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Une histoire d'amour ordinaire / Fragments biographiques Léandre ...

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donner libre cours à ma fantaisie érotique, m’ex pri mer son assentiment<br />

au désir qui bouillait en moi et me portait vers lui. Mode d’expres sion<br />

purement physique, le plus efficace sans doute, et qui aurait dû rendre les<br />

mots superflus. Mais même si c’était sur le plan physique que nous nous<br />

nous comprenions le mieux — certes, ô combien ! — la communication<br />

ne pouvait pas se situer tout entière sur ce plan-là. Elle était éclatée sur<br />

plusieurs niveaux, qui correspondaient mal. Je lui disais : « J’ai envie de<br />

toi », il me répondait : « Je suis pas pédé » ou « Pourquoi tu prends pas<br />

plutôt une fille ? » (sic), ou bien ne disait rien, mais il portait la main à<br />

mon entre jambe, ou plon geait son sexe dans ma bouche avec frénésie.<br />

J’étais dans une position délicate, le cul entre deux chaises, comme on dit.<br />

Son attitude ne me paraissait pas bizarre ni incompré hensible, que du<br />

contraire ! Intellectuellement, je comprenais fort bien ce besoin, chez lui,<br />

de se distancier d’une relation dont il percevait parfaitement le caractère<br />

« atypique », bien qu’il s’y prêtât librement, et de désirs que quelque chose<br />

en lui ressentait comme « étranges », bien qu’ils lui appartinssent<br />

incontestablement. Ce besoin aussi de maintenir une certaine pudeur visà-vis<br />

de moi, de marquer une limite à l’intérieur d’une relation qui n’en<br />

comprenait plus beaucoup, pouvait se manifester parfois d’une manière<br />

fort touchante, qui me rendait plus amoureux encore. Telle cette fameuse<br />

fois où, après s’être donnés d’une manière particulièrement tendre et<br />

intense, je le raccompagne en métro, <strong>histoire</strong> d’avoir le plaisir de discuter<br />

en chemin, comme d’habitude. Il était rayonnant et détendu comme<br />

jamais, et il y eut, chemin faisant, quelques serments d’amitié éternelle,<br />

qui m’avaient tellement ému que je n’avais pu m’empêcher de lui jeter les<br />

bras autour du cou pour l’embrasser. Il me mit alors en garde, très<br />

gentiment, que cette façon de faire, dans la rue, pourrait quelque peu<br />

attirer l’attention sur nous, ce qui ne serait pas sou hai table. Au moment<br />

de le quitter, pour lui prouver que j’avais bien compris le message, comme<br />

il allait me tendre la joue pour l’embrasser, je décidai de n’en rien faire, et<br />

lui donnai à la place une poignée de main virile. Il me regarda alors droit<br />

dans les yeux en souriant, et me dit d’un ton entendu : « Ouais, t’as raison,<br />

on peut se serrer la main ; on est des hommes après tout. » Cher, cher<br />

garçon ; oui, en effet, nous étions des hommes… après tout ! Et nous le<br />

restions malgré tout, ce qui tout de même est une façon élé gante, dans le<br />

genre garçonnier, de dire que ce « tout » n’altère en rien le caractère viril<br />

de notre amitié.<br />

Mais bien que je comprisse et respectasse chez lui ces pétitions de mâle<br />

dignité, mon cœur amoureux ne s’accommodait pas de cette ambiguïté<br />

persistante. D’ailleurs, je ne m’accommodais plus de rien, et n’entendais<br />

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