L'objectivité de la perception des sens externes. - Thomas d'Aquin ...
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40 ÉTUDES PHILOSOPHIQUES<br />
extérieurs, mais encore avec son propre corps. Car,<br />
remarquons-le bien, ce n'est pas seulement <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce<br />
<strong>de</strong> l'âme que les cartésiens ont changée, c'est encore<br />
et surtout <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> l'âme. D'après <strong>la</strong> philosophie<br />
traditionnelle, l'âme sentante ou animale (1) était une<br />
substance incomplète qui ne faisait avec son organisme<br />
qu'un seul tout naturel. La matière et <strong>la</strong> forme<br />
n'étant que le <strong>de</strong>hors et le <strong>de</strong>dans <strong>de</strong> <strong>la</strong> même substance,<br />
toute action étrangère pénétrait à <strong>la</strong> fois <strong>la</strong> matière<br />
et <strong>la</strong> forme du patient. Dès lors, <strong>la</strong> fameuse<br />
question : « comment l'organe corporel peut-il agir sur<br />
l'âme, <strong>la</strong> substance étendue sur <strong>la</strong> substance simple ? »<br />
ne se posait même pas ; elle n'avait plus <strong>de</strong> raison<br />
d'être, et le problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>sens</strong>ation se trouvait merveilleusement<br />
simplifié : c'est l'organe-animé qui<br />
sent.<br />
Que si au contraire le sujet sentant est un pur esprit,<br />
reparaissent toutes les difficultés. Comment ce<br />
qui est étendu peut-il agir sur ce qui est simple et qui<br />
n'a par conséquent aucun point <strong>de</strong> contact ? Nihil<br />
corporeum imprimere potest in rem incorpoream (2).<br />
Si ma conscience est un pur esprit, il est c<strong>la</strong>ir qu'elle<br />
ne peut pas plus toucher, saisir, envelopper mes bras<br />
et mes jambes, que les arbres ou les maisons voisines,<br />
et <strong>la</strong> <strong>perception</strong> intérieure <strong>de</strong> notre corps est <strong>de</strong>venue<br />
aussi impossible que <strong>la</strong> <strong>perception</strong> <strong>de</strong>s réalités<br />
extérieures (3).<br />
(1) Nous avons vu ailleurs comment l'âme raisonnable, plongée dans<br />
<strong>la</strong> matière par ses facultés <strong>sens</strong>ibles et végétatives, <strong>la</strong> dépassait par<br />
ses facultés supérieures (Voy. Le cerveau et l'âme, p. 85 et suiv.).<br />
(2) S. <strong>Thomas</strong>, 1 a , q. 84, a. 6, c.<br />
(3) L'intellect est incapable, nous dit S. <strong>Thomas</strong>, <strong>de</strong> percevoir les<br />
corps, parce qu'étant inorganique et spirituel il ne saurait recevoir<br />
leurs actions matérielles : « intellectus noster..... propter hoc singu<strong>la</strong>ria<br />
non cognoscit..... Sensus (e contra) et imaginatio sunt vires organis<br />
affixæ corporalibus ; et i<strong>de</strong>o similitudines rerum recipiuntur in eis<br />
materialiter, quamvis absque materia, ratione cujus singu<strong>la</strong>ria cognoscunt<br />
» (De Veritate, q. 2, a. 5, ad 1 um et 2 um ) — De anima, II, lec. 12.