Religions séculières, totalitarisme, fascisme - Marc Angenot
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mais en celui de la Rationalité bafouée que les modernes savants et philosophes<br />
récusaient les croyances irrationnelles et les asservissements religieux des<br />
multitudes.<br />
Une conséquence pratique résultait de cette qualification religieuse,<br />
«l’inutilité de toute discussion avec les défenseurs du nouveau dogme». 16<br />
Constater, comme prétendait le faire Gustave Le Bon, qu’une croyance religieuse<br />
comme le socialisme repose sur des bases psychologiques très fortes est une<br />
chose, discuter de ses «dogmes» et les soumettre à l’épreuve de la réalité en est<br />
une autre. C’est le fait même que le nouveau «dogme» est étranger à l’expérience<br />
et au simple raisonnement qui fait son succès, ce n’est donc pas par le<br />
raisonnement qu’on pourra le combattre. Inaccessible à la réfutation, il est<br />
appelé à progresser indéfiniment, «le socialisme est destiné à grandir encore et<br />
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aucun argument tiré de la raison ne saurait prévaloir contre lui». La «science»<br />
économique, depuis 1848, avait essayé de réfuter à grands frais les systèmes<br />
socialistes comme contraires aux résultats des recherches positives; cela avait été<br />
en vain! C’est de cet échec que naît la conclusion que le socialisme dont<br />
l’influence s’étend en Europe, en tant que religion ou croyance, n’est finalement<br />
pas de l’ordre du réfutable. «On ne triomphe pas d’une doctrine en montrant ses<br />
côtés chimériques. Ce n’est pas avec des arguments que l’on combat des rêves». 18<br />
Le Bon introduit ici une distinction entre le moi affectif et le moi intellectuel<br />
(distinction qui n’explique rien — sauf la déconvenue de ceux qui pensaient<br />
qu’une réfutation en règle aurait dû avoir raison de l’ennemi). L’argumentation<br />
est inutile avec les socialistes parce que leur «moi affectif» persiste à croire, qu’il<br />
persiste et persistera indéfiniment dans un acte de foi «d’origine inconsciente»,<br />
quelque preuve qu’on lui oppose et que le «besoin de croire constitue un<br />
élément psychologique aussi irréductible que le plaisir ou la douleur». 19<br />
Le premier sociologue des partis politiques et analyste du «culte» des<br />
chefs socialistes, Robert (ou Roberto) Michels, dans son ouvrage classique du<br />
début du siècle sur la dynamique oligarchique des mouvements démocratiques,<br />
Zur Soziologie der Parteiwesens (traduit tardivement sous le titre Les Partis<br />
politiques, Flammarion, 1971) attire l’attention sur le phénomène, issu de la<br />
démocratie de masse même, du «culte de la personnalité» dans les partis<br />
d’extrême gauche, en prenant pour exemple «l’idolâtrie dont la personne du<br />
prophète marxiste Jules Guesde [fondateur du Parti Ouvrier français] est l’objet<br />
dans le Nord». 20<br />
Vilfredo Pareto consacre de son côté au tournant du siècle deux gros<br />
volumes — composés, assure l’incipit, dans un but «exclusivement scientifique»<br />
— à décomposer les irrationalités, les incohérences et sophismes qu’il décelait<br />
dans les divers Systèmes socialistes. Il formule la présupposition qui finira par<br />
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