Une histoire d'amour ordinaire / Fragments biographiques Léandre ...
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Bien sûr, nous parlions aussi de choses moins légères, notamment de<br />
nos sentiments. C’était moi qui l’entraînais sur ce terrain, car, en dépit des<br />
preuves d’amour excep tionnelles qu’il me donnait, j’avais besoin<br />
d’entendre de sa bouche la confirmation de ce qu’il éprouvait pour moi.<br />
J’avais tellement besoin de me sentir aimé, réellement aimé ! Trop besoin<br />
peut-être, mais je n’ai pas été déçu, au contraire ! Parfois, quand j’arrivais<br />
à le faire parler, la douceur de ses paroles achevait de me désarmer, de me<br />
rendre amoureux fou. Il me jurait que j’étais son meilleur ami, et nous<br />
nous promettions une amitié éter nelle ; je n’ai jamais eu la folie de prendre<br />
une telle promesse pour argent comptant, mais il y avait tant de convic -<br />
tion, tant de chaleur dans sa voix que je ne doutais pas de sa sincérité sur<br />
le moment, et il n’en fallait pas plus pour déverser dans mon cœur<br />
d’homme charnel des torrents de joie céleste. Être l’ami, et qui plus est le<br />
meilleur ami de ce garçon dont j’étais objectivement l’amant ! Quelle<br />
promotion ! J’en étais sincèrement boule versé ; j’en croyais si peu mes<br />
oreilles que je le lui faisais répéter plusieurs fois, pour être sûr d’avoir bien<br />
entendu. Je sais, cela paraît idiot. C’est justement pour ça que je le raconte<br />
! Je me suis peut-être comporté, par moments, comme un prédateur avisé,<br />
en tout cas comme un homme qui sait ce qu’il veut et qui est décidé à<br />
l’obtenir, mais j’avais le cœur d’une petite fille de treize ans, un peu niaise,<br />
qui aime pour la première fois. Tant qu’à faire, je tiens à ce que cette cir -<br />
constance soit versée à mon dossier. Ah ! le démon de l’ironie. Pardonnezmoi<br />
de verser dans l’autodérision alors qu’il faudrait être émouvant. Mais<br />
c’est peut-être le seul moyen que j’aie trouvé de me protéger contre l’excès<br />
d’émotion qui m’envahit quand je repense à ces instants où, pour la<br />
première fois de ma vie, moi l’éternel recalé de l’amour, je pouvais me<br />
croire aimé un peu ! Ce n’est pas facile, vous savez, de remuer après coup<br />
la poussière de tels souvenirs. Mais ce n’est pas tout. Il y eut davantage,<br />
bien davantage encore. Amine ne me promit pas seulement son amitié<br />
éter nelle ; un jour ou plutôt un soir, au détour d’un carrefour, presque<br />
sans y prendre garde, il me donna l’aveu de son amour. De son amour !<br />
Oui, Amine m’a dit qu’il m’aimait ! À sa façon, certes, touchante de<br />
retenue, de réserve garçonnière, mais il me l’a dit. Com ment pourrais-je<br />
l’oublier ? Ce soir-là, je le raccompagnais jusqu’à la station de métro la<br />
plus proche, encore brûlant de son étreinte ; je ne songeais qu’à retenir<br />
quelques instants de plus, avant de le voir disparaître dans la nuit, ce<br />
garçon que je tenais nu contre moi il y a quelques instants encore, et qui<br />
maintenant marchait à mes côtés le plus innocemment du monde. Non,<br />
je ne pouvais pas le laisser repartir comme ça, j’avais besoin de lui dire<br />
quelque chose, d’épancher le bouillonnement de sentiments confus et<br />
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