Une histoire d'amour ordinaire / Fragments biographiques Léandre ...

l’adultérer ! Cette unité infiniment simple qui est l’essence de la vie, dès
lors qu’on la présente au miroir de la pensée, se réfracte en une telle
multiplicité d’aspects contrastés et mouvants que notre langage peine à
les rassembler à nouveau en une unité organique, cohérente.
L’histoire que je vais raconter est somme toute assez banale — une
histoire d’amour ordinaire. Si ce n’est qu’il s’agit d’un amour qui,
théoriquement, n’a pas droit de cité dans le monde où nous sommes
contraints de vivre. Or, ce qui pourrait, ce qui devrait n’être qu’une banale
histoire d’amour — en tout cas de passion, de désir et de sexe — devient
une énigme, un problème, une équation difficile à résoudre, dès lors que
l’Univers — j’entends par là ce ramassis de fripouilles que l’on nomme les
honnêtes gens et qui composent à ce jour le gros et même le gras de la
société — a une fois pour toutes déclaré non seulement honteuse, non
seulement criminelle, mais encore impossible cette forme d’amour. Je vous
invite à méditer sur ce mot : impossible. Mot immense ; les fondations de
l’Infini frémissent quand on prononce ce vocable synonyme de la plus
absolue des limitations, de la plus infranchissable des barrières, celle qui
sépare à jamais ce qui est de ce qui ne saurait, en aucun cas, jamais être !
N’allez pas croire que j’exagère : impossible est très exactement le mot que
j’ai entendu le plus souvent, dans la bouche des honnêtes gens qui en ont
(malencontreusement) eu connaissance, pour qualifier mon histoire. Il
était apparemment écrit que je ne mourrais pas sans avoir assisté à ce
spectacle conster nant de gens apparemment sains d’esprit qualifiant
d’impossible une chose dont ils savent qu’elle a effectivement eu lieu. Car
elle a bien eu lieu, cette histoire, et le plus simplement du monde ! Sans
tambour ni trompette. Comme si de rien n’était. Une histoire d’amour
tout à fait ordinaire. C’est ça qui est extraordinaire dans cette histoire :
qu’une chose réputée impossible, jusqu’aux confins de la Voie lactée,
puisse se produire d’une façon finalement aussi ordinaire.
Ordinaire comme le miracle, qui, lorsqu’il est authentique, ne se signale
jamais par de grands effets théâtraux, mais reste humble, discret ; oui, il y
a quelque chose de miraculeux dans ce qui m’est arrivé, en ce sens que je
ne saurais dire, bien que l’ayant vécu, comment tout cela a pu arriver. Un
nimbe d’irréalité entoure tout mon souvenir de cette histoire, comme si
je l’avais rêvée, car c’était vraiment un rêve — et par moments un cau -
chemar, mais n’anticipons pas. Bien que je revoie avec précision tout
l’enchaînement des faits, quelque chose dans leur dynamique m’échappe.
D’ailleurs, tout cela était impossible à imaginer ; c’est pour cela que je
devais le vivre. C’était le seul moyen de percer cette énigme. Ce qui est
réputé impossible glisse dans l’Impensable, il devient une sorte d’ab solu,
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