Religions séculières, totalitarisme, fascisme - Marc Angenot
Religions séculières, totalitarisme, fascisme - Marc Angenot
Religions séculières, totalitarisme, fascisme - Marc Angenot
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
contemporaine, post-chute du Mur de Berlin, parfois présentée comme le<br />
moment d’un inopiné «réenchantement du monde» (Peter L. Berger) et d’une<br />
«revanche de Dieu» (G. Kepel) chassé par la porte par les zélateurs des religions<br />
<strong>séculières</strong>, revenu par la fenêtre de l’histoire, une histoire qui décidément ne<br />
serait plus linéairement guidée par la Raison ni chargée de liquider les<br />
survivances du lointain passé.<br />
Les doctrines (celles dites postmodernes et les autres) qui cherchent à<br />
séparer par une nette rupture le cours des choses contemporain de la grande<br />
narration progressiste-sécularisatrice de la modernité forment, autant que<br />
jamais, un marché cacophonique de théories incompatibles. Les uns mesurent<br />
l’état d’esprit du Dernier homme, post-nietzschéen non moins que posttotalitaire,<br />
«lorsque tout est fini», de l’homme de l’«Après socialisme» (Touraine)<br />
alors qu’il ne reste que le présent sans promesse d’avenir et les douteuses<br />
séductions du «capitalisme utopique» : dégénérescence utopique (Marin),<br />
coccooning consumériste, nihilisme (Vattimo et al.), mélancolie (Hassoun,<br />
Taguieff), abandonment (Salerno), mélancolie démocratique (Bruckner), idéologies<br />
du ressentiment (<strong>Angenot</strong>), effacement de l’avenir (Taguieff, Kr. Pomian),<br />
présentisme (Hartog, Taguieff — et R. Kosellek), mouvementisme, bougisme<br />
(Taguieff), société festive (Muray), mais aussi : dérives de la sacralité, religion en<br />
miettes (Hervieu-Léger), religions à la carte (Berger). Dernier Homme comique<br />
et veule, condamné à vivre, selon l’expression populaire, dans un présent qui<br />
sera toujours «pressé de n’arriver nulle part», n’ayant de l’avenir que l’image de<br />
ce présent persistant dans son être ou le cauchemar de quelque hiver nucléaire<br />
et n’ayant plus, concurremment, du passé qu’une représentation tronquée<br />
comme ayant eu le tort notamment de n’être pas encore ce présent qui est<br />
devenu son seul horizon. Effacement de l’avenir et effacement concomitant de<br />
l’histoire au profit d’une «mémoire» dûment moralisée et éclatée de passés qui<br />
58<br />
scandalisent : l’homme nouveau est arrivé, c’est le Sacre du présent. Il court à<br />
perdre haleine et ne va nulle part comme le Lapin de Lewis Carroll. Il n’a retenu<br />
de L’Internationale qu’un seul vers : «Du passé, faisons table rase...»<br />
Le prétendu «devoir de mémoire» — expression fallacieuse en soi et<br />
devenue odieuse à force d’usage componctieux, hypocrite et moralisateur par<br />
tous les politiciens véreux — vient se substituer au ci-devant Sens de l’histoire<br />
et à la critique historique. L’hypermnésiedu nazisme (Alain Besançon) avec ses<br />
e<br />
amnésies complémentaires des crimes abondants du XX siècle, phénomène en<br />
développement asymptotique un demi-siècle après les faits, doit vouloir dire<br />
quelque chose dans ce contexte. Au reste, la «mise en religion» du troisième<br />
type, si vous voulez, de la mémoire identitaire même, peut apparaître comme un<br />
ultime avatar de l’immanentisation du religieux (voir l’essai de Jonathan<br />
28