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Religions séculières, totalitarisme, fascisme - Marc Angenot

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sociologue conservateur qu’était Pareto par exemple avec sa doctrine méprisante<br />

des religions, antiques ou modernes, chrétiennes ou socialistes, comme<br />

impostures utiles se succédant les unes aux autres, Hannah Arendt soutient la<br />

thèse d’une désillusion ultime de l’homme moderne, devenu sobre et<br />

raisonnable, mais dépourvu de promesse de bonheur et de réparation des maux<br />

sociaux et tenu de regarder sans ciller un monde par bien des côtés<br />

insupportable. Mais nul n’a démontré que les humains peuvent se passer<br />

d’illusions, de contre-propositions et d’espérances et nul n’a démontré que la<br />

volonté de justice qui animait les «religions du second type» n’est pas aussi<br />

irrépressible que la sobre volonté de savoir et de ne pas se raconter des histoires<br />

qui se marie au désenchantement.<br />

Si désenchantement final il doit y avoir, les deux siècles modernes, en<br />

tout cas, ont terriblement peiné à la tâche, toujours inaccomplie, d’y parvenir.<br />

Les «matérialistes» pleins d’espérance révolutionnaire rejoignent ces savants<br />

e<br />

éminents du XIX siècle qui faisaient tourner les tables (quoi de plus gnostique<br />

que l’évocation des morts?) et ces positivistes sacrifiant à Clotilde de Vaux, dans<br />

la logique d’une résistance obstinée à la perspective d’un monde pleinement<br />

désenchanté et d’un regard sobre porté sur lui — résistances ou encore replis<br />

sur des «formations de compromis», ainsi du fétichisme de la Science motrice du<br />

Progrès et promettant le bonheur à l’humanité. L’histoire sans espérance de<br />

progrès et de justice est un processus inhumain, c’est une «machine infernale»,<br />

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écrit Theodor W. Adorno , car le mal y est sans sanction et la misère sans<br />

mémoire — et une société ultimement juste y est une illusion sans avenir. Le<br />

vieux Colins de Ham (ce socialiste romantique auquel j’ai consacré un livre) et ses<br />

pareils avaient raison : la froide science, laissée à elle-même, ne conclut jamais<br />

«Liberté, égalité, fraternité», mais tout au rebours : «Déterminisme, inégalités<br />

naturelles, lutte pour la vie». On a senti très tôt que cette science sans entrailles<br />

n’était pas au service du bien ni au service des misérables et qu’il fallait lui<br />

e<br />

opposer — tout le XIX siècle progressiste s’est attelé à cette tâche — une<br />

science sociale et une religion rationnelle qui corrigeassent ce désolant savoir.<br />

Cependant, pour faire suite aux penseurs de la décomposition fatale des<br />

religions révélées, la perversion et la chute des religions <strong>séculières</strong> modernes,<br />

formations bâtardes qui les remplaçaient et leur dissolution éventuelle, la<br />

«Décomposition du marxisme» (c’est le titre d’un essai perspicace de Georges<br />

Sorel... il date de 1899, les idées critiques cheminent lentement) était déjà<br />

déduites de l’observation par les sociologues et philosophes politiques de<br />

quelque profondeur de réflexion vers 1900.<br />

Enfin, ma recherche sur les ainsi nommées «religions <strong>séculières</strong>» devra<br />

aboutir à une critique des diverses «explications» de la conjoncture<br />

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