D’ailleurs on voit mal Jeanne à son âge continuer à<br />
fabriquer <strong>de</strong>s bébés, d’autant qu’on était en guerre.<br />
Cela eut un effet insolite mais réjouissant : Marie monta dans une auto.<br />
Autour du bébé, <strong>de</strong>s adultes en adoration. Ce couple insolite força son chemin dans le <strong>mon<strong>de</strong></strong><br />
honfleurais à la force du talent <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong> et <strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong> Jeanne à tenir en état une<br />
maison compliquée.<br />
Ci-<strong>de</strong>ssous, on voit Rosette par terre entre sa mère et sa tante. On est en 1915.<br />
<strong>Raymond</strong>, diverti, porte un bien joli costume. Comme tous ceux nés entre 1869 et<br />
1874, il avait été invité à rejoindre la réserve <strong>de</strong> l'armée territoriale (les régiments <strong>de</strong><br />
réserve se rattachaient aux régiments d'active, dont ils reprenaient la numérotation en<br />
ajoutant un 2). Il resta dans la réserve durant tout le conflit. La menace d’un départ au<br />
front <strong>de</strong>meura jusqu’en 1918.<br />
34<br />
34
Rosette. Elle s’appelle Jeanne comme sa mère... mais comme on l’a dit dans la note 21,<br />
<strong>Raymond</strong> écrit Jane ; même si Jeanne se crut Jeanne toute sa vie. Au passage, je souhaiterais<br />
qu’on apprécie l’excellente, je dirais même l’exceptionnelle calligraphie <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong>, sans<br />
doute acquise chez les bons pères salésiens <strong>de</strong> Rouen et qui avait déjà été si utile à son frère<br />
aîné. Vous en connaissez, vous, <strong>de</strong>s gens qui écrivent comme ça aujourd’hui ?<br />
La grand-mère Marie <strong>Bigot</strong> embrasse sa <strong>petit</strong>e fille Jeanne dans ses lettres <strong>de</strong> l’été 1914. Mais<br />
la <strong>petit</strong>e <strong>de</strong>viendra Rosette, dans l’usage. Je soupçonne que c’est <strong>Raymond</strong> qui a enlevé le<br />
morceau (<strong>de</strong>ux Jeanne à la maison, c’était un peu trop), mais on ne saura jamais.<br />
35<br />
35
Ce qu’on note à l’été 1914, c’est le souci <strong>de</strong> Marie <strong>Bigot</strong>, qui n’a plus que trois ans à vivre, qui<br />
a perdu son mari <strong>de</strong>ux ans plus tôt et qui a son fils Léon mala<strong>de</strong> à la maison, d’assurer le<br />
service après-vente. Elle écrit à Marguerite en terre anglaise, elle écrit au docteur Bréhier,<br />
l’accoucheur. Et elle écrit à <strong>Raymond</strong>-<strong>petit</strong>-papa.<br />
Elle dit sa joie. Elle sait qu’elle n’aura pas d’autre <strong>petit</strong>-enfant : Thérèse est au cimetière, Paul<br />
ne s’intéresse qu’à <strong>de</strong>s femmes qui ont la tête ailleurs, Léon se meurt doucement, Marguerite<br />
est au couvent. Marie passe le relais avec <strong>de</strong>s mots touchants.<br />
Revenons sur l’uniforme <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong> : pas mal, mais son frère aîné Paul l’architecte avait été<br />
lui aussi invité à participer à la défense nationale. Et là, c’est le ‘total look’. Paul avait pour<br />
mission <strong>de</strong> réfléchir sur comment tenir l’ennemi à distance par <strong>de</strong>s ouvrages finement pensés.<br />
Je ne dirai pas qu’il a gagné la guerre, mais on a <strong>de</strong> lui <strong>de</strong> belles photos en aviateur <strong>de</strong>vant<br />
une espèce <strong>de</strong> bimoteur <strong>de</strong> chez Ikéa. Il porte <strong>de</strong>s manteaux insensés et <strong>de</strong>s bonnets à la<br />
Trotski, il a une barbe largement plus fournie que son <strong>petit</strong> frère. Que la guerre est élégante !<br />
Je ne résiste donc pas à l’envie <strong>de</strong> vous mettre une image <strong>de</strong> Paul au Bourget (ne pas<br />
confondre avec Paul Bourget), à gauche ; j’y joins celle <strong>de</strong> Paul Camus à droite, en compagnie<br />
<strong>de</strong> sa sœur Ma<strong>de</strong>leine. Et je mets <strong>Raymond</strong> au milieu, avec <strong>de</strong>s <strong>petit</strong>s bateaux qui ont donc<br />
<strong>de</strong>s jambes. Rosette est là parce qu’elle est là. Unique héritière <strong>de</strong> ces valeureux soldats.<br />
36<br />
36
<strong>Le</strong> conflit mondial s’acheva. Dans la maison <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong> s’était déjà installé Paul Camus<br />
<strong>de</strong>puis les années 30 : il était l’agent commercial <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong>. Après 1945 ce fut le tour <strong>de</strong><br />
Ma<strong>de</strong>leine qui avait été totalement sinistrée quand <strong>Caen</strong> avait été quasi-rasé en juin 1944 33 .<br />
La Hulotte était une sorte <strong>de</strong> phalanstère, chacun avec ses <strong>petit</strong>es habitu<strong>de</strong>s. Paul en<br />
chaussons qui faisait chauffer l’eau pour se raser sur le poêle à bois du ‘salon’ dans un broc en<br />
cuivre rouge, Ma<strong>de</strong>leine en liseuse qui reprisait tout ce qui passait à portée, <strong>Raymond</strong> qui<br />
touillait son café au lait en lisant <strong>de</strong>s choses sans âge, Jeanne qui surveillait si les <strong>petit</strong>es<br />
cuillers étaient à leur place.<br />
Pour le plaisir, nous vous donnons ci-après le cliché reposant <strong>de</strong> Paul le frère architecte en<br />
pleine action <strong>de</strong>vant le premier atelier honfleurais <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong>, avant la construction du<br />
bunker du ‘’champ’ (dans la région on appelait ce genre <strong>de</strong> pièce vitrée ‘un <strong>petit</strong> appartement’)<br />
et les cages où vivaient les poules, les chouettes et les hulottes <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong>. Et César, le<br />
canard <strong>de</strong> Barbarie qui faisait partie <strong>de</strong> la famille. On est en 1926. Ca mange <strong>de</strong>s souris, les<br />
rapaces : vous imaginez la scène <strong>de</strong>s repas, et surtout <strong>de</strong> leur préparation ! Jeanne se<br />
plaignait <strong>de</strong>s o<strong>de</strong>urs, <strong>de</strong>s bruits (la nuit surtout) mais s’en accommodait : après tout, son<br />
gagne-pain c’était son mari, dont la célébrité ne lui déplaisait pas. <strong>Le</strong>s oiseaux ne franchirent<br />
pas la guerre : peut-être la pénurie <strong>de</strong> souris.... Quand nous avons connu la maison, les cages<br />
étaient vi<strong>de</strong>s, nous y jouions à cache-cache. Mais Paul se fiche <strong>de</strong>s souris, là, apparemment.<br />
Paul mourut en 1942. Il avait seulement 72 ans. Son éloge funèbre dans les Echos du<br />
Calvados est pudique et juste (numéro du 17 juin 1942). Il laissait le souvenir d’un<br />
architecte accompli, quoique classique, d’un artiste merveilleux, mais aussi d’un<br />
homme-à-femmes, d’abord soumis aux manigances supposées d’une Polonaise (une<br />
comtesse ? Mathil<strong>de</strong> ?) puis d’une dame d’Orbec (Madame Vergnaud ?). Un chaud<br />
lapin, ce Paul … mais on était vite considéré comme un chaud lapin à la Hulotte.<br />
La géographie humaine <strong>de</strong> cette maison <strong>de</strong>s années 50 était stimulante. Au second étage, sur<br />
les trois pièces mansardées, l’une, à gauche, était celle <strong>de</strong> Paul, remplie <strong>de</strong> choses étranges,<br />
33 La vie <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine durant la guerre fut assez ru<strong>de</strong>. Déjà l’exo<strong>de</strong> : elle était <strong>de</strong>scendue <strong>de</strong> <strong>Caen</strong> sur Laval, puis,<br />
Rosette, Colette notre tante paternelle, Bertrand, elle et moi (j’avais un an) avions fait en Citroën 11 légère un allerretour<br />
Laval Royan assez remarqué (on m’a raconté : on chauffait les repas sur un réchaud à méta, on avait été mitraillé<br />
au passage <strong>de</strong>s Ponts-<strong>de</strong>-Cé sur la Loire). Après quelques mois à Laval, alors qu’Edouard était toujours retenu dans son<br />
oflag <strong>de</strong> Münster, elle était retournée à <strong>Caen</strong>. Lors du débarquement, elle se réfugia avec beaucoup <strong>de</strong> <strong>Caen</strong>nais dans<br />
les carrières <strong>de</strong> Fleury, dans <strong>de</strong>s conditions fort rustiques, avant d’être ‘récupérée’ par un camion <strong>de</strong> la filature dépêché<br />
pour la sortir <strong>de</strong> cette précarité éprouvante. Elle avait tout perdu : son <strong>petit</strong> appartement, ses meubles, ses affaires... Elle<br />
avait alors 66 ans. Il lui restait encore vingt ans à vivre.<br />
37<br />
37
un peu comme les sous-sols du BHV où il avait exercé ses talents <strong>de</strong> ven<strong>de</strong>ur (je dormais dans<br />
celle <strong>de</strong> droite, toujours, avec Bertrand).<br />
Au premier étage, à gauche en sortant <strong>de</strong> l’escalier, la chambre <strong>de</strong> Jeanne et <strong>Raymond</strong>, sobre<br />
et <strong>de</strong> bon goût, rien d’un lupanar, à droite celle <strong>de</strong> Rosette désormais mariée à Edouard, et<br />
coincée entre les <strong>de</strong>ux, ce qui s’appelait la chambre <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine et qui n’était qu’une <strong>petit</strong>e<br />
pièce étroite à laquelle on ne pouvait accé<strong>de</strong>r qu’à travers la chambre d’un autre : cela m’a<br />
toujours semblé extravagant.<br />
En bas, la pièce ‘à la norman<strong>de</strong>’ qui servait à tout, <strong>de</strong> salle à manger, <strong>de</strong> salon, <strong>de</strong> salle <strong>de</strong><br />
jeux, <strong>de</strong> pièce <strong>de</strong> réception ... ; <strong>Raymond</strong> y avait même un établi contre la fenêtre sur lequel il<br />
préparait ses <strong>petit</strong>es sculptures avec ses maillets, ses ciseaux et ses gouges. L’autre pièce, le<br />
salon, froid, sombre et austère, n’était utilisée que pour <strong>de</strong>s cérémonies protocolaires ; il y<br />
avait <strong>de</strong>dans une <strong>petit</strong>e armoire avec <strong>de</strong>s lignes <strong>de</strong> livres apparemment anodins, <strong>de</strong>s Paul<br />
Bourget, <strong>de</strong>s Tharaud, <strong>de</strong>s Charles Péguy, qui dissimulaient <strong>de</strong>rrière eux <strong>de</strong>s textes sulfureux,<br />
dont <strong>de</strong>s pamphlets anti-dreyfusards (on semble l’avoir été à Honfleur) mais aussi <strong>de</strong>s écrits<br />
<strong>de</strong> Lucie Delarue-Mardrus 34 que l’évêché brûlait aussitôt qu’il en trouvait un.<br />
La cuisine était <strong>de</strong>hors : on perça un mur pour y accé<strong>de</strong>r. De toilettes, point : le premier WC<br />
décent fut l’œuvre d’Edouard en 1950. <strong>Le</strong>s vrais artistes ne sont guère concernés par ces<br />
contingences. Mais il y avait <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s joies : les rassurants édredons à l’ancienne pour lutter<br />
contre l’absence <strong>de</strong> chauffage, la marmite à crevettes vives qui bouillonnait sur son réchaud<br />
Primagaz, le cidre d’un ami qu’on allait tirer dans une barrique logée dans la cave <strong>de</strong> plain<br />
pied et qu’on rapportait tout frémissant dans une carafe ventrue au long col... <strong>Le</strong> proverbe<br />
favori <strong>de</strong> Paul Camus était ‘plaignez verre vi<strong>de</strong>, vi<strong>de</strong>z verre plein’. La loi Evin ne fut jamais<br />
promulguée à la Hulotte, ni même évoquée. Cette maison, c’était une vraie maison.<br />
Je mets ici pour conclure <strong>de</strong>ux belles images pour ceux qui ont tenu la distance. La première<br />
est prise, par <strong>Raymond</strong> je pense, trois kilomètres à l’ouest d‘Honfleur, sur la si-bien-nommée<br />
‘plage <strong>de</strong> Vasouy’ qui à l’époque était un lieu <strong>de</strong> plaisir certain et d’hydrothérapie improbable.<br />
La Seine ne frôle plus le pied <strong>de</strong>s falaises comme au temps <strong>de</strong> Champlain ni même <strong>de</strong> Victor<br />
Hugo, et la vase domine. <strong>Le</strong>s crevettiers, qui marchaient à la voile tant que les crevettes<br />
étaient proches et conviviales, se sont mis au moteur et rythment leur travail avec les marées.<br />
Sur ce cliché d’amateur (mais <strong>Raymond</strong> était un artiste en tout), on voit un ciel étonnant<br />
comme les peignaient Courbet et Eugène Boudin.<br />
Jeanne et Ma<strong>de</strong>leine, chau<strong>de</strong>ment habillées <strong>de</strong> sombre (c’est l’époque qui voulait cela, tout<br />
autant que les sautes d’humeur <strong>de</strong> la météo qui n’en était qu’à ses débuts : on lisait<br />
l’Almanach du Hanneton’ à la Hulotte) sont assises sur une conduite d’eaux usées et tricotent<br />
quelque chose d’important. Rosette joue avec les galets ou d’autres trucs. A quoi pense-telle<br />
? Nul ne le saura jamais.<br />
Nous avons connu cette plage à l’été 1945, saturée du mazout <strong>de</strong>s bateaux coulés.<br />
Nous portions <strong>de</strong>s maillots <strong>de</strong> bain en laine grise qui pendaient comme <strong>de</strong>s couches<br />
trempées sur nos postérieurs frileux. Et pourtant nous avons aimé cette plage<br />
d’estuaire qui était un pied <strong>de</strong> nez aux stations balnéaires du Grand Ouest : Cabourg,<br />
Trouville, Deauville... Car après la plage, il y avait la remontée pé<strong>de</strong>stre à la Hulotte,<br />
l’abandon du maillot <strong>de</strong> bain, les crevettes, les bigorneaux, les coques, les faînes et le<br />
cidre d’un copain <strong>de</strong> Paul Camus.<br />
34 Ceux qui ne connaissent pas cette dame ne <strong>de</strong>vraient pas la traiter par-<strong>de</strong>ssous le cou<strong>de</strong>. Je recomman<strong>de</strong> en<br />
particulier ‘L’ange et les pervers’ qui n’ont pas été sans influence sur mon développement ultérieur. Et même, je peux<br />
envoyer la photo <strong>de</strong> la pose <strong>de</strong> la plaque <strong>de</strong> Lucie sur la maison natale <strong>de</strong> la dame, celle justement <strong>de</strong> notre docteur<br />
Bréhier, sur laquelle on nous voit, Bertrand et moi, propres, perplexes et attentifs (<strong>de</strong>rnière minute : victime d’un<br />
narcissisme aussi soudain qu’inacceptable, je n’ai pu résister à la mettre en annexe 7 à cette note, avec <strong>de</strong>s photos <strong>de</strong> la<br />
Lucie. <strong>Le</strong> Docteur Mardrus a mis la fusée en orbite, mais comme un vieux beau il n’a pas su soutenir son intérêt, sinon<br />
pécunier, et un temps seulement).<br />
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La secon<strong>de</strong> image est <strong>de</strong> Rosette et <strong>de</strong> son papa, ‘le ru<strong>de</strong> artiste’ (Jean Lazard). Rosette avec<br />
son visage tout rond, rond comme une bille, et ses bonnets rigolos et seyants, sans doute<br />
fabriqués par Ma<strong>de</strong>leine qui tenait là son meilleur mannequin. Rosette qui prendra à<br />
l’adolescence <strong>de</strong>s traits plus aigus. Et un caractère itou. Mais ceci est une autre histoire.<br />
39<br />
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Annexes<br />
Annexe 1 <strong>Le</strong>s <strong>Bigot</strong> <strong>de</strong> la Goulafrière et <strong>de</strong> la Folletière<br />
<strong>Le</strong> nom du bourg <strong>de</strong> La Goulafrière vient du surnom <strong>de</strong> son seigneur du 11 ème siècle, un<br />
certain chevalier Roger dit ‘Goulafre du Mesnil-Bernard’.<br />
Je suis remonté <strong>de</strong> trois générations en quelques heures grâce à l’état civil <strong>de</strong> l’Eure mis en<br />
ligne par les archives départementales. D’abord, oui, Arsène est bien né à la Goulafrière le 21<br />
avril 1842 35 . C’est une photo <strong>de</strong> lui, annotée par Rosette, qui nous avait mis sur la piste. Son<br />
père, 26 ans, était François Léonord <strong>Bigot</strong>, né le 9 juillet 1816, toujours à la Goulafrière, Voici<br />
l’acte <strong>de</strong> naissance <strong>de</strong> François Léonord.<br />
35 Acte n°9 <strong>de</strong> 1842, page 75 (sur 350) du microfilm. Ces microfilms sont sans doute ceux faits par les mormons :<br />
ceux-ci proposent (<strong>de</strong>puis 35 ans) aux archives départementales <strong>de</strong> filmer leurs archives, <strong>de</strong> leur donner un microfilm,<br />
d’en gar<strong>de</strong>r un autre et <strong>de</strong> baptiser tous les gens repérés dans une piscine <strong>de</strong> Salt Lake City pour en faire <strong>de</strong>s mormons<br />
post-mortem. Certains départements dont le Bas-Rhin ont refusé cette manip’ incroyable en république.<br />
40<br />
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François Léonord est qualifié <strong>de</strong> ‘propriétaire’ sur l’acte <strong>de</strong> naissance <strong>de</strong> son fils 36 . <strong>Le</strong> père <strong>de</strong><br />
François Léonord était Michel Robert Sulpice <strong>Bigot</strong>, marié à une Marie Mag<strong>de</strong>leine Dupendant.<br />
Ce couple Michel-Marie Mag<strong>de</strong>leine eut douze enfants dont cinq au moins moururent au<br />
berceau. Michel est repéré parfois comme ‘journalier’, parfois comme boucher ou marchand :<br />
on sent une carrière polymorphe chez cet homme. Je dirais que ce pourrait être un<br />
maquignon.<br />
Ces paysans du plateau aux confins du Pays d’Ouche étaient réputés comme étant <strong>de</strong>s<br />
éleveurs <strong>de</strong> moutons, pour la vian<strong>de</strong> et pour la laine. Cela nous semble s’appliquer<br />
parfaitement à nos <strong>Bigot</strong>. La laine se vendant à Orbec, Arsène ne fit que s’investir dans<br />
la valorisation <strong>de</strong> la production familiale.<br />
L’ancêtre <strong>Bigot</strong> <strong>de</strong> la Goulafrière, Robert, fils <strong>de</strong> Jacques, <strong>petit</strong>-fils <strong>de</strong> François, était<br />
initialement filassier, quelqu’un dont le métier est <strong>de</strong> laver et blanchir à la lessive (eau et<br />
cendres) les fibres <strong>de</strong> lin pour le tisserand. Il était né en 1737 à la Folletière-Abenon. Il épousa<br />
vers 1767 une veuve <strong>de</strong> cinq ans plus âgée que lui. Cette dame, Marie Ma<strong>de</strong>leine Suzanne<br />
Martin, était originaire <strong>de</strong> Notre Dame d’Aunay, à six kilomètres à l’ouest <strong>de</strong> la Goulafrière (sur<br />
la carte <strong>de</strong> Cassini, c’est Saint Germain d’Aulney) ; son défunt mari Deschamps était <strong>de</strong> La<br />
Folletière (mariage du 31 juillet 1755 à ND d’Aulney). <strong>Le</strong> couple ira s’installer à la Goulafrière<br />
où Robert <strong>de</strong>viendra ‘marchand <strong>de</strong> lin’. On le trouve en 1777 (le 4 octobre) témoin au mariage<br />
à la Goulafrière d’une <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux filles que sa femme avait eues avec feu Deschamps.<br />
Robert filassier avait eu un autre fils, Gilles, dont la <strong>de</strong>scendance est à cheval sur la<br />
Goulafrière et sur Montreuil d’Argillé : cela pourrait être l’origine <strong>de</strong> nos ‘cousins’ <strong>de</strong> la<br />
Morinière.<br />
36 Acte n°9 <strong>de</strong> 1816.<br />
41<br />
41
Au total, nos <strong>Bigot</strong> auraient vécu à la Goulafrière même un peu moins d’un siècle. Arséne alla<br />
à Orbec mais ses <strong>de</strong>ux sœurs épousèrent <strong>de</strong>ux cultivateurs du bourg, Deschamps et <strong>Le</strong>comte,<br />
dont certains <strong>de</strong>scendants vivent encore dans la région.<br />
Une autre tribu <strong>Bigot</strong> (non indiquée dans ce graphique et pour cause : elle ne semble<br />
pas avoir <strong>de</strong> relation directe avec nos <strong>Bigot</strong>) <strong>de</strong>scend d’un couple Jean <strong>Bigot</strong> – Marie<br />
Vallet, marié le 20 novembre 1753. Ce couple eut au moins un fils tardif, Jean, né en<br />
1770, marié à une Marie Charlotte Catherine <strong>Le</strong>mercier, qui aura à son tour quatre ou<br />
cinq enfants entre 1793 et 1807. Je n’ai pas recherché leurs <strong>de</strong>scendants.<br />
Et voici pour clore cette évocation une photographie d’Arsène désormais doté <strong>de</strong> sa<br />
nombreuse famille et d’une barbe <strong>de</strong> qualité (photographie <strong>de</strong> L. Turpin, vers 1885).<br />
Annexe 2 Ruralité hier et aujourd’hui<br />
Entre cette époque et aujourd’hui, on ne peut qu’être frappé <strong>de</strong> la désertification <strong>de</strong> l’espace<br />
rural. En 1900, dans toutes ces communes, il y avait une laiterie-fromagerie, une scierie, une<br />
tannerie, un tissage <strong>de</strong> lin, une accoucheuse, un préparateur en pharmacie qui savait<br />
reconnaître les champignons ... Puis les foires hebdomadaires se sont espacées : au mieux<br />
une foire annuelle ! <strong>Le</strong>s agriculteurs ne sont plus qu’un tout <strong>petit</strong> maillon <strong>de</strong> la chaîne<br />
42<br />
42
alimentaire. Des groupes leurs livrent <strong>de</strong>s semences, <strong>de</strong>s poussins chinois, <strong>de</strong>s aliments pour<br />
cochons. D’autres groupes (ou les mêmes) passent ramasser le lait et le pasteurisent vite fait<br />
bien fait. L’espace rural s’est désactivé pour ne laisser, en position dominante, que les<br />
chambres d’hôte et les fermettes pour Parisiens. Enthousiasmant.<br />
La ville importante <strong>de</strong> la zone était Montreuil l’Argillé, ou l’Argilé (‘argillé’ vient d’argile, l’argile<br />
à silex <strong>de</strong> la région).<br />
C’était un baillage, démembré du grand bailliage d'Alençon, qui ne comptait qu'une<br />
vingtaine <strong>de</strong> paroisses. Il recevait « les appels <strong>de</strong> la haute justice <strong>de</strong> La<br />
Goulafrière ». Comme ceux d'Orbec, les officiers <strong>de</strong> Montreuil se rendaient chaque<br />
semaine à Bernay pour y tenir l'audience du «bailliage <strong>de</strong> Montreuil séant à<br />
Bernay». <strong>Le</strong> bailliage <strong>de</strong> Montreuil fut supprimé en 1784 et son ressort réuni à celui<br />
d'Orbec qui compta dès lors 208 paroisses.<br />
La ferme <strong>de</strong>s <strong>Bigot</strong> ‘qui-<strong>de</strong>scendraient-<strong>de</strong>s-Gilles’ était à la Morinière, qui semble être <strong>de</strong>puis<br />
longtemps rattachée à Montreuil où les <strong>Bigot</strong> récents <strong>de</strong> la Morinière sont inhumés. <strong>Le</strong> plan<br />
montre l’affaire : on voit l’actuel périmètre <strong>de</strong> Montreuil l’Argillé, qui englobe le hameau <strong>de</strong> la<br />
Morinière où se situe la <strong>Bigot</strong>ière. En a-t-il toujours été ainsi ? Je ne sais. On notera le tracé<br />
étonnamment rectiligne <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux routes en X (la D819 et la D438) : il date du seizième siècle,<br />
et même <strong>de</strong> bien avant.<br />
Vit-on encore bien <strong>de</strong> la terre dans cette région ? A voir. Aujourd’hui nos lointains et putatifs<br />
cousins (Guillaume, Daniel et Joëlle née Kersuzec) ont constitué en 2001 un GAEC au capital<br />
<strong>de</strong> 140 000 euros se livrant à la culture <strong>de</strong> céréales (à l'exception du riz, on s’en serait douté),<br />
<strong>de</strong> légumineuses et <strong>de</strong> graines oléagineuses. <strong>Le</strong> chiffre d’affaires annuel tourne autour <strong>de</strong><br />
200 000 euros mais le bénéfice net ne dépasse jamais les 10 000 euros (moins <strong>de</strong> 2 000 euros<br />
en 2007) 37 . En bossant à trois toute l’année.... On en pense ce qu’on veut mais les<br />
agriculteurs authentiques sont maltraités dans notre <strong>mon<strong>de</strong></strong> où les yaourts sont vendus à nos<br />
jeunes citoyens comme <strong>de</strong>s médicaments. Un jour on ne mangera plus, on se nourrira ou pire,<br />
on se soignera.<br />
37 http://www.bilansgratuits.fr/static/421105289-SARL-LA-MORINIERE.html<br />
<strong>Bigot</strong>, La Morinière, Montreuil l’Argillé, 127390<br />
43<br />
43
Annexe 3 <strong>Le</strong>s ascendants Brézot<br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s actes d’état civil, nous savons peu <strong>de</strong> cette ascendance.<br />
<strong>Le</strong>s latéraux et la <strong>de</strong>scendance sont sans saillant pour nous. <strong>Le</strong> seul personnage significatif<br />
pour nous est le seul que Rosette connut <strong>de</strong> cette génération : celui <strong>de</strong> Victorine, sœur ca<strong>de</strong>tte<br />
<strong>de</strong> Marie. Elle était aveugle <strong>de</strong>puis plusieurs années déjà. Elle aida Marie à élever ses enfants,<br />
elle ne se maria pas. Rosette ajoute : ‘A vingt ans, elle menait son <strong>petit</strong> tilbury à gran<strong>de</strong> allure<br />
pour la joie <strong>de</strong> mon père enfant.’<br />
Par les actes, on peut remonter à un Robert Brézot qui avait épousé en 1720 une Françoise De<br />
L’oreille dans l’Orne (et même à ses parents, Jacques et Marguerite). Son fils Robert avait<br />
épousé une Jeanne <strong>Le</strong> Cointe en 1752 à Chamboy (aujourd’hui Chambois). Des ruraux<br />
évi<strong>de</strong>mment. C’est bien Chamboy le nid initial <strong>de</strong> nos Brézot.<br />
44<br />
44
On n’entre dans l’histoire familiale qu’avec Michel, le fils du couple Robert-Jeanne. Michel est<br />
né en 1787 à Cernay, à quelques kilomètres d’Orbec, dans le Calvados. C’est donc que ses<br />
parents ont migré, pour <strong>de</strong>s raisons économiques certainement. Michel épousa à Cernay une<br />
jeune femme du coin, Marie Coissy, <strong>de</strong> cinq ans sa ca<strong>de</strong>tte.<br />
De Chambois, sur les bords <strong>de</strong> la Touques, à Cernay dans la vallée <strong>de</strong> l’Orbiquet, il n’y<br />
a pas loin (il y a une rue Chamboy à Orbec, renommée il y a quelques semaines rue<br />
Barack Obama), mais à cette époque c’est un <strong>mon<strong>de</strong></strong> différent : pas les mêmes terres,<br />
pas les mêmes pratiques agricoles, pas les mêmes foires, pas les mêmes débouchés,<br />
pas les mêmes féodalités et allégeances. <strong>Le</strong>s localités <strong>de</strong> l’arrivée, Cernay, Bienfaite, la<br />
Cressonnière, sont très proches d’Orbec, et sont <strong>de</strong>s parties constitutives du système<br />
<strong>de</strong> production <strong>de</strong>s frocs. Michel fit souche.<br />
On peut penser qu’il développa le tissage <strong>de</strong> la laine à la maison : il était froctier lors <strong>de</strong> la<br />
naissance <strong>de</strong> son fils Michel Pierre le 14 mars 1787 à Bienfaite. A l’époque, la moitié <strong>de</strong>s édiles<br />
du bourg étaient <strong>de</strong>s froctiers, le signe qu’il s’agissait d’une activité socialement bien intégrée.<br />
Arriva l’empire. <strong>Le</strong> fils partit pour la guerre. De retour <strong>de</strong> son expédition militaire à la<br />
Bérésina, il se maria le 25 septembre 1814 avec Rosalie <strong>Le</strong> Devin (née à la Cressonnière le 24<br />
juin 1788, orpheline, fille <strong>de</strong> Jean <strong>Le</strong> Devin et <strong>de</strong> Marie Marguerite Cosnard). Rosalie a à cette<br />
date un frère Pierre marchand <strong>de</strong> rubans à St Germain la Campagne, Eure. On s’ancre dans le<br />
textile domestique.<br />
Rosalie eut 7 enfants, dont notre Pierre, né en 1816, le grand-père <strong>de</strong> Paul et <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong><br />
<strong>Bigot</strong>. <strong>Le</strong> temps passant, Michel <strong>de</strong>vint gar<strong>de</strong> champêtre <strong>de</strong> la Cressonnière. Un gar<strong>de</strong><br />
champêtre est un agent communal assermenté chargé <strong>de</strong> sanctionner les infractions rurales et<br />
<strong>de</strong> chasse ; il concourt au maintien <strong>de</strong> la tranquillité publique et est préposé à la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />
propriétés rurales. Un agent <strong>de</strong> proximité dirions-nous. Pour quelqu’un qui vieillit doucement,<br />
<strong>de</strong>venir gar<strong>de</strong> champêtre est la préretraite idéale.<br />
On quitte la préhistoire, on entre dans l’histoire. Mais pas pour longtemps : il n’y a plus<br />
aujourd’hui <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendants directs <strong>de</strong>s Brézot dans la vallée.<br />
Annexe 4 Mon<strong>de</strong> paysan, exo<strong>de</strong> rural<br />
Au 18 ème siècle, les <strong>Bigot</strong>, les Brézot, leurs conjoints et cousins sont tous paysans. L'agronome<br />
anglais Arthur Young visitant les campagnes françaises en 1787 et 1788 est stupéfait <strong>de</strong> l’état<br />
primitif <strong>de</strong> l’agriculture locale: "En Normandie, la culture n'est pas plus avancée que chez les<br />
Hurons…" <strong>Le</strong>s gran<strong>de</strong>s propriétés sont divisées en <strong>petit</strong>es fermes du fait du peu d'intérêt <strong>de</strong><br />
l'aristocratie pour le développement agricole et du désir <strong>de</strong>s paysans d'avoir <strong>de</strong>s terres en<br />
fermage en plus <strong>de</strong> leur propriété souvent insuffisante. La rareté <strong>de</strong>s terres fait que les loyers<br />
sont élevés et n'incite pas les aristocrates à la mo<strong>de</strong>rnisation. On est à quelques années <strong>de</strong> la<br />
Révolution et nombreux sont ceux qui tirent la sonnette d’alarme.<br />
‘L’agriculture dans le pays d’Ouche en 1787’, rapport du bureau d’agriculture et du bien<br />
public. Proposé par V. E. Veuclin en 1889<br />
« Je donne pour exemple un malheureux journalier qui a femme et enfants. Il possè<strong>de</strong> six<br />
acres <strong>de</strong> mauvaises terres avec une vergée <strong>de</strong> cour dans laquelle est plantée sa chaumière ;<br />
cette quantité étant insuffisante pour entretenir un harnois, il est obligé d’acheter ses<br />
labourages. <strong>Le</strong> prix qu’ils lui coûtent joint aux autres frais est bien supérieur à la récolte qu’il<br />
en tire, mais il le paye <strong>de</strong> ses bras. Il passer les nuits à serrer son bled (à ranger son grain)<br />
dans le mois d’août, il les passe à la battre quand il en a besoin, il les passe à brouetter son<br />
fumier, Et toujours après avoir gagné sa journée dans <strong>de</strong>s entreprises où il double ses forces,<br />
45<br />
45
il acquiert <strong>de</strong> quoi payer son laboureur ainsi en épuisant son corps et en abrégeant sa vie.<br />
Son bled alimente sa famille au moins une partie <strong>de</strong> l’année, la paille nourrit, l’hiver, une<br />
vache dont le lait et le veau sont d’un grand secours au ménage, il se voit à l’abri d’une<br />
famine absolue. Et si ces ressources ne suffisent pas à la subsistance <strong>de</strong> toute la maison, la<br />
femme passe les nuits à filer. (…) <strong>Le</strong>s mauvaises terres du Pays d’Ouche qui sont impropres à<br />
ces espèces <strong>de</strong> prairies artificielles pourraient peut-être produire <strong>de</strong>s genêts pour la nourriture<br />
<strong>de</strong>s moutons ou <strong>de</strong>s joncs marins pour le chauffage. <strong>Le</strong> défaut <strong>de</strong> qualité dans les laines <strong>de</strong><br />
cette province vient peut-être <strong>de</strong> ce qu’on tient les moutons dans <strong>de</strong>s étables trop étroites ;<br />
trop bien fermées et par conséquence trop chau<strong>de</strong>s. »<br />
A cette époque, l’agriculture et l’élevage (<strong>de</strong>s moutons en particuliers) sont déjà imbriqués : le<br />
mouton procure la vian<strong>de</strong> (pour la consommation <strong>de</strong>s ménages), la laine (pour la production<br />
<strong>de</strong>s toiles) et <strong>de</strong>s déjections qui <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s engrais (‘Dans l'industrie rurale, tout part<br />
donc <strong>de</strong> l'engrais et tout y ramène’). Tous les paysans qui le peuvent ont <strong>de</strong>s moutons.<br />
Il existe aussi une industrie textile rurale semblable à celle rencontrée en Gran<strong>de</strong> Bretagne. En<br />
1762, un édit royal avait accordé aux habitants <strong>de</strong>s campagnes le droit <strong>de</strong> fabriquer <strong>de</strong>s<br />
étoffes sans faire partie d'une corporation. Arrive la Révolution. <strong>Le</strong> bouleversement <strong>de</strong><br />
l’administration du pays s’accompagne d’une transformation profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’industrie. Dans le<br />
pays d’Auge, l’industrie reine est le tissage <strong>de</strong>s étoffes <strong>de</strong> laine 38 . Mais à cette époque, la<br />
laine est handicapée parce qu’on ne sait pas la peigner mécaniquement.<br />
Cette ‘<strong>petit</strong>e industrie familiale’ impliquait un contrôle rigoureux <strong>de</strong> la qualité (la visite et le<br />
marquage <strong>de</strong>s étoffes au retour du moulin à foulon, le recours aux seules laines françaises)<br />
ainsi qu’une division du travail qui participait à l’armature du lien social : le travail à domicile,<br />
la vente à un intermédiaire, qui l’enregistre à la halle à domicile ou à la foire, le commerce <strong>de</strong><br />
gros et <strong>de</strong> semi-gros, la revente sur les foires, etc. Elle pénétrait intimement la vie rurale sous<br />
la forme d'une industrie domestique qui, à vrai dire, tendait à se concentrer dans certains<br />
bourgs, dont Bienfaite et la Cressonnière.<br />
<strong>Le</strong> 19 ème siècle est celui <strong>de</strong> la mécanisation progressive, qui s’accompagne ipso facto <strong>de</strong> la<br />
création <strong>de</strong>s fabriques. Tous les sta<strong>de</strong>s <strong>de</strong> transformation sont mécanisés à la fin du siècle et<br />
le développement <strong>de</strong>s grands troupeaux <strong>de</strong> l’hémisphère sud contribue au développement d’un<br />
marché mondial <strong>de</strong>s laines. La <strong>petit</strong>e industrie familiale <strong>de</strong> la vallée d’Auge ne résistera pas à<br />
cette tendance lour<strong>de</strong> 39 . <strong>Le</strong>s fabriques, portées par les innovations techniques, enregistrent<br />
les tisserands dans leurs murs d’usine, les salarient, les prolétarisent. Fin du tissage à<br />
domicile. Exo<strong>de</strong> <strong>de</strong>s tisserands. Michel Pierre est le <strong>de</strong>rnier tisserand <strong>de</strong> la famille 40 .<br />
38<br />
On pourra lire « La fabrication <strong>de</strong>s frocs dans la région d’Orbec à la fin <strong>de</strong> l’Ancien Régime », <strong>de</strong> Henri Pellerin,<br />
dans ‘<strong>Le</strong> Pays d’Auge’, 1966, n°10.<br />
39<br />
« Mais le travail à domicile a un prix : l’absence <strong>de</strong> scolarisation <strong>de</strong>s enfants. Une enquête industrielle fut faite par<br />
l'Association norman<strong>de</strong> dans les villes <strong>de</strong> Flers et Domfront en 1838. L'instruction dans les familles industrielles est<br />
malheureusement fort négligée, et c'est un fait d'autant plus regrettable que les enfants, riches ou pauvres, peuvent,<br />
presque partout, trouver <strong>de</strong>s maîtres capables, à <strong>de</strong>s distances assez rapprochées. Généralement, aussitôt après leur<br />
première communion, les enfants sachant à peine lire et écrire quittent l'école pour n'y plus revenir. » Congrès agricole<br />
et industriel <strong>de</strong> l'Association norman<strong>de</strong> : session <strong>de</strong> 1852. Extrait <strong>de</strong> l’Annuaire <strong>de</strong>s cinq départements <strong>de</strong> l'ancienne<br />
Normandie, 19e année, 1853, pp. 124-308. Nombreux sont ceux parmi nos ascendants qui ne savaient pas signer leur<br />
nom. Mais en 1850 c’est fini : le résultat <strong>de</strong>s les lois sur le travail <strong>de</strong>s enfants, <strong>de</strong> l’ascension sociale et <strong>de</strong> l’école<br />
universelle. Au point qu’on félicitera Paul l’architecte pour son excellente écriture.<br />
40<br />
« (Vers 1825), la fabrication du froc, qui était concentrée dans les communes <strong>de</strong> Bienfaite, Tordouet, la Chapelle-<br />
Yvon, le Ronceray, donnait à ces communes une mo<strong>de</strong>ste aisance, et surtout le bien être résultant <strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong> famille.<br />
Aujourd'hui la population <strong>de</strong> ce village (Bienfaite) compte à peine cent habitants; le progrès industriel ayant<br />
monopolisé, au chef lieu d'arrondissement, l'ancienne fabrication <strong>de</strong>s frocs, les enfants <strong>de</strong> ces vieux fabricants ont dû<br />
abandonner le toit <strong>de</strong> leurs ancêtres, pour aller à Lisieux ou ailleurs chercher le morceau <strong>de</strong> pain nécessaire à leur<br />
46<br />
46
On a donc assisté à un exo<strong>de</strong> rural en quatre étapes : d’un terroir vers un terroir plus<br />
prometteur, puis <strong>de</strong> la terre au métier (on entre dans une autre organisation du travail) dans<br />
un bourg <strong>de</strong> tisserands. Il ne reste plus qu’à aller à la ville : c’est ce que feront Pierre Brézot le<br />
mécanicien et son frère Elie l’hydraulicien. L’ascendance <strong>de</strong> tous ces gens tient dans un<br />
mouchoir <strong>de</strong> poche, à cheval sur trois départements. La carte <strong>de</strong> Cassini est bien utile pour<br />
montrer cela.<br />
existence. L'industrie <strong>de</strong> cette commune a complètement été transformée <strong>de</strong>puis cinquante ans. La fabrication <strong>de</strong>s frocs<br />
a absolument disparu . » M. Delamare, maire <strong>de</strong> Bienfaite <strong>de</strong> 1871 à 1876<br />
47<br />
47
Pour Arsène <strong>Bigot</strong>, le schéma a été raccourci : sa famille <strong>de</strong> cultivateurs, éleveurs,<br />
maquignons et bouchers, avait dû accumuler assez pour payer son installation dans le<br />
commerce <strong>de</strong> détail à Orbec. Pour les Camus, nous ne savons pas : nous les trouvons déjà<br />
tanneurs en ville.<br />
Toutefois ils ne sont pas tous partis : il existe encore à la Goulafrière <strong>de</strong>s <strong>Bigot</strong>, et sans doute<br />
<strong>de</strong>s paysans Brézot dans d’autres endroits, mais ils sont inconnus <strong>de</strong> nous. L’exo<strong>de</strong> rural a fait<br />
son œuvre en rompant le lien social.<br />
Annexe 5 L’irrigation dans la vallée<br />
‘<strong>Le</strong>s gens <strong>de</strong> la vallée’, dit-on, pour dire ‘les gens d’ici’. <strong>Le</strong> contraire <strong>de</strong>s horsains.<br />
Au 19 ème siècle, la vallée <strong>de</strong> l’Orbiquet est riche. Cela ne veut pas dire ‘les gens sont riches ‘,<br />
mais l’activité y règne. L’Orbiquet intéressa tout particulièrement les frères Brézot, Pierre et<br />
Elie. <strong>Le</strong> premier parce que les usines traitant la laine <strong>de</strong>vaient avoir un moulin (la machine à<br />
vapeur ne s’était pas encore répandue) et le second, suivi par son fils, parce qu’il fit <strong>de</strong><br />
l’irrigation son métier. Cette rivière singulière <strong>de</strong>vint leur terrain <strong>de</strong> jeu tant qu’ils vécurent.<br />
La source <strong>de</strong> la rivière est une résurgence, qui, en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> crue, peut faire jaillir un<br />
mascaret d'un mètre <strong>de</strong> haut ou plus. <strong>Le</strong> débit moyen <strong>de</strong> la rivière est <strong>de</strong> près <strong>de</strong> 500 litres<br />
par secon<strong>de</strong>. Cette eau est un don du ciel, mais doit être mise en oeuvre correctement pour<br />
que son usage soit le meilleur possible : d’où l’irrigation, les vannes et le baignage. <strong>Le</strong><br />
baignage était d’autant plus fertilisant qu’on se rapprochait <strong>de</strong> la source <strong>de</strong> l’Orbiquet, à cause<br />
du sel calcaire que contenait l’eau. <strong>Le</strong>s vertus minérales d’une rivière allant en décroissant le<br />
long <strong>de</strong> son cours, il était plus profitable <strong>de</strong> baigner près d’Orbec que <strong>de</strong> Lisieux<br />
<strong>Le</strong> XIX° fut l’époque à laquelle la vallée acheva <strong>de</strong> se vouer à l’élevage seul. <strong>Le</strong> baignage était<br />
une technique <strong>de</strong>stinée aux pâturages. <strong>Le</strong> paysan irriguait ses champs plusieurs fois dans<br />
l’année : il était baigneur. <strong>Le</strong>s propriétaires (paysans, usiniers) arrêtaient <strong>de</strong>vant notaire le<br />
partage rigoureux <strong>de</strong>s différents baignages en quantités et en heures. Un repère formé d’une<br />
pierre indiquait à côté <strong>de</strong> chaque vanne motrice jusqu’à quel point on avait le droit <strong>de</strong> tirer<br />
l’eau. <strong>Le</strong>s procès étaient courants. Une commission, composée <strong>de</strong> quatre baigneurs, <strong>de</strong> quatre<br />
usiniers et présidée par le sous-préfet <strong>de</strong> Lisieux, veillait au respect <strong>de</strong>s "règlements d’eau".<br />
« Saigner la terre était un labeur dur, c’était aussi un art. Un pré bien saigné <strong>de</strong>vait voir son<br />
eau circuler, et non "cuver", sans cependant que soit mouillée la pointe <strong>de</strong> l’herbe (il fallait<br />
48<br />
48
"que l’eau se borne à jouer autour <strong>de</strong> l’herbe sans jamais la couvrir"). Et par ailleurs,<br />
l’orientation <strong>de</strong>s canaux par rapport à la pente et leur profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>vait être calculée pour que<br />
l’eau circule rapi<strong>de</strong>ment (car "<strong>de</strong> la promptitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’écoulement <strong>de</strong>s eaux dépend en gran<strong>de</strong><br />
partie le succès <strong>de</strong> l’irrigation", sans pourtant raviner le fond <strong>de</strong>s canaux). » 41<br />
Voila l’art que développa Elie, le fils du tisserand <strong>de</strong> la Cressonnière. Parmi sa clientèle, il<br />
comptait les propriétaires d’herbages <strong>de</strong> la vallée et parmi eux les propriétaires <strong>de</strong>s châteaux<br />
qui surplombaient la rivière : le comte <strong>de</strong> Chaumont-Quitry, châtelain et maire <strong>de</strong> Bienfaite en<br />
Septembre 1830, le comte Durey <strong>de</strong> Noinville, le propriétaire <strong>de</strong> Bienfaite suivant, le comte <strong>de</strong><br />
Colbert-Laplace propriétaire <strong>de</strong> Mailloc (ci-<strong>de</strong>vant député bonapartiste), ...<br />
En fait, c’est <strong>de</strong> la fréquentation <strong>de</strong> ces comtes à une date fort tardive somme toute qu’a<br />
germé dans la famille l’idée fausse qu’on fréquentait <strong>de</strong>s châtelains <strong>de</strong>puis toujours, qu’on<br />
avait été leurs forestiers, qu’on avait créé leurs parcs. La réalité est moins poétique… mais<br />
plus compréhensible. Il reste toutefois à explorer la possibilité que certains Brézot aient été<br />
forestiers , mais sans gran<strong>de</strong> conviction.<br />
Annexe 6 <strong>Le</strong>s Camus et la mouvance Carpentier-Buffet-Bunel<br />
Rosette avait fait un bel effort auquel peu <strong>de</strong> gens pensent : coller ses photos <strong>de</strong> famille dans<br />
les cahiers, mettre <strong>de</strong>s noms et faire <strong>de</strong>s bricolages <strong>de</strong> mini-arbres généalogiques. Je salue cet<br />
effort à titre posthume : côté Diehl, personne ne l’a fait avant que je farfouille. Certaines <strong>de</strong>s<br />
approximations <strong>de</strong> Rosette sont faciles à rectifier avec un peu <strong>de</strong> métho<strong>de</strong> car elles portent<br />
presque toutes sur l’Eure dont l’état civil est désormais en ligne.<br />
<strong>Le</strong> diagramme ci-<strong>de</strong>ssous résume ce qu’on peut trouver sans effort. On y voit la permanence<br />
Camus à L’Aigle, la curieuse alliance sous Louis 15 avec les vicomtes, le manque<br />
d’informations sur les fratries, la réduction enfin <strong>de</strong> tous ces adultes en ligne directe en une<br />
seule <strong>de</strong>scendante, Rosette notre mère.<br />
41 « Des irrigations considérées d'une manière générale et plus particulièrement dans la vallée d'Orbec », Y. Morière,<br />
chez F. le Blanc-Har<strong>de</strong>l, imprimeur à <strong>Caen</strong>, 1868. L’image <strong>de</strong> la page 47 est tirée <strong>de</strong> cet ouvrage.<br />
49<br />
49
Et puis il y avait tous ces ‘latéraux’ aux prénoms désuets qui émaillaient certaines<br />
conversations. Si l’on exclut la nébuleuse Galopin, presque tous étaient <strong>de</strong> la sphère<br />
Carpentier, sa grand-mère maternelle. <strong>Le</strong> Carpentier éponyme, huissier à Louviers, était un<br />
Jean-Louis. Rosette croyait qu’il était le père d’Eugénie sa grand-mère : elle n’avait pas<br />
souvenir d’un intermédiaire, le fils Louis-Eugène (‘vous reprendrez bien un <strong>petit</strong> calva, Louis-<br />
Eugène ?’).<br />
C’est réparé. Du coup, célèbre Elisabeth Buffet, au lieu d’épouser un vieillard comme on avait<br />
pu le craindre, s’était mariée au jeunot Louis-Eugène qui n’était que clerc <strong>de</strong> notaire, chez son<br />
père j’imagine (le jeunot est mort un peu jeune, à 46 ans, en 1863). <strong>Le</strong> père Buffet, un<br />
marchand, lui avait par contre vingt ans <strong>de</strong> plus au compteur que le Jean-Louis. Il était aussi<br />
<strong>de</strong> Louviers. Enfin toujours plus loin, le père Bunel, boulanger à Pont-Au<strong>de</strong>mer, engendra<br />
Louis qui épousa la fille aînée Bunel (et l’ancêtre lui fila les fameuses <strong>petit</strong>es cuillers BB à MB).<br />
Sur ces Carpentier, les renseignements <strong>de</strong> Rosette sont imprécis. Mais l’Eure a mis son état<br />
civil en ligne : pourquoi s’en priver ? Eugénie était la fille <strong>de</strong> Louis Eugène Carpentier, clerc<br />
d’huissier à Louviers, né en 1816 (<strong>de</strong> Jean-Louis Carpentier né en 1796, huissier, marié à<br />
Henriette Malot), et <strong>de</strong> son épouse Elizabeth née Buffet en 1821 ; cette Elisabeth était la fille<br />
d’un Barthélemy Buffet, d’Evreux (né lui en 1775, un vieux) et d’une Marie Anne Anselin.<br />
50<br />
50
Barthélemy Buffet avait donné en mariage sa fille aînée Anne Marie à un Bunel. Ces <strong>de</strong>ux<br />
noms nouveaux, Buffet et Bunel, se retrouvaient en monogramme sur les couverts familiaux<br />
42 . On sent que du côté Camus, la référence aux épouses reste permanente, ce qui est ma foi<br />
bien sympathique.<br />
Je n’ai pas repris les <strong>de</strong>scendants <strong>de</strong> tout ce <strong>mon<strong>de</strong></strong> : Rosette en connaissait quelques uns,<br />
moi aucun. J’en vois qui vont dire « il a passé <strong>de</strong>s mois à faire ça ». Eh non : les mormons et<br />
leur manie <strong>de</strong> vouloir baptiser le <strong>mon<strong>de</strong></strong> entier m’ont aidé à redonner vie à nos nobles<br />
vieillards sans bouger <strong>de</strong> ma chaise. Un peu <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>, un crayon 2H, une familiarité avec<br />
les fichiers d’archives et l’écriture du 19 ème siècle, et l’affaire est dans le sac. Je vais peut-être<br />
aller visiter leur piscine <strong>de</strong> Salt Lake City après tout.<br />
Annexe 7 Des stars<br />
<strong>Raymond</strong> <strong>Bigot</strong>, le père <strong>de</strong> Madame Rosette, était avant toute chose mon grand-père et je suis<br />
mal armé pour apprécier sa stature d’artiste même si j’ai quelques idées sur le sujet. Je me<br />
souviens surtout <strong>de</strong> son pullover (un seul selon moi peut-être je me trompe) qu’il ne quittait<br />
que pour dormir, et encore je n’en suis pas sûr, et <strong>de</strong> son chapeau qui n’a jamais ressemblé à<br />
ce qu’on m’avait appris que c’était, un chapeau. Il nous donnait <strong>de</strong>s mini-aquarelles comme<br />
récompense d’improbables concours <strong>de</strong> bilboquet qu’on gagnait toujours. Il nous faisait<br />
<strong>de</strong>ssiner <strong>de</strong>s ‘bonhommes’ le matin entre <strong>de</strong>ux tartines. Et il voulait bien qu’on le regar<strong>de</strong><br />
travailler à condition <strong>de</strong> ne pas dire un mot, mais alors pas un. Un type dans un journal du<br />
temps d’alors (il est sûrement mort aujourd’hui) écrivait :<br />
« <strong>Le</strong>s amis <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong> <strong>Bigot</strong> savent que son aspect rêveur, sa pensée souvent<br />
lointaine, son indifférence apparente pour les choses immédiates, voilent une volonté<br />
tranquille, une sincérité émouvante, un dynamisme insoupçonnable et qui s’exerce<br />
infailliblement dès qu’on approche un peu <strong>de</strong> l’homme. » Eugène Mary, La Normandie<br />
illustrée n°12, mars 1927.<br />
42 Pour ceux qui ont vu l’argenterie <strong>de</strong> famille, avant qu’elle ne s’envole (il y a <strong>de</strong>s vents forts dans les successions), un<br />
monogramme était souvent là : « Barthélemy Buffet à Mélanie Bunel », BBAMB. Pour nous c’était une jolie comptine<br />
alexandrine. C’était l’argenterie offerte par Barthélemy à sa <strong>petit</strong>e fille Mélanie née Bunel (1836-1925), sans doute<br />
pour son mariage avec un monsieur Férey dans les années 1850. Comment ces cuillers ont-elles intégré l’espace<br />
familial ? Décidément, les successions recèlent <strong>de</strong>s secrets insondables.<br />
51<br />
51
Tout est là. <strong>Raymond</strong> était une star d’ailleurs, intemporelle. Ce qui fait qu’il vit encore. Là, au<br />
<strong>de</strong>ssus à gauche, vous le voyez <strong>de</strong>vant son atelier d’Orbec vers 1904. A droite son père, très<br />
classe, <strong>de</strong>vant la même croisée. <strong>Le</strong> chapeau met en scène celui qui le porte. Et le transcen<strong>de</strong>.<br />
52<br />
52
Jeanne-Jane avait été une star, nous ne le savions pas : ci-<strong>de</strong>ssus elle pose <strong>de</strong>vant Henri <strong>de</strong><br />
Saint-Delis, un monsieur qui peignait comme un magicien et me racontait <strong>de</strong>s histoires <strong>de</strong><br />
monstres. A gauche, Ma<strong>de</strong>leine s’active, attentive à ce que Rosette n’attrape pas la grippe <strong>de</strong><br />
la crevette. Et vous cherchez <strong>de</strong>s stars dans le poste alors que vous les avez chez vous ! Et ci<strong>de</strong>ssous<br />
la voila à côté <strong>de</strong> son mari au mariage <strong>de</strong> Rosette en 1935.<br />
Et puis, nous vous avions promis <strong>de</strong> vous parler <strong>de</strong> Lucie Delarue-Mardrus. Nous y sommes.<br />
Donc un jour on nous a fait tout propre dans le tub en zinc galvanisé qu’on approvisionnait à<br />
coup <strong>de</strong> seaux d’eau chauffée sur le réchaud Primagaz. A vue <strong>de</strong> nez on est en 1947. On nous<br />
a mis face à un monsieur qui nous racontait comment la dame, née dans cette maison<br />
propriété <strong>de</strong> son père avocat (celle qu’avait occupée ensuite le docteur Bréhier, accoucheur <strong>de</strong><br />
Rosette et ex-maire <strong>de</strong> la ville), était tellement intéressante qu’on vissait une plaque sur le<br />
mur du <strong>de</strong>hors (pas le mur du <strong>de</strong>dans, cela n’aurait pas eu <strong>de</strong> sens, les gens du <strong>de</strong>dans<br />
sachant déjà sans avoir besoin <strong>de</strong> la plaque). Entre Bertrand et moi, on voit Bernard Gaymard,<br />
<strong>petit</strong> fils du docteur Bréhier et surtout le fils d’un amoureux transi <strong>de</strong> Rosette, Pierre. <strong>Le</strong><br />
monsieur à côté <strong>de</strong> Bertrand, qui a pourtant un bien beau dossier entre les mains, a un air à<br />
rêver à sa fiancée et à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si elle le trompe pendant l’inauguration. Bertrand et moi,<br />
nous sommes habillés pareil, mais les manches <strong>de</strong> Bertrand se font un peu courtes. C’est qu’il<br />
commence à grandir si vite que les couturières ne peuvent suivre. Moi j’ai encore un peu <strong>de</strong><br />
marge, le temps <strong>de</strong> faire encore <strong>de</strong>ux ou trois inaugurations.<br />
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Madame Lucie Delarue, qui épousa un vieux monsieur accommodant, était <strong>de</strong> la génération <strong>de</strong><br />
mes grands parents. Et pourtant, cela me fait penser aux <strong>petit</strong>s hommes verts <strong>de</strong> Martians Go<br />
Home qui auraient débarqué dans le bocage, car entre la frivolité apparente et convenue <strong>de</strong>s<br />
années Fallières et l’engagement sans concession <strong>de</strong> la poétesse, il y avait un abîme. Lucie<br />
avait un style assez différent <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Jeanne (la mère <strong>de</strong> Rosette ; elles avaient le même<br />
âge), vous en conviendrez aisément en regardant ses photos.<br />
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Et ses liaisons érotiques avec <strong>de</strong>s femmes <strong>de</strong> caractère en fâchaient plus d’un. Ou d’une. Je<br />
comprends pourquoi <strong>Raymond</strong> planquait ses livres <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>s ouvrages fa<strong>de</strong>s...<br />
On ne dira jamais assez aux grands : ce qu’il y a dans votre bibliothèque (si vous en<br />
avez une bien sûr), soyez certains que les <strong>petit</strong>s trouveront tout ce que vous avez cru<br />
bien dissimulé, et le feuilletteront. Surtout si c’est sur un second rayon. Et la mémoire<br />
<strong>de</strong>s <strong>petit</strong>s est meilleure que la vôtre, même si leur compréhension est incertaine. Voici<br />
pourquoi Lucie s’est gravée dans ma mémoire reptilienne plus sûrement qu’Henri<br />
Bor<strong>de</strong>aux et Hector Malot.<br />
<strong>Le</strong> gag (il y en a un), c’est que Lucie est morte en Mayenne dans la douleur, la misère et<br />
l’oubli, à Château-Gontier, à trente kilomètres <strong>de</strong> Laval où vivait la fille <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong> <strong>Bigot</strong> qui<br />
avait passé du temps <strong>de</strong>s Bréhier <strong>de</strong>s moments infinis dans sa maison natale <strong>de</strong> Lucie. Et je<br />
suis certain que Rosette n’a jamais rien su <strong>de</strong> cette mort.<br />
« Lorsque, le 23 avril 1945, Lucie Delarue-Mardrus mourut à Château-Gontier, sa mort<br />
passa inaperçue. (...) Dix ans après, son suprême désir, le retour <strong>de</strong> sa dépouille<br />
mortelle au pays natal, <strong>de</strong>vait être exaucé. (...) Paris, Dieppe, l'Afrique du Nord, le<br />
Sahara, la Turquie d'Europe, la Turquie d'Asie, la Syrie, la Palestine, l'Egypte et puis<br />
Château-Gontier et enfin Honfleur où repose désormais celle qui n'échappa jamais à la<br />
séduction <strong>de</strong> la terre natale. Sans bruit, comme font les colombes, Lucie Delarue-<br />
Mardrus a franchi l'an <strong>de</strong>rnier le portail <strong>de</strong> notre cimetière. Elle est partie vers les<br />
manoirs normands du Breuil et <strong>de</strong> Vasouy, vers le Pavillon <strong>de</strong> la Reine, au pays <strong>de</strong>s<br />
bleuets, <strong>de</strong>s boutons d'or et <strong>de</strong>s aubépines roses. » <strong>Le</strong> courrier <strong>de</strong> la Mayenne, 27 Avril<br />
1957<br />
Annexe 8 En conclusion, <strong>de</strong> bien belles images <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong>,<br />
en pull, l’une d’elles avec chapeau, une autre sans.<br />
<strong>Le</strong>s trois photos qui suivent datent <strong>de</strong> 1948 ; <strong>Raymond</strong> a 76 ans. Elles ont été prises par<br />
Edouard, le mari <strong>de</strong> Rosette et notre père par la même occasion.<br />
Sur la première, ci-<strong>de</strong>ssous, <strong>Raymond</strong> s’attaque au ‘grand aigle’. « Ma joie c’est toujours <strong>de</strong><br />
me battre avec un bois dur, d’en sortir l’ébauche ; la suite n’a pas pour moi la même<br />
attraction. C’est pourquoi je ne fais pas précé<strong>de</strong>r mon travail d’un mo<strong>de</strong>lage dans la glaise. Ma<br />
taille directe sera moins parfaite mais cette imperfection sera rachetée par le chaleur <strong>de</strong><br />
l’improvisation, la franchise du coup que donnera mon outil et c’est ainsi, n’est-ce pas, que<br />
travaillent les vieux huchiers comme aussi les tailleurs <strong>de</strong> chapiteaux roman (...). Chaque<br />
bûche m’apprend une métho<strong>de</strong> particulière <strong>de</strong> travail’. » (cité par Charles Chassé, <strong>Raymond</strong><br />
<strong>Bigot</strong>, 1947).<br />
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Pour les grosses pièces, il travaillait toujours à l’air libre, dans l’antichambre <strong>de</strong> son atelier, un<br />
bunker et béton, dans le champ au bout du jardin, glacial. C’est là qu’on le trouvait, <strong>de</strong>s jours<br />
durant, a préparer à grands coups <strong>de</strong> maillet l’ébauche qu’il raffinerait ensuite.<br />
Il avait <strong>de</strong>ux établis, l’un dans la salle à manger <strong>de</strong> la maison, tempéré, l’autre dans son<br />
atelier glacial. C’est ce <strong>de</strong>rnier qu’on voit sur la photo ci-<strong>de</strong>ssous, tourné au nord, sibérien en<br />
hiver. D’où le chandail. <strong>Le</strong>s bûches qu’on voit ne sont pas à sculpter mais pour le poêle.<br />
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Et là, ci-<strong>de</strong>ssous, <strong>Raymond</strong> prépare une <strong>petit</strong>e sculpture sur l’établi <strong>de</strong> la salle à manger, un<br />
établi qui est désormais au musée Boudin à Honfleur. Sur le buffet, la ’poule couveuse’.<br />
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C’est le grand-père que j’ai connu.<br />
Annexe 9 Orientation <strong>de</strong>s recherches, quelques pistes.<br />
* A Orbec : explorer les archives notariales du Calvados. Voir ce que Brézot a éventuellement<br />
légué et à qui.<br />
* Aux archives départementales du Calvados : consulter les registres du commerce pour<br />
en savoir plus sur le commerce <strong>de</strong> tissus <strong>Bigot</strong> entre 1868 et 1918.<br />
* Egalement aux Archives du Calvados, ce qui subsiste <strong>de</strong>s bulletins scolaires <strong>de</strong> l’école<br />
communale relatifs à Léon, <strong>Raymond</strong> et Paul <strong>Bigot</strong>, si cela existe. Afin d’en savoir plus sur la<br />
genèse <strong>de</strong> cette ‘belle écriture’. Thème : ‘la Laïque et l’écriture’.<br />
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* Aus archives <strong>de</strong> l’Eure : trouver le cadastre <strong>de</strong>s terres ‘<strong>Bigot</strong>’ à La Goulafrière ou à<br />
Montreuil d’Argillé en 1860. Quand ont-elles été achetées ? vendues ? Au profit <strong>de</strong> qui ?<br />
* Aux archives départementales <strong>de</strong> l’Orne : trouver le statut <strong>de</strong>s 12 et 14 rue <strong>de</strong>s<br />
tanneurs à L’Aigle, <strong>de</strong>puis 1860 jusqu’à nos jours. Quand le 14 a-t-il été vendu, et au profit <strong>de</strong><br />
qui ? A l’état civil <strong>de</strong> l’Orne : sortir les actes d’état civil qui ont un sens (dont le mariage<br />
<strong>Bigot</strong>-Camus <strong>de</strong> 1911).<br />
* Aux archives départementales <strong>de</strong> la Seine Maritime, les archives du collège <strong>de</strong>s Frères<br />
<strong>de</strong> la Doctrine Chrétienne, à Rouen : les bulletins scolaires <strong>de</strong> Paul et <strong>Raymond</strong>.<br />
* Un fonds du photographe L Turpin, Rue Gran<strong>de</strong>, Orbec (1880-1900) : photos <strong>de</strong> famille<br />
<strong>Bigot</strong>. Un fonds du photographe Eugène Tribouillard, 88 rue Petite Couture Prolongée,<br />
Lisieux (1900-1910) : photos <strong>de</strong> l’Atelier <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong> à Orbec, voire plus.<br />
* Une lecture détaillée <strong>de</strong> <strong>Raymond</strong> <strong>Bigot</strong>, par Charles Chassé, <strong>Le</strong>s Editions universelles,<br />
1947, Paris : les œuvres reproduites, <strong>de</strong>s sculptures, sont toutes datées, avec leur propriétaire<br />
d’alors (dont moi....).<br />
* La visite <strong>de</strong> sept cimetières (ça sert à faire <strong>de</strong>s passerelles entre <strong>de</strong>s patronymes qu’un<br />
seul examen <strong>de</strong>s actes n’appelle pas : on n’est pas enterré avec quiconque).<br />
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L’Aigle (Saint Barthélémy sans doute) : les Camus, peut-être <strong>de</strong>s Galopin<br />
Orbec /La Vespière : la tombe <strong>Bigot</strong> (Arsène, Marie, Thérèse, Léon, Paul l’architecte),<br />
une ou <strong>de</strong>s tombes Brézot. Et celle du notaire Ozanne 43 .<br />
La Cressonnière : <strong>de</strong>s tombes Brézot et conjoints<br />
43 Ce Maître Albert Ozanne, né (1843) et mort (1912) à la Vespière (c’est-à-dire Orbec) fut le grand-père <strong>de</strong> trois<br />
personnes qui comptèrent dans la vie <strong>de</strong> Rosette : Bernard <strong>Le</strong>cornu (connu comme ‘le sous-préfet <strong>de</strong> Châteaubriant‘,<br />
soupçonné du pire –le choix <strong>de</strong>s otages fusillés, dont Guy Moquet- et réhabilité à la Libération après 5 mois à Fresnes),<br />
Geneviève Guibé née <strong>Le</strong>cornu, sa sœur (et ma marraine dans la foulée) et François Ozanne, cousin germain <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />
premiers, un <strong>de</strong> ses soupirants <strong>de</strong> Rosette avant que le susdit Bernard, qui oeuvrait à la préfecture <strong>de</strong> la Mayenne,<br />
n’emmenât Edouard à <strong>Caen</strong> pour le ’bal <strong>de</strong> l’A’ <strong>de</strong>s étudiants en mé<strong>de</strong>cine et lui présentât Rosette. Ce François Ozanne<br />
eut <strong>de</strong>s fils dont <strong>de</strong>ux firent Centrale avec moi. Difficile <strong>de</strong> croire qu’un notaire <strong>de</strong> Pont Au<strong>de</strong>mer natif d’Orbec, du<br />
même âge qu’Arsène exactement, ait été inconnu <strong>de</strong> la famille <strong>Bigot</strong>-Brézot, et ce bien avant l’épopée caennaise <strong>de</strong><br />
Rosette ! Et la fille du notaire, Marguerite, future épouse <strong>de</strong> Pierre <strong>Le</strong>cornu, un grand chirurgien caennais (et mère <strong>de</strong><br />
Geneviève et Bernard), avait l’âge <strong>de</strong>s enfants d’Arsène....<br />
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La Folletière : <strong>de</strong>s tombes <strong>Bigot</strong><br />
Cernay : <strong>de</strong>s tombes Brézot et conjoints<br />
Chambois : les tombes Brézot <strong>de</strong>s origines<br />
La Goulafrière : <strong>de</strong>s tombes <strong>Bigot</strong><br />
Equemauville : pour l’émotion, <strong>Raymond</strong> et Jeanne <strong>Bigot</strong>, Paul et Ma<strong>de</strong>leine Camus.<br />
C’est une <strong>de</strong>s premières tombes à gauche en entrant.<br />
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