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Une histoire d'amour ordinaire / Fragments biographiques Léandre ...

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encore le miracle de notre rencontre, et instantanément mon cœur<br />

s’apaise, mes doutes se dissipent, mes ténèbres se déchirent : le sourire<br />

d’Amine illuminera ma journée. C’est toujours magnifique, le sourire d’un<br />

garçon. Mais le sourire d’un garçon avec qui on a fait l’amour la veille !<br />

Celui-là vaut encore mieux, vaut mille fois autant que celui qu’il arbore<br />

sur le moment même. Avant de le laisser filer vers l’école, et de me diriger<br />

moi-même vers l’endroit où mon devoir m’appelait, je le prenais par<br />

l’épaule, comme un frère, et je lui glissais à l’oreille un timide « Tu passes<br />

me voir un de ces jours ? ». Oh ! j’en avais la gorge serrée, comme si je<br />

sollicitais une faveur princière. Plus encore qu’un « non », je redoutais un<br />

« oui » contraint et gêné, un « petit oui », mais il me répondait avec tant<br />

d’enthousiasme, dans son langage bizarre : « Ouais, bien sûr ! Pas de<br />

souci ! », le tout accompagné d’un nouveau sourire. Amine savait ce qui<br />

allait se passer chez moi ! Et je savais qu’il le savait, et lui aussi savait que<br />

je le savais, et il acceptait mon invitation de bon cœur, en toute connais -<br />

sance de cause ! C’était encore plus magique que la chose en elle-même !<br />

Et puis, que dire des fois, de toutes les fois où nous nous sommes trouvés<br />

ensemble à prendre le métro ou à marcher dans la rue ; les fois où j’allais<br />

l’attendre à la sortie de l’école et où nous faisions le trajet ensemble jusque<br />

chez moi ; celles où je le rac compagnais chez lui après qu’il était venu chez<br />

moi ; et les sorties au cinéma ou ailleurs ! Car je l’invitais au cinéma ; c’était<br />

lui qui choisissait le film, infailliblement il choisissait le plus mauvais, le<br />

film d’action hollywoodien au « scénario » minimaliste et ultra prévisible<br />

ou la grosse comédie franchouillarde qu’il aurait fallu me payer pour aller<br />

voir, mais qui, en sa compagnie, me paraissaient digne de Godard. J’ai dû<br />

ainsi passer les meilleurs moments de ma vie, non pas au lit comme on<br />

pourrait le croire, mais à visionner les toiles les plus tartes ou simplement<br />

à faire un bout de chemin avec cet étrange petit bonhomme, qui ne saura<br />

jamais le plaisir que j’avais à être à ses côtés. Bien sûr, nous ne restions pas<br />

muets. On parlait beaucoup, on plaisantait énormément, pas toujours de<br />

la manière la plus fine… Ah ! les plaisanteries allusives, au milieu des<br />

badauds dont je me délectais de penser à leur réaction mi-scandalisée, mihorrifiée,<br />

s’ils pouvaient soupçonner nos rapports réels ! C’était quelque<br />

chose, assurément. Il fallait voir les regards en biais que me jetait Amine<br />

en mangeant une glace ou une sucette par exemple, accentuant à mon<br />

attention le côté suggestif du geste… je lui répondais par le regard du loup<br />

dans le Petit Chaperon rouge de Tex Avery, et nous éclations de rire tous<br />

les deux. Parfois, cependant, la plaisanterie dérapait, allait un peu trop<br />

loin, par un goût d’Amine pour le défi, la provocation, charmant certes,<br />

mais qui me valut quelques sueurs froides. Telle cette fois où je le<br />

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