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Religions séculières, totalitarisme, fascisme - Marc Angenot

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de l’histoire par résorption dans la démocratie pérenne et dans le marché<br />

invincible, cela deviendra un lieu commun des années 1990. Une telle formule<br />

de la «fin de l’histoire» peut toutefois se ramener à ce qu’elle a de pertinent et<br />

qui ne porte pas sur le cours du monde, mais sur des formes de pensée collective<br />

(qui ont certainement influencé le cours du monde) : la mutation d’hégémonie<br />

qui rend obsolète l’idée de progrès, chimérique, la marche de l’humanité vers<br />

plus de justice et plus de bonheur, qui montre complémentairement redoutable<br />

le paradigme de la «révolution sociale» et irréalisables non moins qu’absurdes les<br />

anciens programmes «révolutionnaires». Qui prive ainsi de crédibilité ces Grands<br />

récits de l’histoire qui ont été pendant deux siècles les «énigmes résolues» de<br />

l’éternelle exploitation des hommes.<br />

On proposerait, pour finir, à titre heuristique, un modèle à trois étapes<br />

à la Auguste Comte mais ironisé et sceptiquement «déconstruit» : âge religieux,<br />

celui des religions révélées; âge métaphysique, celui des Grands récits et des<br />

religions <strong>séculières</strong>; et, non pas âge positif ou rationnellement désenchanté,<br />

mais troisième âge, aujourd’hui, celui de «religions à la carte», avec leur devoir<br />

de mémoire sur fond d’amnésie, leur correction politique, leur «droit-del’hommisme»<br />

disent de mauvais esprits, et avec la souffrance à distance<br />

(Boltansky) et le victimalisme, la «concurrence des victimes» (Chaumont) pour<br />

ingrédients.<br />

La démocratie règne désormais en Occident sans partage ni mélange,<br />

constate <strong>Marc</strong>el Gauchet, il se pourrait toutefois, enchaîne-t-il, qu’elle ait «trouvé<br />

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son plus redoutable adversaire : elle-même». Beaucoup d’observateurs sont<br />

frappés par le fait que la victoire — sans coup férir — de la démocratie contre<br />

ses adversaires s’accompagne d’une sorte d’autodestruction «dans un activisme<br />

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où elle se nie en voulant se parachever» : il est possible qu’en devenant<br />

l’horizon indépassable du bien politique, en occupant seule la lice faute<br />

d’adversaires, la démocratie en vienne à absorber les esprits de fanatisme et<br />

d’orthodoxie naguère investis dans les systèmes adverses. L’activisme de la<br />

Political Correctness serait un exemple d’orthodoxie fanatique, investie dans une<br />

exploitation paranoïaque des principes égalitaires.<br />

On éviterait ainsi à voir tout ceci tout triomphalisme historiciste : fin ou<br />

mort des religions <strong>séculières</strong>, soit, mais, au décri du stoïcisme de Hannah Arendt,<br />

pas progrès marqué de la rationalité collective! Dans un tel contexte, l’Utopie<br />

ultime serait celle du désenivrement : c’est le jeune Marx, au Manifeste<br />

communiste, qui désigne la désillusion, le désenivrement comme aboutissement<br />

souhaitable de l’humanité: « Alles Ständische und Stehende verdampft, alles Heilige wird<br />

entweiht, und die Menschen sind endlich gezwungen ihre Lebensstellung, ihre gegenseitigen<br />

Beziehungen mit nüchternen Augen anzusehen » : tout ce qui était stable et établi se<br />

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