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Une histoire d'amour ordinaire / Fragments biographiques Léandre ...

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Néanmoins, je multipliai les voyages, me rapprochai de l’Orient, de<br />

l’Islam, de sa mys tique, que je commençai à étudier avec passion. Je fus<br />

bientôt dûment circoncis. C’est au Caire que je fis la connaissance d’un<br />

personnage haut en couleur, à la fois sympathique et inquiétant, un vieux<br />

cheikh un peu mafieux, un peu sorcier, mais très érudit, aussi versé dans<br />

le droit islamique traditionnel que dans les sciences occultes. L’homme<br />

était louche, certes, et d’ailleurs il eut à plusieurs reprises des démêlés avec<br />

la police et la justice, mais il savait merveilleusement jouer de son<br />

influence, de son bagou et de ses relations mul ti ples pour se tirer d’affaire ;<br />

du reste, son immense savoir, son humeur toujours joviale et son<br />

empressement à venir en aide à ceux qu’il aimait faisaient qu’on fermait<br />

volontiers les yeux sur ses magouilles. On venait le consulter d’un peu<br />

partout, qui pour une consul tation religieuse — l’homme était un casuiste<br />

hors pair —, qui pour briser un envoû te ment. Il se prit d’amitié pour moi<br />

et réciproquement, et je restai à son service pendant quelques années,<br />

comme secrétaire particulier, commis et homme à tout faire. J’appris<br />

quantité de choses grâce à lui. À mes heures de loisir, je poursuivais ma<br />

formation philo sophique dans sa très riche bibliothèque, qui contenait<br />

une des plus belles collections de manuscrits et d’éditions originales des<br />

grands penseurs arabes et européens d’Égypte et probablement du monde.<br />

Quand je n’étais pas dans la bibliothèque, j’errais dans les rues du Caire<br />

revêtu de l’habit traditionnel ; je parlais la langue du pays, assez du moins<br />

pour me débrouiller dans la conversation courante, au point que les gens<br />

peu attentifs me prenaient pour un autochtone. <strong>Une</strong> ou deux fois par<br />

mois, le cheikh organisait en sa somp tueuse demeure des réceptions où<br />

se pressait toute la bonne — et parfois la moins bonne — société cairote<br />

et cosmopolite : ambassadeurs, écrivains, hommes d’affaires, acteurs,<br />

prostituées, tout y passait, c’était un enchantement pour moi, jeune<br />

homme, de côtoyer tant de gens curieux ou importants. Je préparais le<br />

café et le narguilé pour tout ce monde ; je servais le vin quand les invités<br />

en buvaient — le cheikh, lui, n’en buvait naturellement jamais —, je faisais<br />

visiter la bibliothèque et je faisais le ménage en fin de soirée ; bref, je faisais<br />

le guide et la soubrette. Le cheikh me fit bientôt confiance au point de me<br />

mettre plus ou moins dans le secret de ses petits trafics et, aux environs<br />

de ma vingtième année, m’accorda la main de sa nièce, une fille très pure,<br />

qu’il avait recueillie orpheline et qu’il traitait comme sa fille — rare<br />

honneur pour l’Occidental que j’étais. Je me marierais donc et aurais<br />

plusieurs enfants des deux sexes : ce fut l’un des plus grands bonheurs de<br />

ma vie. Ce bonheur fut malheureusement assombri par la mort du cheikh,<br />

qui était âgé et partit sans un bruit, dans son sommeil, le chapelet à la<br />

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