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Religions séculières, totalitarisme, fascisme - Marc Angenot

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Ces théories de Vœgelin se concilient jusqu’à un certain point avec les<br />

conceptions des plus perspicaces penseurs socialisants du siècle passé comme<br />

Georges Sorel, Karl Mannheim et Ludwig von Mises. À la façon d’Hannah Arendt<br />

avec le concept de «<strong>totalitarisme</strong>», le penseur viennois englobait dans un concept<br />

unique, celui de «religions politiques», socialismes et nationalismes,<br />

communisme et <strong>fascisme</strong>s, scientismes et humanitarismes, idéologies de<br />

réconciliation et idéologies de ressentiment : ce sont les limites de cette pensée<br />

indivise et, littéralement, réactionnaire, elle aussi binaire (non moins que les<br />

manichéismes militants qu’il dénonce), réaction de rejet au traumatisme<br />

européen des années trente. L’axiome implicite de Vœgelin, axiome que l'on<br />

peut juger éminemment chrétien, est que la condition de l’homme est<br />

irrémédiable et l’ambition de trouver un remède global ici-bas au mal dans la<br />

société, la source fatale de maux immenses. Dès ses Politische Religionen de 1938,<br />

Vœgelin considère comme fondamentalement identiques nazisme et<br />

bolchevisme, dans leurs doctrines comme dans leurs pratiques despotiques et<br />

inhumaines. Vœgelin, ai-je dit, est un penseur atypique dans le siècle: c’est un<br />

spiritualiste chrétien mâtiné de platonicien. Toute visée militante<br />

«intramondaine», vaine rébellion contre la condition humaine, relève pour lui<br />

d’une maladie de l’âme, c’est une «pneumopathologie» (dans son curieux<br />

lexique). La perte de l’ouverture à la transcendance et la prétention de trouver<br />

une vérité et un salut dans l’immanence du monde sont, pour ce penseur à<br />

contre-courant, tout d’un tenant une erreur de raisonnement et un mal, le<br />

véritable mal. Dans tout projet humain, prométhéen, de connaître de part en<br />

part le monde et de le changer radicalement, Vœgelin ne voit qu’hybris et vaine<br />

révolte débouchant sur des fanatismes de masse.<br />

Or, Eric Vœgelin sur qui je viens de m'attarder n’est qu’un maillon d’une<br />

longue chaîne de théories sur les prétendues religions politiques, religions «du<br />

second type» émergeant dans la modernité post-religieuse et se substituant aux<br />

religions révélées, apportant aux affamés d’absolu un même aliment. Je<br />

remonterai dans l’essai auquel je travaille jusqu’aux origines de ce concept : son<br />

émergence est concomitante de la genèse même de la pensée sociologique. Les<br />

Grands récits militants, ces «religions de l’immanence» chargées de désavouer et<br />

condamner un monde scandaleux et de promettre la délivrance imminente des<br />

maux sociaux se sont posées en rupture radicale (tout en étant peut-être en<br />

continuité logique et psychologique) avec les révélations des antiques Églises :<br />

leur caractérisation, leur interprétation sont au cœur de toute la réflexion<br />

politique et sociologique dans les deux siècles de la modernité.<br />

Les premières polémiques érudites contre cette chose nouvelle, le<br />

socialisme, le communisme remontent à 1848 ou plutôt un peu avant, à la fin de<br />

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