Une histoire d'amour ordinaire / Fragments biographiques Léandre ...
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Oh ! non, je ne sais pas si j’ai « bien » ou « mal » agi et, à supposer qu’on<br />
puisse jamais le savoir, je pense qu’il est trop tôt pour cela. Mais pour moi,<br />
le Bien, c’était toi, Amine, et on ne peut me reprocher d’avoir voulu m’en<br />
approcher. Oh ! Amine, Amine ! Tu m’as ramené à la vie, Amine ! Pardon<br />
de répéter ainsi ton doux nom à outrance, mais pour moi il est le nom<br />
même de la vie, j’en veux faire mon mantra, mon dhikr, j’égrènerai mon<br />
rosaire en répétant ce nom, ton image gravée sur mon cœur ! Tu m’as<br />
appris la vie, tu me l’as fait découvrir bien plus que je ne te l’ai fait<br />
découvrir. Ou au moins autant. Que ton nom soit béni, Amine, béni tout<br />
ton être et toute ta descendance, si tu en as une, et je t’en souhaite une<br />
nombreuse, cher bienfaiteur !<br />
Oui, dès cet instant, ai-je besoin de le préciser ? je t’aimai d’un amour<br />
fou, je t’aimai plus que tout au monde. Je t’aimai trop, peut-être… mais<br />
saint Augustin ne dit-il pas que la mesure de l’amour est d’aimer sans<br />
mesure ? Je t’aimai donc au-delà de toute mesure, et ainsi t’aimerai-je<br />
toujours, si Dieu le permet. Je t’égalai à sa Lumière, tu devins pour moi le<br />
Sauveur, le Messie attendu depuis des siècles ; des siècles de solitude, tant<br />
ma vie avant cet épisode m’apparaît longue et vide. Bien entendu, tous les<br />
autres garçons cesseraient d’exister à mes yeux — du moins pour un<br />
temps. Tu devenais celui qui éclipsait tous les autres, qui les résorbait, les<br />
subsumait sous lui. Tu n’étais plus un garçon, mais le garçon du Sud,<br />
l’éphèbe arabe dans le temps et l’éternité, celui dont j’avais toujours rêvé,<br />
qui hantait mes nuits depuis l’âge de treize ans au moins, et que je ren -<br />
contrais enfin en chair et en os ; tous ces garçons sur lesquels mes désirs<br />
s’étaient portés depuis des années, je les revoyais tous en toi… tu avais le<br />
nez de l’un, les yeux et les sourcils de l’autre, la fraîcheur et l’humour d’un<br />
autre encore ; tu les contenais tous en étant tout à fait toi-même, comme<br />
l’Intellect contient toutes les Idées sans être aucune d’elle, et, à travers toi,<br />
j’allais enfin les posséder tous ! Plus encore, en te voyant, je croyais que<br />
j’allais m’écrier, paraphrasant le prophète Muhammad, « J’ai vu mon<br />
Seigneur sous la forme d’un adolescent imberbe… ». Oui, je voyais en toi<br />
cette théophanie de l’Éphèbe qui fut toujours, à mes yeux, le legs le plus<br />
émouvant de la tradition islamique : voir Dieu sous les traits d’un jeune<br />
garçon, plutôt que d’un vieux barbon comme on a la grotesque habitude<br />
de le représenter en Occident, n’est-ce pas la délicatesse suprême d’une<br />
tradition qui a su mieux que toute autre célébrer la beauté de la vie, de la<br />
jeunesse, de l’amour, ces dons divins ? Ainsi les Mille et <strong>Une</strong> Nuits, ce<br />
monument de la sagesse arabe et orientale, regorgent de passages admira -<br />
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