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Une histoire d'amour ordinaire / Fragments biographiques Léandre ...

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avec la pulsation de mon âme, des climats plus adaptés à mon caractère.<br />

À cette époque, quelques voyages, en famille d’abord, puis seul, dans des<br />

pays d’Afrique et d’Asie, me confirmèrent dans cette envie d’ailleurs, qui<br />

se mua bientôt en une passion pour le monde oriental, passion durable<br />

qui détermina en quelque sorte le cours de ma vie. En attendant, il y avait<br />

un être qui incarnait à lui seul et ce désir d’horizons nouveaux, et cet autre<br />

désir encore plus brûlant, celui d’un corps pareil au mien, ou plutôt à celui<br />

que j’avais perdu, bien qu’à la fois différent, autre. Cet être, c’était le garçon<br />

étranger, le garçon exotique, oriental, surtout arabe ou turc, puisque le<br />

destin a voulu qu’une grande partie de mon adolescence se passât dans<br />

des milieux, dans des quartiers où la représentation immigrée était forte.<br />

Toutefois, depuis toujours, c’étaient bien les petits Européens, comme moi,<br />

qui m’en faisaient voir de toutes les couleurs, qui me battaient dans la cour<br />

de récréation et se moquaient de moi en classe ; traité par eux comme un<br />

étranger, comme une sorte de métèque, je me tournais vers ceux qui<br />

étaient « vraiment » étrangers, je reconnaissais dans le racisme dont ils<br />

étaient parfois victimes un analogue de ce que j’avais moi-même subi en<br />

tant que « différent ». Il ne m’en fallait pas plus pour déterminer une<br />

fixation accrue sur ces garçons d’origine étrangère, si mystérieux, si<br />

différents de moi, bien que bâtis comme moi — enfin, souvent beaucoup<br />

mieux, il fallait le reconnaître… J’étais fasciné par la peau noire, par la<br />

peau brune, ou plutôt dorée, par les cheveux crépus, bientôt par tout<br />

l’univers de ces jeunes Méridionaux, si beaux, si gracieux avec leurs corps<br />

de gazelles et leurs visages caprins ; par leurs manières, si brusques parfois,<br />

presque barbares, mais cachant au fond une sensibilité aussi grande, voire<br />

plus grande que la nôtre, émoussée par tant de vaniteuse « civilisation ».<br />

En fait, la sauvagerie apparente de ces garçons, pourtant issus d’une<br />

ancienne et brillante culture, me plaisait, et les rendait encore plus attirants<br />

à mes yeux ; elle me ramenait aux sources de la civilisation, à des temps<br />

plus durs que le nôtre, où l’homme pour survivre devait savoir manier le<br />

sabre, mais où la vie aussi devait être tellement plus excitante que dans<br />

notre triste civilisation moderne, rationnelle, matérielle et frivole ! Et puis,<br />

toute leur façon d’être transpirait aussi une sensualité, une proximité avec<br />

le corps dont nous, Occidentaux, avions complètement perdu le secret ;<br />

on voyait bien qu’ils venaient d’un monde, d’une culture, qui ne séparait<br />

pas bêtement le corps de l’esprit, d’ailleurs ils étaient tous croyants ! Mais<br />

en même temps tellement libres, tellement vivants, tellement sensuels !<br />

Ah ! Il suffisait de les voir aller en groupe, dans le métro, dans la rue, se<br />

tenir par le bras, par l’épaule, par la taille ; se passer la main dans les<br />

cheveux les uns des autres, enfin, communiquer par tout le corps, par le<br />

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