Religions séculières, totalitarisme, fascisme - Marc Angenot
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dispositifs post-religieux équivoques et peureux devant le vide de l’incrédulité<br />
individualiste : «L’Humanitarisme, écrit-il, s’est formulé le plus souvent en<br />
contraste avec la religion traditionnelle pour la remplacer. Mais la remplacer<br />
comment? Comme une religion nouvelle expulsant l’ancienne ou comme un<br />
système laïque de croyances expulsant toute religion? On a peine à en décider.<br />
[...] L’humanitarisme [mot en concurrence avec socialisme vers 1830], conclut-il<br />
finalement, [...] est religion en ce sens qu’il n’ose pas livrer à elle-même cette<br />
humanité qu’il exalte et la mêle à un ordre signifiant, plus ou moins providentiel,<br />
de l’univers.» 39<br />
Les sociologues de la triste Belle Époque, je viens de le suggérer,<br />
reprendront dans leur langage ce qui était depuis toujours la thèse des<br />
catholiques face au «socialisme» (ce néologisme est daté de 1832), socialisme<br />
qu'ils avaient tout de suite identifié comme une «religion» concurrente de la leur.<br />
Ils transposeront ou aménageront le présupposé de ceux-ci : l’homme ne peut<br />
se passer de religion, sur la ruine des religions révélées naissent alors des<br />
religions politiques. Le peuple qui a dans le sang des siècles d’atavisme religieux<br />
n’a pu délaisser la vraie foi sans se donner à une autre religion, inspirée par<br />
Satan, dénoncent au long du siècle de graves théologiens. Karl Marx «remplit sur<br />
la terre le rôle d’un Pape du mensonge, du Vicaire du diable» : ceci se fulmine<br />
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dans la presse catholique vers 1875. Dom Besse, moine bénédictin, analyste<br />
vers 1900 des «religions laïques», en faisait son axiome et il héritait ce faisant,<br />
en la modernisant au contact de la sociologie, d’une longue tradition polémique<br />
des gens d’Église contre les idées du siècle : «il n’est pas possible de supprimer<br />
radicalement chez l’homme l’instinct religieux. Contrarié d’un côté, il pousse de<br />
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l’autre.» Ce sont en effet des prêtres qui, victimes parfois perspicaces de la<br />
déchristianisation, ont les premiers analysé l’efflorescence dans les sociétés<br />
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modernes de ces «religions laïques». Ils en tiraient argument pour la «vraie foi»;<br />
M la thèse en quelque sorte intermédiaire des religions condamnées et<br />
en voie de dissolution avec cependant un «résidu» irréductible de conjectures<br />
métaphysiques personnelles et de règles morales par nature étrangères à la<br />
connaissance scientifique qui persistera. C’est la thèse de Jean-Marie Guyau dans<br />
son Irréligion de l’avenir de 1887. Guyau qui développe le premier le concept<br />
d’«anomie», ultérieurement repris par Émile Durkheim, prédit une sorte de<br />
privatisation des conceptions métaphysiques, libérées du dogme. Quoique<br />
critique des religions comtiennes et néo-kantiennes de son temps et de leurs<br />
fétichismes ridicules et quoique niant la possibilité (qu’il envisage mais écarte<br />
vite) de l’émergence de religions humanitaires de masse, il ne conçoit pas une<br />
société future où la science sera l’alpha et l’omega des interrogations humaines<br />
et la seule guide des valeurs morales et des règles de vie. Les religions-dogmes<br />
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