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Religions séculières, totalitarisme, fascisme - Marc Angenot

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certains cas, une sorte de «trou noir» qui absorbe un grand nombre de faits en ne<br />

produisant en synthèse qu’une entité opaque? — On a quelques raisons de<br />

soupçonner que «religion séculière» fonctionnant comme explication finale du<br />

malheur du siècle, ne vient rien expliquer du tout, mais remplacer un vaste<br />

problème par un mot — de même que l’étiquette de «croyance», appliquée aux<br />

convictions des autres, vient seulement qualifier d’un autre mot opaque mon<br />

incompréhension de ces convictions et l’écart qu’elles entretiennent avec ce que<br />

j’estime être la (ma) «connaissance»... Sans doute pour un François Furet comme<br />

pour bien d’autres désormais, l’idée communiste n’est plus que le Passé d’une<br />

illusion, mais illusion qui a mobilisé des millions d’hommes et de femmes qui ont<br />

vécu et sont morts pour elle : c’est cette étrangeté, ce scandale que, dans bien<br />

des essais contemporains, la formule de «religion séculière» croit venir expliquer<br />

— mais explique-t-elle quoi que ce soit ou ne fait-elle que reculer le problème<br />

et permettre d’en exorciser l’étrangeté sans l’éclairer beaucoup? Le concept<br />

historiographique devient en ce cas-ci une sorte de boîte noire qui sert à<br />

renfermer pèle-mèle un ensemble de phénomènes restés incompris (et dont on<br />

se fait parfois gloire, à la façon d’un Gustave Le Bon auto-désigné «psychologue<br />

des foules», de ne pas les comprendre).<br />

À un idéaltype, il faut demander non d’être vrai ni absolument fidèle (car<br />

ceci est impossible et n’a guère de sens puisqu'il n'a de vertu qu'en simplifiant<br />

les contours), mais il faut lui demander de montrer une force herméneutique :<br />

fais-tu apercevoir quelque chose qui soit à la fois compatible avec les données<br />

disponibles (sans les excéder) et qui soit aussi d’une certaine portée, qui ne soit<br />

pas un rapprochement inerte, qui ne soit pas non plus un concept (comme le<br />

sont toutes les sortes d’«explications» personnificatrices et psychologisantes de<br />

faits collectifs — et fanatisme, foi, remise de soi relèvent de cette catégorie), qui<br />

s’appuie sur un fondement irréductiblement intuitif, flou et indémontrable? 38<br />

L’essai auquel je travaille sera dès lors l’occasion de reposer la question<br />

du bon usage des concepts synthétiques historiques et de l’arbitrage rationnel de<br />

la polémique interminable qui les accompagne tous. Ce sera aussi l’occasion de<br />

rappeler que les mêmes mots, omniprésents dans les sciences sociales et<br />

historiques, cachent souvent des problématiques divergentes, antagonistes<br />

mêmes, toutes pourvues de «bonnes raisons». Ainsi, nul ne l’ignore, on a pu faire<br />

dire à sécularisation une chose et son antonyme : la persistance masquée du<br />

religieux dans la modernité aussi bien que son refoulement radical et sa<br />

décomposition à la faveur d’une rupture cognitive — de Carl Schmitt et sa<br />

Politische Theologie, de Karl Löwith à Hans Blumenberg, les paradigmes<br />

disponibles s’opposent en effet diamétralement.<br />

Ainsi, on aura à se demander si Eric Vœgelin a eu raison de postuler, en<br />

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