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Religions séculières, totalitarisme, fascisme - Marc Angenot

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du positivisme de Comte .<br />

C’est le discours de Monsieur Homais, soit, mais c’est aussi celui d’un<br />

Ernest Renan et celui de tant d’autres grands esprits, nés à la pensée vers le<br />

milieu du siècle, qui, abjurant la foi de leur enfance, s’en trouvèrent vite une<br />

autre dans laquelle ils purent vivre et mourir. «Je rejetai la foi religieuse et je la<br />

remplaçai par la foi au progrès de l’humanité», écrit à la fin de sa vie le politicien<br />

radical, chimiste, issu de la communauté israélite d’Avignon et fils ou petit-fils<br />

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de rabbin, Alfred Naquet, rallié au socialisme au cours de l’affaire Dreyfus. Je<br />

ne prétends pas prendre au mot ce mot de «foi» que Naquet use<br />

intentionnellement en syllepse oratoire : la foi dans le progrès n’est évidemment<br />

pour lui nullement obscurantiste, elle n’est nullement une «foi» irrationnelle, elle<br />

lui a permis au contraire de rompre avec l’obscurantisme religieux inculqué sans<br />

renoncer à l’espérance pour l’humanité et à une raison de vivre en forme de salut<br />

personnel.<br />

Cette «foi» moderne pouvait, mieux que les antiques religions révélées,<br />

servir à éloigner le doute jusqu’au dernier soupir. Dans une de ses biographies,<br />

on nous fait entendre la voix de Saint-Simon mourant : «[...] ses dernières paroles<br />

qu’il accompagna d’un geste expressif, furent à voix basse mais distincte : "nous<br />

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tenons notre affaire".» Les hommes de progrès modernes ont vécu dans<br />

l’imminence du bonheur final de l’humanité. Tels Moïse, ils n’entreraient pas en<br />

la Terre promise de l'Avenir lumineux, mais qu’importait! Les signes précurseurs<br />

le démontraient au révolutionnaire : le capitalisme était «aux abois», le règne de<br />

la justice était proche. Le leader socialiste belge César De Paepe, agonisant, est<br />

censé avoir articulé ces mots dans son dernier moment de lucidité (cette phrase<br />

apocryphe amuse un peu car le pauvre De Paepe a dû y mettre son dernier<br />

souffle en effet) :<br />

J’ai un pied dans la fosse [...], mais jusqu’à l’heure de mon dernier<br />

souffle, je demande à être renseigné sur toutes les péripéties de la<br />

grande lutte que poursuit le prolétariat pour la rénovation<br />

philosophique, politique et sociale de l’humanité qui un jour connaîtra<br />

les splendeurs du bonheur universel. 32<br />

La dissolution inévitable des religions révélées avait été annoncée par<br />

tous les philosophes romantiques — qu’ils s’en réjouissent ou s’en alarmassent. 33<br />

L’«épuisement des anciens dogmes», c’est le lieu commun qui traverse la<br />

première moitié du dix-neuvième siècle puisqu’il réunit ceux qui s’en affligeaient,<br />

ceux qui s’en réjouissaient, et ceux, les plus nombreux, qui y voyaient avant tout<br />

une fatalité de l’évolution historique, une «loi du progrès», qu’il fallait constater<br />

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