Une histoire d'amour ordinaire / Fragments biographiques Léandre ...
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fois de ses appréhensions concernant son identité virile, de la peur de ce<br />
qu’il concevait comme de l’homosexualité. Je lui dis que je comprenais<br />
ses craintes, que je ne voulais pas faire de lui un petit homo, le détourner<br />
des femmes, mais que, à mon avis, il n’y avait rien de mal à ce qu’un jeune<br />
garçon fît la découverte de lui-même, de son corps, avec un homme qui<br />
l’aime et qui peut le guider sur ce terrain délicat, à condition qu’il en ait<br />
lui-même envie, que le mal commençait là où s’arrêtaient son désir et son<br />
libre gouvernement de lui-même. Bref, je lui expliquai toute ma concep -<br />
tion de l’amour, non plus cette fois dans l’intention de le reconquérir, mais<br />
de clarifier les règles, en insistant sur cette règle su prême qui est le désir<br />
réciproque et le libre assentiment des deux partenaires. Je n’aurais su dire,<br />
sur le moment, si je l’avais vraiment convaincu, mais il me parut plus<br />
apaisé, sans préjuger des suites de cette conversation, car sa protection<br />
seule à ce moment m’importait.<br />
Quand il vint la fois suivante, je pus juger de l’effet heureux, quoique<br />
plutôt inattendu, de cette clarification. Oui, Amine, tu te donnas à moi,<br />
cette fois-là, sans aucune hésitation, avec une confiance et une ardeur que<br />
je ne t’avais jamais vue auparavant. Effet magique d’un discours juste,<br />
auquel tu répondais une fois de plus à ta manière, c’est-à-dire non pas<br />
avec des mots, mais avec ton cœur et ton corps ; je te vis abandonné entre<br />
mes bras, détendu, radieux, fondant sous mes caresses, y répondant par<br />
les tiennes, comme si quelque nœud mystérieux s’était dénoué en toi et<br />
que tu n’entendais plus que la voix de ce désir étrange qui, depuis le<br />
premier jour, nous poussait l’un vers l’autre. Comment oublierais-je cette<br />
fois-là ? Comment douterais-je du sens de l’épisode ? Ce garçon que je<br />
n’avais pu reconquérir par la pression et la violence morale plus ou moins<br />
involontaire, qui avait si bien su me dire non quand mon amour<br />
l’étouffait, me disait maintenant oui sans ambiguïté, parce que j’avais su<br />
l’écouter et lui témoigner du respect, poser au jeu des règles acceptables ;<br />
il me revenait parce que je le laissais libre de le faire, parce qu’il sen tait<br />
enfin à nouveau qu’il pouvait me faire confiance, que je ne cherchais pas<br />
à le retenir de force. Cela n’avait pas été sans combat de ma part, contre la<br />
part la plus obscure de mon désir, et je savais que ce combat ne serait<br />
jamais terminé. Mais je comprenais désormais que pour qu’il me dise oui<br />
sans détour, il fallait lui laisser pour de vrai la liberté de dire non. Je ne<br />
devais pas cela à mes propres lumières, mais à son courage et à son<br />
intelligence à lui, et je lui saurai toujours gré — cher petit ami ! — d’avoir<br />
ainsi fait mon éducation, moi qui ne savais presque rien de l’amour ni de<br />
la vie avant de l’avoir connu.<br />
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