L'ambition Achats à l'échelle de l'entreprise étendue - ACA ...

L’ambition Achats à l’échelle
de l’entreprise étendue
Think Tank Achats - Saison 2
Logica Business Consulting
fait maintenant partie de CGI.

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PréfaCe
L’ère du Manager Gestionnaire est révolue
Comment passer du statut de manager au statut de leader ?
Reconnu par ses pairs pour la maîtrise de son art, le manager
est, tout d’abord, un référent professionnel. Sa mission première
consiste à transmettre son savoir, sa technique, à garantir
l’assurance qualité de la production de ses équipes. De fait, il
est le gestionnaire légitime de son territoire, ayant démontré
sa valeur opérationnelle avant d’accéder aux responsabilités
managériales.
Peu à peu, l’Entreprise lui demande de devenir optimisateur.
Qui mieux que l’homme de l’Art est à même d’améliorer la productivité
de ses équipes ? De ses process ? De son organisation ?
Le manager expérimenté définit des boucles d’amélioration
continue, des démarches qualité, des plans de progrès. D’optimisations
locales en optimisations locales, la zone d’influence
du Manager s’étend. Les organisations attendent, désormais
de lui, qu’il agisse en leader inspirant : qu’il donne du sens et
impulse des transformations globales.
Les Managers transformants pensent “transversalement”, ils
“décloisonnent”, ils “désilotent”. Ils influencent et orientent
au-delà des frontières-même de leur propre entreprise. Ils dé-
veloppent leur leadership et remettent en cause les modèles
établis.
A l’heure où l’Europe peine à trouver les leviers de la relance
économique par l’innovation, le Manager Achats du futur s’inscrit
dans cette perspective. Plus que quiconque, il aura en
charge le lien entre l’Entreprise et son écosystème : il sera l’un
des architectes de l’Entreprise étendue, animant des réseaux
ouverts, flexibles et informels.
C’est dans ce contexte particulier de crise durable que les
membres du Think Tank Achats Logica Business Consulting
ont travaillé, au cours de cette année 2012, à définir les modes
de fonctionnement de ce manager Achats du futur, préparé et
outillé pour agir en leader. Cet ouvrage constitue la synthèse
de leurs travaux.
Un temps de pause managérial… Une lecture pour apprécier
différemment la perspective.
Sébastien DuranD,
Directeur Général Logica Business Consulting

SOMMaIre
InTrODuCTIOn : Où l’on prend la mesure des exigences de l’ambition ....................................................................................................... 5
ChaPITre 1 : L’entreprise étendue, terre de conquête pour les achats ? ..................................................................................................... 8
• Une rupture intellectuelle pour les Achats ............................................................................................................................... 10
• De la relation client-fournisseur au réseau synaptique ....................................................................................................... 12
• Une entreprise étendue comment et jusqu’où ? .................................................................................................................... 16
• Quelles implications pour la fonction Achats ?....................................................................................................................... 18
• Prendre la mesure du chemin à parcourir ................................................................................................................................ 19
ChaPITre 2 : Maîtrise des risques : de la part du hasard à la part des achats ....................................................................................... 22
• Le risque, une valeur montante pour les Achats ................................................................................................................... 25
• La rançon du succès de la mondialisation .............................................................................................................................. 28
• L’affaire de tous et de chacun ....................................................................................................................................................... 30
• Les Achats face aux nouveaux risques .................................................................................................................................... 33
ChaPITre 3 : Comment contribuer concrètement à l’innovation ? ................................................................................................................ 40
• L’innovation au-delà des technologies disruptives ............................................................................................................... 42
• Une innovation de plus en plus ouverte .................................................................................................................................... 46
• Trois exemples de contribution des Achats à l’innovation ................................................................................................. 50
• Capter et valoriser l’innovation, d’où qu’elle vienne ............................................................................................................. 53
ChaPITre 4 : Le nouvel équipage du vaisseau achats ...................................................................................................................................... 60
• Un cran nettement plus haut… ..................................................................................................................................................... 63
• Deux bonnes nouvelles ! .................................................................................................................................................................. 65
• Un besoin crucial de nouveaux talents...................................................................................................................................... 66
• Inquiétants décalages… .................................................................................................................................................................. 68
• Le manager Achats, un mutant noétique ? .............................................................................................................................. 71
COnCLuSIOn : accélération… ...................................................................................................................................................................................... 73
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aVanT-PrOPOS
Nous avons achevé la 2 ème saison de notre Think Tank Achats
dans un contexte économique particulièrement agité.
Pour autant fallait-il inscrire notre réflexion dans un cadre exclusivement
conjoncturel ? Nous avons collectivement et délibérément
choisi de travailler sur le devenir de la fonction Achats, dans
un contexte complexe et durablement instable, en imaginant son
avenir, en rupture, mais en restant pragmatiques et réalistes, prenant
comme point départ ce que nous considérons comme une
fonction mature.
Lors de la saison 1, nous avions posé les fondations du futur
de la fonction Achats en articulant notre vision autour de
quatre thèmes : les achats, vecteur de la transformation ; les
achats, business partner ; la valorisation de l’actif fournisseur ;
l’acheteur de demain. Ces travaux ont été synthétisés dans
l’ouvrage “un nouveau regard sur les achats” partagé avec l’ensemble
de la communauté achats.
Au lancement de la 2 ème saison, nous nous sommes donc
interrogés sur comment dépasser l’ambition et réinventer les
missions de la fonction Achats dans l’écosystème de demain,
au-delà des frontières de l’entreprise au sens classique et actuel
du terme.
Les participants ont décidé de concentrer leur réflexion sur le
“comment ?” : Comment maîtriser les risques impactant différemment
aujourd’hui la fonction Achats ? Comment contribuer
concrètement à l’innovation ? Comment préparer les équipages
achats aux enjeux de demain, dans leur rôle, leurs compétences
et leur mandat ?
Alors, me direz vous, ces sujets sont-il complètement innovants ?
Je réponds “oui” car nous les avons inscrits dans le futur cadre,
encore insuffisamment défini et maîtrisé, de l’entreprise étendue.
C’est pourquoi nous avons concentré nos efforts, lors de cette
deuxième saison, sur une définition novatrice et structurée de ce
nouvel écosystème étendu. L’exercice fut complexe car il n’est
pas aisé de faire converger des sensibilités différentes sur un
modèle qui aujourd’hui n’a pas encore d’existence concrète. Les
bases du concept de l’entreprise étendue ont le mérite d’être
posées alors qu’il y a peu de littérature structurée sur le sujet.
La 3 ème saison de notre Think Tank Achats est donc une opportunité
précieuse d’étoffer notre réflexion, autour d’un nombre grandissant
de membres passionnés par l’avenir d’une fonction qui
ne demande qu’à conquérir ses lettres de noblesse.
alain PaGe-LeCuYer

InTrODuCTIOn
Où l’on prend la mesure des exigences de l’ambition...
Dans le monde de l’entreprise régi par le court terme, il n’est
pas évident de prendre le recul que demande l’appréhension
du temps long. Pour les professionnels des Achats que nous
sommes, la prégnance actuelle des tensions économiques
biaise nécessairement la réflexion sur l’avenir, un avenir pour
le moins empreint d’incertitudes quant à la perpétuation des
modèles sociaux et économiques que nous connaissons.
Observateurs échappant aux diktats du court terme et des
contraintes opérationnelles, nombre de philosophes, sociologues,
anthropologues et prospectivistes nous disent que
nous ne traversons pas une crise de plus, mais une phase
particulièrement agitée de transition vers un nouveau paradigme
- sociétal, civilisationnel, anthropologique… - en gestation
depuis des décennies.
Ce changement de paradigme, nous en percevons les
symptômes dans l’évolution même de l’entreprise, dans les
incessantes transformations qu’il lui faut mener pour rester
en phase avec un monde qui change plus vite qu’elle.
La fonction Achats les perçoit aussi très concrètement dans
les problématiques qu’elle est amenée à prendre en compte
et qui l’obligent à se projeter dans un cadre plus large, à s’y
positionner et à y réinventer son rôle. C’est à cet exercice de
projection que nous avons consacré cette deuxième saison,
en explorant les missions futures des Achats dans ce qui
paraît résolument devoir être leur nouveau terrain d’action :
l’entreprise étendue.
Dès l’an dernier, nous avons fait de l’entreprise étendue la
toile de fond de nos premières réflexions sur l’avenir de la
fonction Achats. Pourquoi ce concept s’était-il imposé à
nous ? La réponse est relativement simple : en externalisant
de plus en plus de fonctions et d’activités, l’entreprise a déplacé
vers l’extérieur une part croissante de sa chaîne de
valeur et a de facto repoussé ses frontières et renforcé les
liens avec son écosystème. Cet ensemble interconnecté - englobant
l’entreprise, ses collaborateurs, ses fournisseurs, ses
partenaires, ses clients mais aussi ses concurrents - constitue
l’entreprise étendue. C’est désormais à cette échelle
que s’appréhendent la création de valeur, les risques et les
opportunités.
La fonction Achats, qui opérait auparavant sur la frontière
interne-externe, se trouve positionnée totalement différem-
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ment, au cœur de l’écosystème du fait de l’effacement
des anciennes frontières. Dans le premier chapitre de cet
ouvrage, nous nous attachons à mieux définir l’entreprise
étendue et à cerner les implications de ce changement de
positionnement pour la fonction Achats. Nous montrons
notamment que le passage à l’entreprise étendue s’accompagne
nécessairement d’une nouvelle conception des
relations avec les fournisseurs et les partenaires, en rupture
avec les modèles connus, même ceux que nous considérons
aujourd’hui comme les plus aboutis. Rupture pour
les Achats, ce nouveau mode relationnel est le corollaire
logique de l’évolution de nos entreprises vers un modèle
collaboratif/contributif où, du fait de l’interconnexion généralisée
des organisations et des individus, les réseaux et les
communautés prennent le pas sur les structures et les statuts.
Dans ces ensembles décloisonnés et dynamiques, la
valeur ajoutée des Achats sera plus que jamais dans la détection
des opportunités de collaboration, la mise en place
et le pilotage des relations entre les contributeurs.
Dans son rôle actuel de “manager des ressources externes”
et demain en tant que “pilote des relations” au sein de l’entreprise
étendue, la fonction Achats endosse de facto de
nouvelles responsabilités, en premier lieu en matière de
gestion des risques. Sans surprise, la question du risque -
ou, plus exactement, de la contribution des Achats à la maîtrise
des risques - a fait l’unanimité lors de la mise aux voix
des sujets à traiter au cours de cette deuxième saison. Ce
n’est certes pas un sujet nouveau pour les Achats mais il est
patent pour tous ceux qui opèrent dans notre domaine, que
l’évolution de l’entreprise et la mondialisation des chaînes
de valeur s’accompagnent d’une exposition accrue à des
risques à la fois plus nombreux et de nature plus diversifiée
qu’auparavant. Quels sont ces risques ? Pourquoi et en quoi
concernent-ils dorénavant les Achats ? Le deuxième chapitre
apporte des éléments de réponse en mettant l’accent
sur les différences de hiérarchie des risques selon les secteurs
d’activité. Il propose aussi des pistes sur les dispositifs
que la fonction Achats peut instaurer ou contribuer à mettre
en place pour appréhender ces “nouveaux” risques, les
prévenir et en protéger l’entreprise.
Le risque, dans son acception probabiliste de “ce qui peut
survenir et contrarier ce qui était prévu ou désiré”, présente
plus d’un point commun avec l’innovation, deuxième thème
sur lequel nous avons travaillé cette année. Dans une entreprise
tenue d’innover en permanence pour rester dans la
course, la fonction Achats est de plus en plus attendue sur
ce terrain. Mais comment contribuer concrètement à l’innovation
? Et d’ailleurs, de quelle innovation parlons-nous ?

De même que la conscience des risques extrêmes ne doit pas
exclure la prise en compte des risques “ordinaires”, la course
aux innovations de rupture ne doit pas masquer l’importance
des autres innovations : celles qui en permettant d’améliorer
les produits et les processus créent de la valeur pour l’entreprise
et ses clients. Où et comment aller chercher cette
innovation ? Nous verrons dans le troisième chapitre que la
réponse qui s’impose plus que jamais aux Achats est “chez
les fournisseurs”, ce qui ne signifie pas que toutes les organisations
Achats soient armées pour le faire. Et puis, il y a
le vaste monde, ce monde interconnecté où l’idée neuve, la
solution innovante peut aussi bien émaner d’un client qu’être
aux mains d’un laboratoire universitaire ou en germe dans
une start-up qui jusqu’ici échappait aux écrans radars des
Achats. Pour capter et drainer efficacement les innovations
de ces diverses sources, la fonction Achats doit elle-même
s’ouvrir et se connecter aux bons réseaux.
On comprend qu’en matière de risque(s) comme d’innovation(s),
la fonction Achats a un rôle à jouer et qu’elle
doit pour cela à la fois élargir son cadre de référence,
augmenter sa profondeur de champ et développer sa
connectivité avec les acteurs de l’entreprise étendue.
Savoir jusqu’où il lui est possible d’aller pose directement
la question du mandat qui lui est donné. C’est sur l’exis-
tence d’un intérieur et d’un extérieur et sur sa capacité à
gérer le rapport de force entre les deux qu’elle a jusqu’ici
fondé sa légitimité. Nous examinons dans le quatrième
et dernier chapitre les implications du passage à l’entreprise
étendue sur le mandat futur de la fonction Achats et
les atouts dont elle dispose pour bâtir sa nouvelle position.
Convaincus que la compréhension des ressorts de
la création de valeur dans une entreprise ouverte et un
monde connecté sera la clé de la réussite, nous terminons ce
chapitre sur les collaborations à instaurer, les compétences
à acquérir et les talents à attirer pour donner corps à cette
exigeante ambition et réussir la nouvelle transformation
de la fonction Achats.
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ChaPITre 1
L’ENTREPRISE ÉTENDUE,
TERRE DE CONQUÊTE
POUR LES AChATS ?

L’entreprise est la plus petite combinaison d’unités légales
constituant une unité organisationnelle de production de
biens et de services jouissant d’une certaine autonomie de
décision, notamment pour l’affectation de ses ressources
courantes.
Définition de l’Insee
Tout système ouvert vivant (auto-organisateur) est évidemment
relativement indépendant dans l’écosystème ; il produit
son déterminisme propre pour répondre aux aléas extérieurs,
et ses “libertés” ou aléas propres pour répondre au déterminisme
extérieur. Il a son originalité. Mais cette indépendance
est dépendante de l’écosystème, c’est-à-dire qu’elle
se construit en multipliant les liens avec l’écosystème.
Edgar Morin (L’an 1 de l’ère écologique, 1997)
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Dès le début de notre réflexion, nous avons spontanément
considéré que l’espace de référence de la fonction
Achats n’était plus l’entreprise stricto sensu mais
l’entreprise “étendue”. Les transformations économiques,
sociales et technologiques en cours imposent en effet
de ne plus penser l’entreprise comme une entité autonome
et clairement circonscrite, mais comme une organisation
ouverte, partie intégrante d’un écosystème
incluant, notamment, ses clients, ses partenaires et ses
fournisseurs. Vivant d’échanges, l’entreprise n’a jamais été
une forteresse autosuffisante, bien sûr, mais elle a opéré
dans son histoire récente deux mouvements qui ont intensifié
son ouverture et rendu encore plus vitaux ses échanges
avec l’extérieur. Le premier mouvement a consisté à se
une ruPTure InTeLLeCTueLLe POur LeS aChaTS
Cette évolution structurelle et organisationnelle, plus ou
moins affirmée selon les secteurs d’activité, est une rupture
intellectuelle majeure pour la fonction Achats. Elle modifie
radicalement son positionnement et son rôle en l’obligeant
à prendre en compte un écosystème élargi - jusqu’au client
final - dont la dynamique n’est pas inféodée à la logique
recentrer sur le maillon de la chaîne de valeur qui lui apporte
le plus de valeur ou celui dont elle maîtrise le mieux
les facteurs de succès. Le deuxième est l’externalisation
d’activités qui ne sont pas son cœur de métier mais qui
demandent des savoir-faire et des compétences spécialisés
que des prestataires extérieurs, concentrés sur un
seul métier, sont mieux à même de mobiliser que l’entreprise
elle-même. Ce double mouvement ne signifie pas que
l’entreprise s’est dissoute dans un “grand tout” indifférencié
mais simplement que la valeur qu’elle crée dépend de
plus en plus des relations avec son écosystème, donc de la
capacité qu’elle a à valoriser ces relations.
du seul donneur d’ordres. Dans cette configuration ouverte,
le rôle des Achats n’est plus tant d’assurer l’interface
prescripteur/fournisseur et de contrôler cette relation que
de comprendre et favoriser les relations qui contribuent ou
peuvent contribuer à créer de la valeur pour l’entreprise,
ses clients et ses partenaires.

D’une relation “one-to-one” avec chaque fournisseur, les
Achats doivent passer à une approche écosystémique des
relations et à une vision communautaire et contributive de la
création de valeur. Dire que ce modèle communautaire est
étranger à l’entreprise, c’est ne pas voir qu’il imprègne déjà
le tissu socioéconomique, pénétrant les organisations et
faisant émerger de nouveaux business models. Comment
expliquer autrement la réussite d’un Facebook ou d’un
Twitter que par la contribution délibérée de centaines de
millions d’utilisateurs ? Si la valorisation et la rentabilité financière
de ces entreprises posent question, que dire d’un
Wikipedia qui prospère en contenu et en audience sans
chercher à monétiser ni l’un ni l’autre ?
De même, comment expliquer que le logiciel libre, qui fonctionne
sur un modèle principalement contributif depuis
plus de vingt ans, continue à gagner du terrain et à susciter
l’adhésion - non pas avec d’obscures applications développées
par des geeks pour des geeks, mais avec des
logiciels comme le navigateur Firefox, la suite OpenOffice
ou encore le système d’exploitation Ubuntu ? Il n’y a pas
de donneur d’ordres principal dans cet univers qui arrive
pourtant à mobiliser des millions de développeurs, lesquels
ne sont ni des collaborateurs, ni des fournisseurs, ni des
sous-traitants.
“LeS enTrePrISeS “InTeLLIGenTeS”
OnT COMPrIS qu’eLLeS POuVaIenT
InCOrPOrer DanS Le TraVaIL
PrODuCTIf une MaSSe
IMMenSe nOn SeuLeMenT
De TraVaIL SaLarIé, De TraVaIL
SeMI-InDéPenDanT, MaIS
auSSI une MaSSe D’aCTIVITé
CrOISSanTe De La POPuLaTIOn
quI fOurnIT DeS reSSOurCeS
GraTuITeS quaSIMenT ILLIMITéeS.”
Yann Moulier Boutang
le CapitalisMe Cognitif (2007)
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On dira que ces exemples sont pris “à la marge” de l’économie
marchande, qu’il n’existe rien de comparable dans
l’industrie traditionnelle. C’est compter sans la dématérialisation
de l’économie et sans l’accélération technologique
qui brouille les frontières entre concepteurs, producteurs et
utilisateurs et qui, au passage, ébranle deux bastions : celui
de la concentration inexorable des moyens de production et
celui de la propriété intellectuelle.
La capacité de créer, copier, multiplier et diffuser à l’infi ni
des créations immatérielles ou dématérialisées est acquise
à tout possesseur d’ordinateur depuis plus de dix ans. L’impression
3D n’en est qu’à ses débuts mais donne déjà la
possibilité de (re)produire à distance des objets matériels
complexes, sans infrastructure de production massive, ce
De La reLaTIOn CLIenT-fOurnISSeur au réSeau SYnaPTIque
Partant des grands modèles existants, nous avons cherché
à caractériser les types de relation qui s’y nouent ainsi que
le rôle que joue la fonction Achats dans ces ensembles. La
relation client-fournisseur “classique” est de loin le modèle
qui domine le paysage relationnel.
qui rend économiquement possible le développement de
toutes petites séries voire d’objets uniques mais de qualité
industrielle. Dans le secteur énergétique, industrie à forte
intensité capitalistique s’il en est, les technologies de smart
grid sont en train de transformer les consommateurs en producteurs
et de bouleverser les business models historiques
fondés sur une séparation stricte des rôles entre clients et
fournisseurs…
Notre propos n’est pas de faire l’apologie d’une économie de
la contribution mais simplement de souligner l’émergence
rapide d’autres modèles productifs, fondés sur d’autres
types de relations que ceux structurés et institutionnalisés
depuis des décennies par les grandes entreprises.

La fonction Achats y joue un rôle déterminant d’interface
entre l’entreprise cliente et le fournisseur, dans un rapport
de force qui est le plus souvent, mais pas toujours, en faveur
de l’entreprise qui achète.
Le partenariat stratégique recouvre des réalités très diverses
mais peut se définir comme un accord privilégié,
généralement entre deux entreprises, pour créer et partager
une valeur optimale, dans une perspective de différenciation
concurrentielle. Il s’agit le plus souvent pour
les partenaires de faciliter la mise en œuvre d’un relais de
croissance ou l’évolution d’un modèle de développement,
d’accélérer l’innovation, ou encore de réaliser des synergies
d’offres, de moyens et/ou de coûts. Quelle que soit la
finalité, un partenariat stratégique se caractérise par une
convergence stratégique et des intérêts croisés. S’il préserve
l’indépendance mutuelle des partenaires, il implique
une mobilisation concertée de ressources internes et externes,
une zone de responsabilité commune et des bénéfices
mutuels.
La fonction Achats n’est pas nécessairement au cœur de
la relation avec tous les partenaires stratégiques de l’entreprise,
principalement parce que tous ne sont pas des fournisseurs
au sens commun du mot. Par exemple, Visa est un
partenaire stratégique pour toutes les banques parce qu’il
est un maillon incontournable de la chaîne de paiement.
Dans l’industrie logicielle, les partenariats stratégiques que
les éditeurs nouent avec les grands constructeurs sont
pilotés par la direction générale et gérés par la R&D qui
doit s’assurer que les logiciels développés fonctionnent
sur les différentes plates-formes matérielles. De même, en
aval du développement, les partenariats stratégiques avec
les grands intégrateurs sont souvent gérés par un Directeur
des Alliances en lien avec la direction commerciale
puisqu’il s’agit d’un canal de vente indirecte.
En revanche, les Achats sont des acteurs clés dans les
relations avec les fournisseurs stratégiques de l’entreprise :
ceux sans lesquels l’entreprise ne peut pas fonctionner et
dont le changement ou le remplacement présente un coût
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ou des risques trop élevés, ainsi que les porteurs de savoirfaire
très spécifi ques indispensables, et donc stratégiques,
pour l’entreprise. Entrent typiquement dans cette catégorie
les petites entreprises du secteur aéronautique seules à fabriquer
certaines pièces très sophistiquées indispensables
à l’avionneur. La relation est alors gérée par les Achats sous
une forme partenariale, c’est-à-dire dans une logique d’intérêt
commun et de bénéfi ces réciproques.
Dans le modèle Volkswagen, les fournisseurs et sous-traitants
sont considérés comme des business partners, responsables
chacun de la fabrication d’un sous-ensemble. Si
le donneur d’ordres principal intègre ses sous-traitants en
mettant à leur disposition des locaux sur le site de production,
les investissements et l’organisation sont à la charge
des fournisseurs. La rétribution fi nancière de ces derniers
dépend de la performance de chacun d’entre eux. Malgré
des intérêts communs évidents, il n’y a pas de partage
des risques et le donneur d’ordres reste dans une position
quasi féodale.
Le modèle japonais du keiretsu est particulièrement intéressant
parce qu’il est en soi un écosystème où les relations
sont complexes, non plus “one-to-one” comme dans les modèles
précédents, mais “many-to-many”. Il s’agit de groupes
hiérarchisés comptant des centaines d’entreprises de tailles
différentes et intervenant dans des secteurs économiques
distincts. Le cœur du keiretsu est typiquement constitué
d’une banque, d’une société de négoce et d’un industriel
présidant la destinée du groupe, avec un premier cercle restreint
d’entreprises - celles dont les dirigeants sont membres
du “club des présidents”. Les entreprises sont liées entre
elles et avec la banque principale par des prises de participations
minoritaires réciproques. L’ensemble est gouverné et
fonctionne sur un mode mutualiste : les assemblées du club
des présidents défi nissent aussi bien l’orientation générale

du groupe, que les projets de recherche en commun, le
sauvetage d’une fi rme affi liée en diffi culté ou des échanges
occasionnels de personnel. Néanmoins, les sociétés affi liées
au keiretsu sont autonomes et restent libres de participer à
un projet collectif et d’entretenir des relations à l’extérieur du
groupe.
Le modèle relationnel du réseau synaptique est en rupture avec
tous les précédents parce qu’il n’est ni centré ni hiérarchique.
C’est la représentation la plus utilisée pour décrire l’architecture
d’Internet : un réseau dynamique constitué de réseaux interconnectés.
Ce qui caractérise cette organisation, c’est la résilience
que lui confèrent l’absence de centre, la distribution large
mais partagée des responsabilités, et la densité des intercon-
nexions, donc des possibilités d’échanges d’informations. C’est
l’image la plus appropriée pour décrire les réseaux actuels de
recherche scientifi que, les communautés de développeurs du
logiciel libre ou les réseaux collaboratifs qui sont en train de se
superposer aux structures organisationnelles classiques. Les
rapports entre les membres, que ce soit des individus ou des
organisations, sont moins formalisés que dans un partenariat ou
une relation client-fournisseur classique. Le pouvoir maximal de
création de valeur est ici aux mains des plus “connectés” et de
ceux qui savent infl uencer, proposer des challenges et, par leur
leadership, attirer et rallier les meilleurs contributeurs.
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une enTrePrISe éTenDue COMMenT eT juSqu’Où ?
Intuitivement, on comprend que c’est avec ce dernier modèle
que l’entreprise étendue présente le plus de points
communs et d’analogies. Le concept, bien que couramment
utilisé dans le domaine des systèmes d’information
et de la logistique, est en fait très peu théorisé. Nous avons
donc cherché à mieux définir l’entreprise étendue et à dégager
ce qui, dans les relations entre ses acteurs, la différencie
des partenariats avancés que les Achats pilotent
aujourd’hui. Cinq traits caractéristiques, impliquant une
évolution du positionnement et des pratiques de la fonction
Achats, nous paraissent devoir être mis en avant.
1 - Les acteurs de l’entreprise étendue ont des intérêts qui
les mènent à dégager une vision commune et des objectifs
compatibles. L’entreprise étendue se constitue autour d’un
projet d’entreprise fédérant les motivations, contrairement
au partenariat stratégique où les partenaires doivent
“suivre” l’intérêt de l’initiateur de la relation.
Ses acteurs mettent en commun des ressources et des
moyens complémentaires permettant une optimisation
globale. La vision commune, servie par une gouvernance
partagée, permet une délégation large des enjeux, des responsabilités
et des objectifs.
2 - Les relations entre les acteurs de l’entreprise étendue
reposent sur la confiance et l’implication. Contrairement
à une joint-venture, les acteurs de l’entreprise étendue
n’ont pas de liens capitalistiques. Leur capacité à travailler
ensemble repose davantage sur la confiance que sur des
règles écrites et des relations contractuelles classiques.
L’atteinte des objectifs communs implique un engagement
fort des équipes des différentes parties prenantes, notamment
au niveau de l’exécutif. Les équipes du leader, pour
susciter et entretenir la confiance chez les autres, doivent
jouer un rôle moteur et transparent dans la dynamique et le
pilotage de l’entreprise étendue.
3 - L’entreprise étendue n’est pas une somme de partenariats
stratégiques. Alors qu’un partenariat stratégique
engage deux acteurs dans une relation bilatérale fondée
sur la dépendance, l’entreprise étendue est expansive :
elle englobe des acteurs multiples et complémentaires
dans un processus commun de création de valeur.
La recherche “naturelle” de synergies et les lois de l’attractivité
induisent des relations multilatérales entre les acteurs
sans exiger d’eux une exclusivité d’appartenance. Bien au
contraire, la créativité et la capacité de l’ensemble à créer

durablement de la valeur dépendent de la multi-appartenance
de chacun à d’autres réseaux.
4 - L’entreprise étendue se construit autour de relations clés.
S’il n’y a pas de limite a priori au nombre de membres
de l’entreprise étendue, elle ne peut ni naître ni exister
sans leader portant le projet commun. Le leadership et la
confiance réciproque de quelques personnalités paraissent
aussi nécessaires à sa construction qu’à sa bonne marche.
L’entreprise étendue se constitue donc à partir de quelques
relations clés, qui vont elles-mêmes développer leur propre
réseau et constituer ainsi l’infrastructure de l’entreprise étendue.
Cela ne signifie pas que le leadership reste ad vitam
aeternam aux mains de ses initiateurs.
5 - L’entreprise étendue est résiliente parce qu’elle est agile.
Les relations entre les acteurs de l’entreprise étendue
sont au-delà de l’engagement contractuel. Les relations
devenant de plus en plus multilatérales au fil du temps,
l’interdépendance des parties prenantes va croissant. L’af-
faiblissement ou le retrait d’un acteur devient potentiellement
dommageable pour tous - ce qui favorise les comportements
solidaires entre les membres.
On voit l’entreprise étendue se dessiner comme un ensemble
de contributeurs de natures et de statuts divers
dont les intérêts sont étroitement liés mais pas nécessairement
confondus puisque les acteurs sont indépendants.
Le défi de ce modèle économique n’est pas tant
de s’assurer de la performance nominale de chacun des
acteurs que de susciter et maintenir leur implication en
faisant en sorte qu’ils y trouvent tous leur compte, selon
leurs propres critères et dans la durée. En d’autres termes,
il s’agit fondamentalement d’un modèle synergique dans
lequel des entités autonomes et individuées (1) créent plus
de valeur ensemble qu’en évoluant séparément parce
qu’elles ont des atouts et des rôles complémentaires. C’est
en outre par des effets de rayonnement, de leadership et
d’attraction que cet ensemble oriente sa création de valeur
et polarise l’innovation collective.
1) Après Jung, le philosophe Gilbert Simondon (1924-1989) appelle individuation le processus de développement de l’identité singulière d’un individu par et
dans ses relations aux autres. C’est dans le jeu relationnel ouvert et structuré avec autrui que l’individu se construit, grandit et construit en retour ceux avec
qui il est en relation.
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queLLeS IMPLICaTIOnS POur La fOnCTIOn aChaTS ?
Ces caractéristiques de l’entreprise étendue ont évidemment
un impact sur la notion même de fournisseur et par
conséquent sur la manière de concevoir la relation fournisseur.
D’où une question existentielle : peut-on encore parler
de fonction Achats si les fournisseurs ne sont plus considérés
comme des entités extérieures ? Sans doute pas…
La légitimité est à rechercher ailleurs, en prenant appui sur
les atouts et le savoir-faire spécifiques des Achats.
En permettant à ses membres de formaliser et pérenniser
des relations dont la structure contractuelle reste à définir,
l’entreprise étendue oblige plus que jamais à dépasser
le rapport de force client-fournisseur pour se concentrer
sur ce qui crée vraiment de la valeur individuelle et collective :
les relations elles-mêmes et leur potentiel de développement.
La fonction Achats doit être un acteur et un promoteur de
ce changement de modèle qu’elle peut déjà observer
dans les comportements et les aspirations de certains fournisseurs
ou partenaires. Pour cela, les Achats doivent à la fois
comprendre et faire comprendre les enjeux de l’entreprise
étendue aux autres fonctions de l’entreprise. Elle doit
contribuer, par son ouverture et son leadership, à l’instauration
de la transparence et de la confiance nécessaires au
bon fonctionnement de l’entreprise étendue.
Les Achats sont légitimes, de par leurs relations avec les
contributeurs extérieurs et les fonctions internes, à assurer le
pilotage ou le co-pilotage de l’entreprise étendue. Aussi performants
que soient les contributeurs, il est illusoire d’espérer
tendre naturellement vers un optimum collectif sans co-définition
des objectifs, sans mesure de la performance globale,
sans gouvernance tactique et stratégique et, enfin, sans instance
d’arbitrage des divergences.
A cette fonction de (co)pilotage et d’animation, s’ajoute pour
les Achats un rôle prospectif consistant à sourcer, en amont,
des “potentiels” pouvant renforcer l’entreprise étendue. Bien
loin des critères qualité-coût-délais et de l’adéquation de la
réponse d’une entreprise à une demande formalisée, il s’agit
d’évaluer ce que chaque entreprise identifiée peut apporter
à l’entreprise étendue - en termes de créativité, d’innovation,
de création de valeur - ainsi que sa capacité à s’intégrer et à
fonctionner dans l’écosystème.

PrenDre La MeSure Du CheMIn à ParCOurIr
La grille d’analyse élaborée par Logica Business Consulting,
le cabinet Better Buying Concept et l’IRIMA (2) permet aux
responsables Achats d’évaluer la maturité de leur organisation
et celle de leur entreprise vis-à-vis du modèle de l’entreprise
étendue et de sa version ultime que l’on peut qualifier d’écosystème
autorégulé et résilient (3) . Le paradoxe est qu’à ce
stade, l’absence de frontières formalisées entre les membres
de l’entreprise étendue et la quasi-autodétermination de leurs
relations rendent les contours d’une fonction Achats particulièrement
difficiles à cerner… Raison de plus pour investir dans
la conquête de nouveaux champs d’action : réinventer les
relations et développer l’intelligence collective.
2) Institut de Recherche et d’Innovation en Management des Achats de Grenoble École de Management.
3) Cette matrice comporte 6 niveaux de maturité et 18 critères. Nous ne présentons ici que les trois derniers niveaux et les 10 critères en lien avec ce chapitre.
19

20
cohérence entre la stratégie
Achats et celle de l’entreprise
rôle de la fonction Achats
dans l’entreprise
perception du rôle des Achats
par les autres fonctions
mesure de la performance
mesure de valeur
de la relation fournisseurs
motivation de l’entreprise pour
l’externalisation et/ou le partage des
activités de la chaîne de valeur
rôle de la fonction Achats
dans les décisions “make or Buy”
pilotage des ressources externes
marketing Achats
nature de la relation
contractuelle
Fonction
AchAts mAture
La stratégie Achats comporte des actions ayant
une portée sur la stratégie future
de l’entreprise
Les Achats ont des objectifs de contribution
au résultat de l’entreprise et pas seulement
des objectifs de réduction des coûts
Les familles clés sont pilotées par des équipes
mixtes Achats - prescripteur - utilisateur
La contribution des Achats se mesure
à la fois en termes de création
de valeur et de contribution à la marge
Les opportunités de développement
sont suivies via un Balanced Scorecard
croisé Entreprise/Partenaires
Développer des processus innovants
en collaboration avec un prestataire
La fonction Achats est à l’initiative de projets
d’externalisation et en porte la responsabilité
Des benchmarks pertinents sont réalisés
pour les principaux fournisseurs
Les fournisseurs sont recensés
sur un périmètre global selon
des objectifs business
Les contrats permettent la répartition
de bénéfices mutuels
constitution
de l’entreprise étendue
La stratégie Achats contribue à la définition/
est un axe de la stratégie de l’entreprise
Rôle actif dans le développement
et le management de l’entreprise étendue
Les Achats sont un acteur incontournable
dans la performance "business"
La performance de l’entreprise étendue
est mesurée en termes de contribution
aux objectifs business de l’entreprise
La valeur de la relation fournisseur
se fonde sur le partage des bénéfices
entreprise/fournisseur selon des clés
de répartition adaptées
Rechercher de nouveaux avantages
concurrentiels
Le Make or Buy est le vecteur de répartition
des activités dans l’entreprise étendue
Le pilotage de l’entreprise étendue est assuré
par des instances de gouvernance dédiées
Les fournisseurs sont recrutés pour
leurs capacités mais aussi sur leur volonté
de travailler ensemble durablement
Les contrats prévoient la réversibilité
et le partage des marges générées
écosystème
résilient
Une stratégie collective issue de l’écosystème
se dessine au bénéfice de tous les acteurs
Rôle actif dans la régulation
de l’écosystème
Les Achats sont le pilote référent
de l’écosystème
La performance de l’écosystème est
mesurée en termes de contribution
aux bénéfices de l’ensemble des membres
La valeur des relations se mesure
à la motivation et à la confiance mutuelle
des acteurs de l’écosystème
Le partage et l’ouverture sur l’extérieur
sont des caractéristiques naturelles et
indispensables à l’existence de l’écosystème
Le Make or Buy n’a plus de sens
L’écosystème est gouverné par une structure
de méta-management
L’écosystème se renforce par la cooptation
de nouveaux membres pour le bien
commun de l’ensemble
Au-delà des contrats, l’écosystème
assure la cohésion des objectifs, ou bien
le rejet d’un acteur

en SYnThÈSe
Bien au-delà du partenariat stratégique, l’entreprise étendue
est composée d’une multitude d’acteurs, réunis par une vision
commune et la volonté de faire converger leurs moyens,
ressources et connaissances afin de créer de la valeur.
L’entreprise étendue transforme les entités qui la composent :
elle les engage de façon pérenne, implique des changements
au niveau des modèles économiques et modifie la manière
d’envisager les relations partenariales en allant au-delà
de leur dimension contractuelle.
Pour être un acteur clé de cette transformation, la fonction
Achats doit réinventer son rôle :
• promouvoir et piloter le changement au sein de l’entreprise,
grâce à une ouverture sur l’externe et à sa vision prospective
et transversale,
• centrer son action sur le développement et la valorisation
des relations entre les acteurs pour créer plus de valeur
et améliorer l’efficacité business,
• adapter ses pratiques pour devenir catalyseur d’innovation
à l’échelle de l’entreprise étendue.
21

22
ChaPITre 2
MAîTRISE DES RISQUES :
DE LA PART DU hASARD
à LA PART DES AChATS

RISQUE : péril dans lequel entre l’idée de hasard.
Littré, Dictionnaire de la langue française (1872-77)
Face aux opportunités, celui qui, à enjeux identiques, sait
réduire les risques peut aussi saisir plus d’opportunités et se
donner un avantage concurrentiel.
Michel Fautrat
23

24
Le sentiment d’être exposé à de plus en plus d’événements
extrêmes aux effets catastrophiques est largement partagé.
Ce sentiment, qui résulte pour bonne part de la médiatisation
massive, immédiate et planétaire dont ces événements font
l’objet, amène à s’interroger sur notre capacité effective à
prévoir les événements et leurs conséquences possibles afin
de réduire les risques divers susceptibles de contrarier nos
desseins. En la matière, mieux vaut commencer par faire acte
d’humilité en admettant avec Nassim Nicholas Taleb, l’auteur
du Cygne Noir (4) , que “l’augmentation de notre capacité à
modéliser (et à prévoir) le monde est sans doute amoindrie
par la complexité accrue de ce dernier - faisant la part de
plus en plus belle à l’imprévu”.
L’imprévu, c’est aussi bien le succès phénoménal, par son
ampleur et sa rapidité, d’une application comme Facebook (5)
que le krach du 19 octobre 1987 (6) ou l’effondrement d’une
banque comme Lehmann Brothers, pourtant réputée too
big to fail... L’enchaînement de catastrophes qui a provoqué
l’accident nucléaire de Fukushima était lui aussi hautement
improbable. La preuve est magistralement - et cruellement
- faite qu’il n’était pas pour autant impossible. Les innombrables
explications et analyses rétrospectives de ces phénomènes
n’y changent rien : personne ne les avait prévus.
4) Le Cygne Noir. La puissance de l’imprévisible, Les Belles Lettres, 2011. Titre original : The Black Swan. The Impact of the highly Improbable (2007). Taleb
qualifie de Cygnes Noirs les événements imprévus (parce qu’ils se situent en dehors du cadre des attentes ordinaires et que rien dans le passé n’indique de
façon convaincante qu’ils aient des chances de se produire), ayant un impact extrêmement fort et pour lesquels nous élaborons après-coup des explications
(prévisibilité rétrospective).
5) Créé en 2006, le réseau compte 901 millions de membres actifs au premier trimestre 2012…
6) Ce “lundi noir”, le Dow Jones a dévissé de 22,6 %. Les jours suivants, le Footsie de Londres plongeait de 26,45 % et la bourse de hong Kong de 45,8 %.

Le rISque, une VaLeur MOnTanTe POur LeS aChaTS
C’est avec ces exemples en tête qu’il faut aujourd’hui aborder
la question de la maîtrise des risques. Pour la fonction
Achats, le sujet n’est absolument pas neuf : elle n’a cessé
de développer des dispositifs et des processus de contrôle
pour minimiser les risques d’approvisionnement, de dépendance
ainsi que les risques financiers et juridiques inhérents
aux relations avec les fournisseurs. Mais devant le nombre
d’articles et de dossiers que la presse Achats consacre à
la gestion des risques depuis deux ans, on comprend que
le sujet est devenu central pour toutes les organisations
Achats et surtout qu’il s’est considérablement étendu et
complexifié. Un certain nombre de facteurs se combinent
pour expliquer la montée en puissance de ces préoccupations
et l’implication accrue de la fonction Achats dans la
gestion des risques.
Au premier rang de ces facteurs se trouve ce qui a énormément
contribué à accroître le poids de la fonction Achats
dans les entreprises ces dernières années : l’externalisation
de nombreuses fonctions et activités qui a pour conséquence,
en cas de problème, de mettre directement en jeu la
responsabilité des Achats dans des domaines qui relevaient
auparavant d’autres fonctions. Pour prendre un exemple
aVeC une ParT CrOISSanTe
De VaLeur ajOuTée
VenanT De L’exTérIeur,
L’enTrePrISe InTÈGre une ParT
CrOISSanTe De rISqueS
COnTre LeSqueLS eLLe DOIT
Se PrOTéGer. La MaîTrISe
DeS rISqueS DeVIenT De faIT
une PréOCCuPaTIOn eT un enjeu
CenTraL POur La fOnCTIOn aChaTS.
25

26
“aVanT quanD IL Y aVaIT
un PrOBLÈMe De PrOPreTé
DeS LOCaux, Le DG aPPeLaIT
Le reSPOnSaBLe DeS
SerVICeS Généraux.
MaInTenanT IL aPPeLLe
Le DIreCTeur DeS aChaTS.”
un direCteur aChats du CaC 40
simpliste, quand une entreprise emploie ses propres agents
de sécurité, la défaillance d’un de ces agents est un problème
interne qui concerne la direction de la sécurité et la
direction des ressources humaines. Si l’entreprise fait appel
à une société de gardiennage, cette même défaillance
concerne de facto les Achats qui ont instruit le marché et
qui, en passant contrat avec cette société, s’en sont portés
garants. On objectera qu’il n’y a rien là de particulièrement
nouveau et que traiter ce genre de situations relève de la
gestion classique du risque fournisseur.
Ce qui change, et que l’on peut expliquer en grande partie
par la spécialisation de plus en plus forte de tous les
métiers, c’est à la fois l’ampleur du mouvement d’externalisation
et la nature de ce qui est externalisé. Externaliser
le nettoyage des bureaux présente somme toute bien plus
d’avantages que de risques pour l’entreprise, même si films
et romans ne manquent pas d’espions utilisant une société
de nettoyage pour s’infiltrer… Externaliser les systèmes
d’information, la production informatique, la gestion de la
relation client, voire la R&D a évidemment des implications
beaucoup plus fortes à tous les niveaux et dans tous les
processus de l’entreprise.

Facteur aggravant, les chaînes de sous-traitance s’allongent,
pas toujours de manière transparente… Elles se
compliquent en réseaux insoupçonnés où les risques circulent,
se propagent par capillarité et ressurgissent. Quand,
sur un chantier, l’Inspection du travail constate la présence
de personnes en situation illégale, que ces personnes
soient employées par le sous-traitant d’un sous-traitant ne
change pas grand-chose : elle suspend le chantier, avec
toutes les conséquences que cela peut avoir pour le donneur
d’ordres principal, sur le plan financier mais aussi en
termes d’image… De même, si un fournisseur de deuxième
ou troisième rang est dépendant d’un marché tendu comme
celui des terres rares, ses problèmes d’approvisionnement
peuvent rapidement paralyser toute la chaîne de production.
Plus que jamais, toute entreprise, toute organisation
Achats, tout acheteur doit avoir à l’esprit que “son” risque
n’est pas seulement celui de son fournisseur mais aussi
celui des fournisseurs de son fournisseur…
“MOn rISque n’eST
PaS SeuLeMenT CeLuI
De MOn fOurnISSeur MaIS
auSSI CeLuI Du fOurnISSeur
De MOn fOurnISSeur…”
27

28
La rançOn Du SuCCÈS De La MOnDIaLISaTIOn
LeS faCTeurS
quI ChanGenT La DOnne
• SPéCIaLISaTIOn DeS MéTIerS
eT exTernaLISaTIOn D’aCTIVITéS
• MOnDIaLISaTIOn DeS MarChéS eT
DeS ChaîneS De VaLeur
• DéVeLOPPeMenT De L’aCTIVITé
DanS DeS zOneS à rISqueS
GéOPOLITIqueS eT/Ou
CLIMaTIqueS
• “réGLeMenTarISaTIOn”
De L’éCOnOMIe eT DeS aCTIVITéS
• MOnTée en PuISSanCe
DeS PréOCCuPaTIOnS
SOCIO-enVIrOnneMenTaLeS
• COMMunICaTIOn TOTaLe
eT IMMéDIaTe
Fondamentalement, c’est la complexification, l’accélération et
la mondialisation de nos systèmes productifs, économiques
et financiers, leurs intrications et leurs interdépendances, qui
changent la donne. Dans ce métasystème où tout a potentiellement
des effets sur tout, les entreprises sont obligées de se
prémunir contre un nombre infiniment plus grand de risques
qu’au temps pas si lointain où la majorité d’entre elles produisaient
localement des produits relativement simples destinés
à un marché local… Le fait que les entreprises contemporaines
aient fait de la planète entière leur aire d’approvisionnement,
de production et de distribution les rend inévitablement
plus vulnérables à des facteurs exogènes sur lesquels
elles n’ont aucune prise - typiquement une crise politique, une
épidémie ou une catastrophe naturelle -, mais qui peuvent
l’empêcher, directement ou indirectement, d’atteindre ses
objectifs.
à la mondialisation des marchés et des chaînes de valeur,
au développement de l’activité dans des zones exposées à
des risques climatiques et/ou géopolitiques s’ajoute la “réglementarisation”
de l’économie et des activités : quand on
opère à l’échelle mondiale, l’enchevêtrement d’obligations
réglementaires, locales, internationales, sectorielles, devient

tel et évolue à tel rythme que le risque d’infraction ou de nonconformité
vous guette constamment.
Deux autres facteurs ont une incidence majeure et, bien qu’ils
soient de nature très différente, convergent sur la perception et
la gestion des risques. Le premier concerne la vigilance croissante
des citoyens sur les questions de responsabilité sociale
et environnementale des entreprises. Total et l’Erika, Apple et
Foxconn… Cette vigilance s’exerce préférentiellement sur les
icônes du marché ou sur les entreprises déjà prises en défaut.
Rançon de la gloire, plus une entreprise est visible, plus elle
est observée, plus elle est “attaquée”. Mais aucune entreprise
n’est réellement à l’abri. Conséquence, toutes doivent
s’attendre à tout moment à être interpellées par un tiers - institution,
régulateur, ONG ou simple citoyen - non seulement
sur le non-respect d’une norme ou d’une loi, mais aussi sur
toute externalité négative dont “on” les estime responsables.
C’est là qu’entre en jeu le deuxième facteur : la puissance des
moyens de communication à la disposition de tout un chacun
qui garantit une diffusion immédiate et mondiale de la moindre
information, que celle-ci soit ou non fondée. On ne compte plus
les exemples d’entreprises dont la réputation a été brutalement
mais durablement mise à mal par le formidable propagateur et
amplificateur de bruits en tous genres qu’est le web - et plus
encore son dernier avatar, les réseaux sociaux.
LeS rISqueS nOuVeaux
POur L’enTrePrISe
• e-réPuTaTIOn
• reSPOnSaBILITé CITOYenne
• SéCurITé eT COnfIDenTIaLITé
De L’InfOrMaTIOn
• rISqueS ChIMIqueS,
(réGLeMenTaTIOn reaCh-hSe)
• eVOLuTIOn raPIDe DeS COûTS
De MaIn D’œuVre
• TaLenT CrunCh eT Guerre
InTernaTIOnaLe DeS TaLenTS
•…
29

30
Seuls les paranoïaques survivent, disait Andy Grove (7) . Devant
cette intrication de facteurs et la multiplicité des risques
qui en résultent pour les entreprises, la formule du co-fondateur
et ex-CEO d’Intel paraît plus que jamais d’actualité !
L’affaIre De TOuS eT De ChaCun
“LeS rISqueS D’enTrePrISe
OnT DeS CauSeS MuLTIPLeS
eT DeS OrIGIneS DIVerSeS.
faCe à CeS rISqueS, LeS réPOnSeS
DOIVenT êTre COLLaBOraTIVeS.”
Les politiques de maîtrise des risques sont en quelque sorte
le moyen de décliner cette “paranoïa vitale” en actions positives
et constructives.
Face aux causes multiples et aux origines diverses des
risques d’entreprise, on comprend qu’une gestion probabiliste
des risques élémentaires peut difficilement constituer
une réponse suffisante pour éviter les scenarios catastrophes.
Dans un environnement aussi complexe, les
réponses visant à identifier les risques et réduire la vulnérabilité
de l’entreprise sont nécessairement collaboratives.
Compte tenu des responsabilités que lui confèrent sa position
d’interface entre l’interne et l’externe, la fonction Achats
ne peut appréhender et gérer efficacement “ses” risques
qu’en travaillant étroitement avec les autres fonctions et les
membres de l’entreprise étendue.
Si toutes les organisations disposent d’outils pour appréhender
et minimiser “leurs” risques, le contrôle interne -
7) Titre du livre publié en 1996 (Only the Paranoid Survive) dans lequel A. Grove relate les choix stratégiques qui ont transformé Intel et assuré sa réussite.

aujourd’hui obligatoire dans les sociétés cotées (8) - rend
possible une approche hiérarchisée et articulée des risques
à l’échelle de l’entreprise. Par sa transversalité, le contrôle
interne permet d’imposer un dispositif de gestion et un référentiel
de risques uniques - tel que le COSO (9) - et d’aligner
toute l’entreprise sur une définition commune du risque.
Parmi les définitions possibles, nous avons retenu celle-ci :
le risque est la possibilité que la combinaison d’un événement
et d’un mode de fonctionnement (ou facteur organisationnel)
perturbe, voire empêche l’atteinte d’un objectif.
L’intérêt de cette définition est triple. Tout d’abord, en parlant
de possibilité et non de probabilité, elle rappelle implicitement
que le peu probable et l’improbable font partie du
champ des possibles. Ensuite, elle “défatalise” le risque en
faisant entrer dans l’équation ce sur quoi l’entreprise peut
presque toujours agir : les modes de fonctionnement et d’organisation.
Enfin, elle indique que le risque n’est pas à considérer
dans l’absolu mais en fonction d’objectifs déterminés.
Cela signifie qu’une politique de gestion des risques bien
comprise n’a pas pour but de se protéger contre tout, ce qui
conduirait inévitablement à la paralysie, mais de ménager
les conditions optimales d’atteinte des objectifs stratégiques,
financiers et opérationnels de l’entreprise. Il ne s’agit pas tant
d’instruire la probabilité d’occurrence des différents risques
que de circonscrire leurs conséquences possibles dans les
limites de “l’acceptable” non seulement pour l’entreprise
mais pour la société. Cette notion d’acceptabilité sociale est
au cœur même de la très forte culture du risque développée
par des industries telles que les utilities, la filière nucléaire et
l’aéronautique.
8) Depuis le “Sarbanes Oxley Act” du 30 juillet 2002 aux États-Unis et depuis la loi de Sécurité Financière du 1 er août 2003 en France.
9) COSO est l’acronyme abrégé de Committee Of Sponsoring Organizations of the Treadway Commission, commission à but non lucratif qui a établi en 1992
une définition standard du contrôle interne et créé un cadre pour évaluer son efficacité. La loi Sarbanes-Oxley a favorisé l’adoption des référentiels COSO 1
(gestion du contrôle interne) et COSO 2, cadre de référence pour la gestion des risques de l’entreprise (Enterprise Risk Management Framework).
31

32
“Le COnTrôLe InTerne
n’eST PaS une LISTe De BOnneS
PraTIqueS à CaLquer.
IL DOIT êTre OrGanISé en ChaMBre
De réfLexIOn VISanT
à TranSfOrMer LeS rISqueS en
OPPOrTunITéS. ”
L’exemple d’EDF permet de comprendre comment les
Achats et le contrôle interne collaborent dans le domaine de
la gestion des risques. Le dispositif d’EDF permet à tous les
services, fonctions et entités de l’entreprise d’apporter leur
contribution à la connaissance et à la maîtrise des risques. Il
ne s’agit pas pour les Achats d’appliquer une liste de bonnes
pratiques fournie par le contrôle interne mais de partir des
objectifs et des processus pour établir une cartographie exhaustive
des risques présents et futurs. Le travail des Achats
consiste à identifier les risques puis à analyser chacun d’eux
selon trois axes :
• la détection, qui se rapporte à la manifestation d’un fait,
d’un événement ou d’un incident interne, externe, réalisé
ou potentiel ;
• la prévention, qui s’attache aux causes organisationnelles
et aux réponses que l’organisation doit apporter pour se
prémunir ;
• la protection, qui vise à maîtriser/minimiser l’impact, c’est-àdire
les conséquences, financières ou autres.
Cette approche ne se limite pas aux seuls risques liés aux
fournisseurs. La fonction Achats examine aussi bien le risque
que représente l’entente de fournisseurs ou l’insuffisance de
l’offre sur certains segments d’achat, que la perte de compétence
liée au turn-over du personnel Achats et les défaillances
du système d’information Achats. Chaque risque ainsi
identifié fait l’objet d’une description et d’une évaluation en
termes d’impact, de niveau d’impact et de probabilité d’occurrence.
Dans ce cadre d’analyse, l’exposition au risque
résulte de la formule suivante :
LaCune De
L’OrGanISaTIOn ✚
SurVenanCe
D’éVéneMenT(S)
➜ COnSéquenCeS
DOMMaGeaBLeS
Il est important de souligner que le référentiel d’analyse des
risques du contrôle interne couvre à la fois les aspects organisationnels
et des objectifs cruciaux pour les Achats et la
performance Achats. Par exemple “être sûr que tout achat
correspond à un besoin réel de l’entreprise”, ou “être sûr que
tout achat d’urgence est maîtrisé”, ou encore “être sûr d’obte-

nir un maximum d’informations sur les fournisseurs potentiels
afin d’évaluer leurs propositions équitablement et de comparer
leurs offres de manière pertinente”… Pour chaque finalité
ou objectif, sont recensés, consolidés et périodiquement
réexaminés les facteurs d’empêchement, les impacts ainsi
LeS aChaTS faCe aux nOuVeaux rISqueS
Les transformations accélérées de l’économie mondiale
induisent, nous l’avons vu, de nouveaux risques pour les
entreprises. Repartant de l’idée de cartographie, nous
avons cherché à identifier les risques qui sont entrés récemment
dans le périmètre de la fonction Achats et dont
la maîtrise présente des défis et des enjeux considérables,
tant pour la performance de la fonction elle-même que pour
l’économie générale de l’entreprise. L’hypothèse que ces
nouveaux risques différaient selon les secteurs d’activité a
été mise à l’épreuve grâce au travail mené en parallèle par
trois groupes réunissant chacun des responsables Achats
de même secteur. Trois grands secteurs ont ainsi pu être
étudiés : Banque/Assurance, Industrie et Services.
que les actions préventives et correctives mises en œuvre
ou envisagées. L’entreprise et chacune de ses entités disposent
ainsi d’une vue actualisée des risques et des actions
à mener pour réduire l’exposition aux risques et, autant que
possible, transformer les risques en opportunités.
Dans un premier temps, nous avons listé par secteur les
risques dont l’impact et les enjeux ont évolué et sont nouveaux
pour les Achats. Ce recensement rapide a permis
de confirmer l’hypothèse des différences de priorités et de
préoccupations entre les secteurs. Pour aller au-delà du
constat, nous avons ensuite sélectionné six risques (deux
par secteur) considérés comme majeurs pour les Achats,
et listé pour chacun les moyens que la fonction peut mettre
en place pour les détecter le plus tôt possible, les prévenir
et, en cas de survenance, limiter leurs conséquences (10) .
Les pistes évoquées sont synthétisées ci-après. Si elles
sont présentées par secteur par souci de clarté, nombre
d’entre elles sont applicables dans tous les secteurs.
10) La composition des groupes de travail a nécessairement influé sur les résultats et les solutions proposées, notamment en raison de la sur- ou sous-représentation
de certaines activités. En l’occurrence, le tourisme et l’hôtellerie étaient surreprésentés dans le groupe Services, ce qui transparaît assez nettement dans les
pistes d’actions présentées.
33

34
Banque & assurance
Dans la banque et l’assurance, la majorité des risques opérationnels
mis en lumière ont trait à la gestion de l’information
au sens large : risque logiciel, conformité, gouvernance,
protection des données… Cette surreprésentation n’est pas
surprenante dans un secteur très observé, où l’information
et les systèmes d’information sont le nerf de la guerre et où,
crise après crise, les contraintes réglementaires augmentent.
risque logiciel - La concentration du marché des éditeurs se
traduit par une augmentation des problèmes de conformité,
de compatibilité et de maintenance des applications dans la
durée, entraînant des risques de surcoûts importants.
- La détection passe par la mise en place d’une cellule de
surveillance du marché et une vigilance interne accrue
afin de s’assurer que les déploiements effectifs sont
conformes aux déclarations faites aux éditeurs. La collaboration
étroite entre les Achats et la DSI est évidemment
indispensable dans ce domaine.
- Le multi-sourcing apparaît comme le moyen de prévention
le plus efficace. Mais l’idée d’avoir au moins deux fournisseurs
pour tout produit logiciel critique/stratégique peut
se révéler difficile à mettre en œuvre compte tenu, d’une
part, de l’extrême concentration de certains segments du
marché et, d’autre part, des exigences d’interopérabilité.
- En permettant d’optimiser les négociations avec les fournisseurs,
un échange régulier d’informations avec les acteurs
du marché constitue un moyen de protection relativement
facile à mettre en œuvre pour les Achats.
Protection des données - La législation sur la protection des
données varie considérablement d’un pays à l’autre, ce qui
accroît les risques de non-conformité, de fuite d’information
et d’utilisation frauduleuse des données à caractère sensible
ou personnel. Au niveau des Achats, l’hébergement des
données dans un autre pays et la nécessité de rendre les
données accessibles à des sous-traitants sont deux problématiques
porteuses de risques.
- Pour détecter ces risques, les Achats doivent pouvoir
identifier clairement les besoins de données des fournisseurs,
sous-traitants et prestataires et pouvoir tracer l’utilisation
qu’ils font des données. Une cartographie spécifiant
les flux et les niveaux de sensibilité des données

est un outil précieux dont l’établissement et l’actualisation
nécessitent une bonne collaboration des Achats avec les
prescripteurs et les fournisseurs concernés.
- La connaissance des réglementations et de leur évolution
est un préalable pour prévenir ces risques. Les Achats
peuvent s’appuyer sur les fournisseurs pour acquérir et
consolider cette connaissance. Ils doivent aussi mobiliser
les ressources adéquates pour établir les contrats où
Industrie
Dans l’industrie, le spectre de risques est plus étendu et révèle
une nette intensification des risques Achats classiques (défaillance
fournisseur, dépendance, rupture d’approvisionnement,
risques logistiques…) liée à la mondialisation et à la complexification
des chaînes de valeur. Il est à noter que la part croissante
de l’immatériel dans la valeur des produits exacerbe les
questions de propriété intellectuelle (11) induisant des risques
en cascade. Enfin, l’industrie est de plus en plus exposée à
des risques ayant pour origine des pratiques RSE défaillantes
et des problèmes techniques instantanément relayés par les
médias traditionnels et amplifiés par les médias sociaux.
la protection des données est en jeu. Enfin, les Achats
peuvent s’associer aux actions de lobbying auprès de
ceux qui établissent les réglementations.
- La principale protection est ici d’ordre juridique : en cas
d’infraction ou de défaut d’un fournisseur, il s’agit de faire
rétablir la loi et le respect des réglementations en vigueur.
Défaillance fournisseur/Défaillance technique - Sur certains
marchés géographiques ou catégoriels, le nombre de fournisseurs
est limité, créant une dépendance élevée pour
l’entreprise. La moindre défaillance, qu’elle soit technique ou
financière, implique un risque client important. Cette problématique,
classique pour les Achats, est d’autant plus aiguë
aujourd’hui que la dégradation de la conjoncture économique
s’accompagne d’une sinistralité élevée des entreprises, notamment
dans la zone Euro (12) .
11) Multiplication des brevets sur des détails de design et des dépôts de marque portant sur des mots et des slogans, par exemple.
12) L’assureur-crédit Euler hermes prévoit une hausse de 3 % de son Indice Global des Défaillances d’entreprises en 2012, contre - 4 % en 2010. Pour la zone
euro, la hausse anticipée est de +7 %, tirée par les pays d’Europe du sud en grande difficulté (Italie +17 %, Espagne +20 %, Grèce et Portugal +25 %).
35

36
- L’analyse de la santé financière de ces “fournisseurs à
risque” est le premier moyen de détection que les Achats
peuvent utiliser. Au-delà des informations fournies par les
dispositifs de SRM (Supplier Relationship Management),
une cartographie organisationnelle du fournisseur peut
aider à détecter des problèmes ou des fragilités. La proximité
avec le fournisseur, le fait d’avoir un lien direct avec
lui et ses dirigeants, reste cependant le meilleur moyen de
détection précoce des risques de défaillance.
- Le suivi de la santé financière des fournisseurs et un plan
de continuité d’activité détaillant les alternatives possibles
en cas de défaillance d’un fournisseur clé apparaissent
comme les deux moyens de prévention à privilégier. Il
s'agit également d'envisager des plans de soutien aux
fournisseurs, comme par exemple le raccourcissement
des délais de paiement pour les fournisseurs ayant des
problèmes lourds de trésorerie.
- Dans le cas où la défaillance n’a pu être anticipée, la mise
en place d’une cellule de crise et l’activation des plans de
secours définis dans le plan de continuité permettent de
protéger l’entreprise contre “le pire”. Une bonne formation
juridique des acheteurs se révèle particulièrement précieuse
pour faire face à ces situations de crise.
non respect des règles/pratiques de responsabilités sociétales
- Le nombre croissant de fournisseurs et la multiplicité
des normes RSE ajoutent à la complexité des rapports entre
les acteurs de la chaîne de production. Dans ce domaine,
les manquements graves (travail des enfants, rejet de polluants
dans l’environnement…) d’un fournisseur ou d’un de
ses sous-traitants peuvent sévèrement impacter l’image et
l’activité du donneur d’ordres.
- Les moyens de détection sont de même nature que pour
le risque de défaillance (veille SRM, analyse de la santé
financière, veille fournisseur). Compte tenu de l’appétence
des médias pour ces sujets, s’y ajoutent la mise en
place d’une veille médiatique soutenue et, le cas échant,
de contre-mesures.
- La prévention passe en premier lieu par l’intégration de
spécifications et de clauses RSE dans les appels d’offres

ainsi que par l’audit des fournisseurs et l’analyse de leur
sous-traitance. Cela présuppose que les acheteurs soient
formés à ces sujets, qu’ils connaissent l’environnement
réglementaire, les pratiques locales ainsi que les tenants
et les aboutissants de la politique RSE interne.
Services
Dans les services, les risques d’image et d’atteinte à la
réputation de l’entreprise sont également très présents. La
non satisfaction des clients finaux et la facilité avec laquelle
ils peuvent diffuser leur opinion apparaissent comme des
risques majeurs, resserrant les enjeux autour de la continuité
de service et de la qualité des prestations sous-traitées.
non satisfaction client - Parmi les multiples causes possibles
de non satisfaction des clients finaux, les Achats sont
particulièrement concernés par la qualité des prestations
et produits délivrés par les sous-traitants. Avec des clients
qui s’expriment plus facilement que jamais sur les réseaux
sociaux, les conséquences de l’insatisfaction peuvent rapidement
devenir désastreuses pour l’entreprise.
- En cas de problème grave sur un sujet sensible, une
communication de crise s’impose pour protéger l’entreprise
mais il est tout aussi indispensable d’enquêter sur
les causes et d’accompagner les fournisseurs dans la
résolution du problème.
- L’évaluation des fournisseurs par l’interne fournit aux
Achats un certain nombre d’indications sur les fournisseurs
pouvant être à l’origine de l’insatisfaction des
clients. Mais pour réellement savoir ce que les clients
pensent et disent des services et des produits, l’exploitation
des enquêtes de satisfaction client et l’analyse de
l’e-réputation de l’entreprise apparaissent comme des
moyens particulièrement efficaces. Dans certaines activités,
le recours à des “clients mystère” peut contribuer
à la détection des problèmes. A chaud, l’efficacité de la
gestion des plaintes et des réclamations devient décisive :
il faut être en mesure de dédommager rapidement le
client ou de lui proposer une compensation immédiate
afin que le problème n’enfle pas.
37

38
- Au chapitre de la prévention, les Achats peuvent surveiller
la qualité des prestataires des concurrents directs
de l’entreprise, ce qui leur permet d’inciter leurs propres
prestataires à monter en qualité. De la même façon, les
Achats peuvent observer ce que font leurs propres fournisseurs
avec les concurrents. L’écoute des fournisseurs
est aussi un moyen de prévenir des causes de non-satisfaction
client. En parallèle, le repérage de nouvelles
pratiques et la détection de nouvelles attentes clients
permettent aux Achats d’anticiper les besoins et d’aider
les prestataires et les fournisseurs à les satisfaire.
Continuité de service - Compte tenu de l’interdépendance
des processus et de la multiplication des niveaux de délégation
de services, le défaut d’un sous-traitant ou d’un fournisseur
peut plus que jamais mettre en péril la continuité/
disponibilité du service délivré au client.
- Outre le suivi attentif des indicateurs de performance
fournisseur, le dialogue permanent avec les prestataires
reste le plus sûr moyen pour les Achats de détecter les
maillons faibles.
- Pour prévenir les ruptures de continuité de service, la
question du “Make or Buy ?” doit être abordée sous
l’angle des processus et être étudiée de manière approfondie
pour tous les types de prestations.
- Dans les cas d’incidents majeurs ou de circonstances
extérieures plaçant certains prestataires dans l’impossibilité
d’agir, la mise en place d’un mode dégradé permet
d’éviter l’indisponibilité totale du service. Le passage en
mode dégradé doit faire l’objet d’une communication
claire en direction des clients et de l’ensemble des intervenants
impactés.
Ces quelques exemples montrent que la fonction Achats
est loin d’être démunie face aux nouveaux risques. On
constate qu’au-delà des outils spécifiques qu’elle peut
mettre en place, sa contribution à la maîtrise des risques
dépend fondamentalement de sa capacité à nouer des relations
de confiance avec les fournisseurs et à agir en partenaire
de ses interlocuteurs internes pour co-construire
des processus de vigilance et d’action permettant à chacun
d’atteindre ses objectifs.

en SYnThÈSe
La mondialisation et la complexification des chaînes de valeur
accroissent l’exposition des entreprises à des risques
d’une intensité nouvelle dont la maîtrise devient un enjeu
central.
L’externalisation massive d’activités et de processus place
naturellement la fonction Achats en première ligne pour
identifier les risques, les prévenir et minimiser leur impact
pour l’entreprise comme pour ses ressources externes.
Pour jouer pleinement ce rôle, la fonction Achats doit :
• Professionnaliser son approche du risque et la décliner
systématiquement en termes de détection, de prévention
et de protection ;
• S’ouvrir aux méthodologies du contrôle interne pour appréhender
les risques sous l’angle des processus et des
objectifs ;
• Prendre l’initiative pour construire avec l’ensemble des
partenaires de l’écosystème des réponses collaboratives
permettant de passer d’une gestion défensive des
risques à l’exploitation proactive des opportunités qu’ils
recèlent.
39

40
ChaPITre 3
COMMENT CONTRIBUER
CONCRèTEMENT
à L’INNOVATION ?

INNOVER : changer par esprit et désir de nouveauté.
E. Littré, Dictionnaire de la langue française (1872-77)
Innover, c’est produire du nouveau (méthodes, objets, services)
pour l’installer sur un marché. Et la guerre économique se
livre sur ce terrain de l’innovation.
Bernard Stiegler (2009)
41

42
Dès que l’on parle d’innovation, on pense spontanément
“technologie”. Or, estime Michel Godet, “80 % de l’innovation
est “low-tech”. Cette innovation “à basse intensité technologique”
est de nature sociale, organisationnelle, financière...
Elle ne vient pas seulement des laboratoires. Elle vient aux
trois quarts des clients, des fournisseurs, voire du personnel.
Ce sont des idées qui remontent parce qu’il y a des problèmes
non résolus. (13) ” Cette vision non technique de l’in-
L’InnOVaTIOn au-DeLà DeS TeChnOLOGIeS DISruPTIVeS
L’étude menée en 2011-2012 par Logica Business Consulting
et Centrale Paris (14) apporte des éclairages très intéressants
sur la manière dont les entreprises perçoivent l’innovation
et leur propre capacité à innover. La quasi-totalité des
entreprises interrogées (93 %) dans le cadre de cette étude
se considèrent comme “innovantes” ou “très innovantes”
aujourd’hui et toutes sans exception pensent qu’elles le
seront demain. Les 7 % qui se présentent spontanément
novation prend force d’évidence dès qu’elle est énoncée :
si l’innovation n’était que technologique, cela signifierait
que les entreprises non-technologiques n’innoveraient pas !
Il n’en est rien bien sûr. On innove autant dans l’assurance
et la grande distribution que dans la téléphonie mobile et
l’automobile. Et ce pour une raison très simple : dans une
économie aussi concurrentielle et ouverte que la nôtre,
l’entreprise est innovante ou elle n’est pas…
comme “peu à moyennement innovantes” l’expliquent soit
par la nature de leur activité (entreprises de process ne
produisant pas la technologie utilisée dans leurs process),
soit par leur position dans la chaîne de valeur qui fait que
l’innovation qu’elles contribuent à mettre sur le marché est
faite en majeure partie par d’autres, essentiellement par
leurs fournisseurs.
13) Michel Godet, professeur au Cnam, titulaire de la Chaire de prospective stratégique - Interview du 30 juin 2011 (Institut Montaigne)
14) Un autre regard sur l’innovation. État des pratiques et des modèles organisationnels dans les grandes entreprises. En vente sur http://boutique.techniquesingenieur.fr/un-autre-regard-sur-l-innovation.html

Cette auto-évaluation et les justifi cations dont elle est assortie
montrent qu’il est diffi cile de trouver une défi nition du
mot “innovation” qui soit partagée par tous. On a tendance
en particulier à opposer innovation de rupture et innovation
incrémentale, en donnant plus de prix et de prestige à la
première catégorie au motif qu’elle demanderait plus de
génie et plus d’investissement. Le paradoxe veut que l’innovation
de rupture, souvent liée à une révolution des usages,
se révèle souvent moins coûteuse que l’innovation incrémentale.
A titre d’exemple, Apple - champion des innovations
de rupture - a un budget R&D de l’ordre 1,5 milliard de
dollars (environ 3 % de son CA) quand Microsoft consacre 9
milliards de dollars (15 % de son CA) à défendre le bastion
Windows. La comparaison entre les efforts de R&D d’Apple
et de Nokia dans le domaine des téléphones mobiles est
tout aussi instructive : Nokia consacre de l’ordre de 12,5 %
de son CA à la R&D contre 3 % chez Apple pour la ligne
iPhone, et ce pour des volumes de vente très proches.
Les secteurs qui investissent le plus en r&D (2010)
Au niveau mondial l’informatique-électronique, la santé et
l’automobile totalisent 65 % des investissements R&D.
Source : Booz & Company - strategy+business magazine/hiver 2011.
Résultats de l’étude annuelle The global Innovation 1000.
43

44
Les entreprises qui investissent le plus en r&D (2010)
dépenses r&d
millions us $ Variation 2010/2009 % du cA
siège mondial secteur
roche holding 9 646 1,5 % 21,1 % Europe Santé
pfizer 9 413 20,0 % 13,9 % Amérique du Nord Santé
novartis 9 070 21,4 % 17,9 % Europe Santé
microsoft 8 714 - 3,3 % 14,0 % Amérique du Nord Logiciel & Internet
merck 8 591 53,0 % 18,7 % Amérique du Nord Santé
toyota 8 546 0,7 % 3,9 % Asie Auto
samsung 7 873 23,2 % 5,9 % Asie Informatique/Electronique
nokia 7 778 - 0,8 % 13,8 % Europe Informatique/Electronique
General motors 6 962 16,0 % 5,1 % Amérique du Nord Auto
Johnson & Johnson 6 844 - 2,0 % 11,1 % Amérique du Nord Santé
intel 6 576 16,3 % 15,1 % Amérique du Nord Informatique/Electronique
panasonic 6 176 10,7 % 6,1 % Asie Informatique/Electronique
GlaxosmithKline 6 127 0,3 % 14,0 % Europe Santé
Volkswagen 6 089 19,4 % 3,6 % Europe Auto
iBm 6 026 3,5 % 6,0 % Amérique du Nord Informatique/Electronique
sanofi-Aventis 5 838 - 4,0 % 14,5 % Europe Santé
honda 5 704 5,2 % 5,5 % Asie Auto
AstraZeneca 5 318 20,6 % 16,0 % Europe Santé
cisco systems 5 273 1,3 % 13,2 % Amérique du Nord Informatique/Electronique
siemens 5 217 - 1,4 % 5,1 % Europe Industrie
Source : Booz & Company - strategy+business magazine/hiver 2011. Résultats de l’étude annuelle The global Innovation 1000.

De même, alors que certains limitent l’innovation aux produits/technologies
de rupture, d’autres englobent dans ce
terme tout ce qui est nouveau et qui génère de la valeur lors
de sa mise en œuvre en interne ou de sa mise sur le marché.
S’il y a des divergences, on constate néanmoins dans
les propos de toutes les entreprises qui s’expriment sur l’innovation
que celle-ci a systématiquement à voir avec trois
notions : celle de “nouveauté”, bien sûr, mais aussi celles de
“mise sur le marché” et de “création de valeur”. Une innovation
ne se limite donc pas à une idée nouvelle, à de la
production de connaissances, à la maîtrise d’une technique
ou d’un procédé, au dépôt de brevets, etc. Même si ces éléments
y contribuent, il n’y a innovation que si l’idée/l’invention
rencontre un marché et qu’elle crée de la valeur pour l’entreprise
et pour ses clients.
La rencontre avec un marché étant rarement fortuite, on
rejoint ici le point de vue de Bernard Stiegler pour qui l’innovation
consiste en premier lieu à “socialiser” des inventions,
des technologies ou des idées. En matière de biens ou de
services, cette socialisation recouvre tout ce que l’entreprise
met en œuvre pour, d’une part, passer de l’idée au produit
et, d’autre part, créer les conditions de rencontre avec le
marché par l’adhésion, l’adoption et l’appropriation. C’est
en fait de la socialisation que procède la création de valeur.
L’InnOVaTIOn n’eST réuSSIe
que quanD eLLe renCOnTre
un MarChé eT DéGaGe
De La VaLeur éCOnOMIque POur
L’enTrePrISe eT De La VaLeur
D’uSaGe POur Le CLIenT.
45

46
En d’autres termes, aussi bonne soit-elle, une idée ou une
technologie non-socialisée ne génère pas de valeur - pas
plus pour l’entreprise que pour ses clients. Ainsi, explique
B. Stiegler, si France Télécom a largement contribué (via le
Cnet) à établir la norme GSM en téléphonie mobile, c’est
Nokia qui l’a socialisée, donc qui a été innovante. On voit par
cet exemple que l’innovation est le résultat d’un processus
et que, pour cette raison même, elle ne peut être l’apanage
des seuls laboratoires de recherche et directions R&D. Les
une InnOVaTIOn De PLuS en PLuS OuVerTe
SI La reCherChe D’InnOVaTIOnS
eST OuVerTe Sur L’exTérIeur,
La DéfInITIOn De La STraTéGIe
D’InnOVaTIOn eST enCOre
PrInCIPaLeMenT L’affaIre
De La DIreCTIOn GénéraLe
eT De La r&D.
formes et les champs d’innovation sont donc nécessairement
multiples : au-delà des technologies, produits et services, les
entreprises innovent dans les procédés, les méthodes, dans
l’usage des produits et des services, dans les modes d’organisation
et de fonctionnement, dans les business models…
Il s’ensuit que l’innovation n’est pas forcément perceptible
par le client final (même si elle crée de la valeur pour lui) et
qu’elle concerne également des changements d’organisation
internes à l’entreprise et dans son écosystème.
Malgré cette définition élargie, l’étude précitée montre que
l’innovation technologique reste prédominante : 82 % des
entreprises innovent principalement au travers de la technologie
(process et produit), l’innovation Produit dominant tous
les autres types d’innovation. L’organisation des processus
d’innovation et le fait que les stratégies d’innovation soient
portées par quelques fonctions spécialisées de l’entreprise
expliquent en grande partie cette orientation. Dans la plupart
des entreprises, la veille innovation est relativement
ouverte sur l’extérieur. En revanche, dès qu’il s’agit de choix
et de stratégie d’innovation - c’est-à-dire de la définition du
contenu des programmes et de l’allocation des budgets -

la participation des acteurs externes devient marginale
et un trio de tête d’acteurs internes s’impose : la direction
Recherche & Développement et la direction Générale citées
en tête et à égalité, suivies de la fonction Marketing Stratégique
qui définit le plan produit de ce qui sera mis sur le
marché (15) .
La fonction Achats se situe, avec la direction des Programmes/Ingénierie,
le marketing opérationnel, la fabrication/production,
dans une deuxième vague de contributeurs
à la veille innovation et à la définition de la stratégie. Si sa
position est significativement en retrait par rapport au trio
de tête, elle indique néanmoins une reconnaissance du rôle
des Achats dans la détection et la capture de l’innovation,
en premier lieu dans la communauté des fournisseurs. Ce
rôle est voué à se renforcer pour plusieurs raisons. Tout
d’abord, les entreprises doivent innover à un rythme de
plus en plus soutenu, notamment parce que les innovations,
même lorsqu’elles sont à haute teneur technologique et/ou
capitalistique, sont très rapidement diffusées et copiées.
L’avantage concurrentiel qu’elles procurent est de courte
durée, d’où la nécessité pour les entreprises d’alimenter en
permanence leur “pipe” ou réservoir d’innovations. Ensuite,
l’entreprise qui chercherait aujourd’hui à tout inventer par
elle-même ou intra-muros n’aurait que peu de chances de
survivre, a fortiori de rester innovante longtemps - d’autant
que la loi du marché n’est plus “first to patent” mais “first to
market” ! C’est ce qui pousse Google à mettre en ligne des
services/outils logiciels en version bêta, c’est-à-dire non
finalisés, quitte à les retirer si ces innovations ne rencontrent
pas l’adhésion des utilisateurs (16) .
La LOI Du MarChé n’eST
PLuS “fIrST TO PaTenT”
MaIS “fIrST TO MarkeT”.
15) La manière dont la plupart des entreprises construisent leur stratégie d’innovation exclut de fait les innovations organisationnelles ou en matière de business
model considérées comme des activités de “transformation” (opérationnelles ou stratégiques).
16) Google a ainsi supprimé une trentaine d’applications et d’outils entre septembre 2011 et avril 2012.
47

48
La PLuParT DeS enTrePrISeS
VeuLenT aCCrOîTre Le reCOurS
à L’OPen InnOVaTIOn DanS
LeS PrOChaIneS annéeS.
OBjeCTIf n°1 : aCCéDer
à DeS TeChnOLOGIeS
eT/Ou COMPéTenCeS nOn
DéTenueS en InTerne.
Enfin, alors qu’elles ne cessent d’externaliser des pans entiers
d’activités et de ressources, comment les entreprises
peuvent-elles trouver les innovations dont elles ont besoin
pour maintenir leur avantage concurrentiel et leur compétitivité
si ce n’est en se tournant vers l’extérieur ? Elles le font
déjà comme le montre le développement de l’Open Innovation.
Par exemple, Procter & Gamble, considéré comme
un pionnier en la matière, tire aujourd’hui 50 % de ses innovations
de son programme d’Open Innovation Connect &
Develop lancé en 2000. Ce modèle très mature ne consiste
pas à demander à tel fournisseur présélectionné de développer
ce dont P&G a besoin en ingénierie, marketing, packaging,
services… Il consiste à faire connaître largement
les besoins de P&G et à inviter ceux qui ont des réponses
déjà prêtes ou presque prêtes à se faire connaître. Par
exemple, c’est par ce canal que le groupe a trouvé, grâce
à la proposition postée sur le site par une société qu’il ne
connaissait pas, la technologie dont il avait besoin pour développer
un produit antimicrobien. Il est important de noter
que le programme Connect & Develop permet également à
P&G de valoriser les technologies et procédés développés
en interne en les proposant à la vente.

Si le taux de recours à l’Open Innovation est actuellement
très disparate, la plupart des entreprises déclarent vouloir
l’augmenter dans les années à venir - y compris celles qui
ont une forte culture du secret industriel. Les principales
collaborations envisagées concernent les partenaires
académiques, les fournisseurs et, à un degré moindre,
les clients (17) . Ce qui motive une collaboration accrue avec
les fournisseurs ? En premier lieu, la possibilité d’accéder
à des technologies et/ou compétences non détenues en
interne et, en second lieu, le partage des risques et des
coûts. Les principales difficultés évoquées concernant le
développement de ces collaborations externes ont trait au
partage de la propriété intellectuelle et à la valorisation des
résultats obtenus.
Dans un modèle d’innovation de plus en plus ouvert, la
fonction Achats sera, en tant que manager des ressources
externes, de plus en plus impliquée non seulement dans la
recherche et la capture de l’innovation mais aussi dans son
management. Au-delà de trouver le fournisseur ou soustraitant
ayant la bonne innovation au bon moment, son rôle
sera de détecter les opportunités - c’est-à-dire les colla-
“LeS enTrePrISeS quI OnT
D’OreS eT Déjà OuVerT
LeurS PrOCeSSuS D’InnOVaTIOn
à LeurS CLIenTS eT à LeurS SaLarIéS
VOIenT Le nOMBre De LeurS
InnOVaTIOnS auGMenTer
en MOYenne De 20 %.”
andrew MCaffee,
harvard Business review,
déCeMBre 2009
17) L’innovation avec les clients n’est pas du tout appréhendée de la même manière dans le monde du B2B et celui du B2C. Dans le B2B, les grands clients
sont de longue date associés au marketing stratégique et à la définition des roadmaps et le co-développement est une pratique répandue. Dans le B2C,
l’implication des clients en phase de probation des produits prend depuis une dizaine d’années un essor considérable, grâce aux facilités de communication
et de collaboration qu’offre Internet.
49

50
borations à fort potentiel d’innovation et donc de création
de valeur - et de faire naître les synergies. Plus l’innovation
se fera à l’extérieur, plus la réussite des projets d’innovation
et la continuité d’alimentation du pipe dépendront de
la qualité des relations entre l’entreprise et ses partenaires
d’innovation. C’est un domaine où les Achats peuvent et
doivent prendre un temps d’avance en approfondissant leur
TrOIS exeMPLeS De COnTrIBuTIOn DeS aChaTS
“InnOVer, Ce n’eST PaS aVOIr
une IDée nOuVeLLe MaIS arrêTer
D’aVOIr une VIeILLe IDée .”
edwin herBert land (1909-1991),
inventeur du polaroïd
connaissance de la stratégie de l’entreprise et des besoins
internes et en valorisant leur expérience historique des relations
avec les fournisseurs. Les multiples connexions de la
fonction Achats avec la sphère des fournisseurs et l’interne
la placent en outre en très bonne position pour recueillir
les idées, organiser leur gestion et les relier aux processus
d’innovation en place.
Dans bien des entreprises, la fonction Achats est d’ores
et déjà partie prenante de la recherche d’innovation. Trois
exemples, dans trois secteurs d’activité différents, permettent
d’illustrer la diversité des approches et des moyens mis en
œuvre par les Achats pour identifier les fournisseurs porteurs
d’innovation, tisser des relations fructueuses avec des sociétés
innovantes et faire évoluer les pratiques, voire la stratégie
d’innovation de l’entreprise.
Cette filiale d’un grand groupe d’assurance a pour mission de
fournir aux sociétés du groupe des solutions technologiques
performantes et de trouver les fournisseurs adéquats. Un
des aspects clés de sa mission concerne la transformation
de l’infrastructure réseau du groupe, avec pour impératif de

conserver la qualité du service fourni par cette infrastructure
tout en diminuant ses coûts de fonctionnement, et une volonté
marquée de développer le “faire faire” en lieu et place du
“faire”. Compte tenu de ces exigences, la recherche de solutions
novatrices est une dimension cruciale de la démarche
de transformation et c’est logiquement aux Achats que cette
tâche incombe.
Dans ce contexte de transformation, un des projets concernait
la modification du fonctionnement du système de messagerie,
outil évidement critique pour l’ensemble du groupe. Si le premier
objectif était de diminuer le nombre de serveurs exploités
et donc les coûts d’exploitation, il s’agissait également de
faire en sorte que le groupe garde la haute main sur la gestion
de son système de messagerie. Dans le cadre de ce projet,
les Achats ont challengé le modèle de conception réalisé en
interne et ont recherché un fournisseur capable d’apporter
une solution en rupture avec le modèle proposé. La capacité
des Achats à prendre de la distance vis-à-vis de l’existant et
du recul par rapport à la demande a permis la mise en œuvre
d’une réponse totalement différente de celle envisagée initialement
- en l’occurrence, un partenariat avec un fournisseur
porteur d’innovation, abaissant effectivement les coûts d’exploitation,
augmentant la qualité de service et garantissant au
groupe la maîtrise de son système de messagerie.
autre exemple, dans l’industrie cette fois. Dans ce groupe
spécialisé dans l’aérospatial, la défense et les technologies
de l’information, l’innovation est vraiment le nerf de la
guerre. Elle fait partie du quotidien de la fonction Achats, la
recherche de l’innovation étant un des sept objectifs stratégiques
de chaque acheteur. Cette recherche systématique
commence dès la phase d’expression du besoin, le rôle de
l’acheteur étant de challenger aussi bien les fournisseurs que
les clients internes. L’objectif pour les Achats est de pousser
la stratégie d’entreprise à se tourner vers les voies d’innovations
proposées par les fournisseurs et portées par les
Achats. Ainsi, dans le cadre d’un projet de radars de surveillance,
les Achats n’ont pas sélectionné les fournisseurs sur
leurs réponses à des spécifications détaillées. Ils ont identifié
les pièces et sous-systèmes présentant un potentiel d’innovation
élevé, ont décrit les attentes fonctionnelles de ces
sous-systèmes et lancé sur cette base un concours d’innovation
entre les fournisseurs afin d’obtenir la meilleure solution
technique, en termes d’efficacité et de coûts, pour chaque
bloc fonctionnel. Sur les vingt-quatre mois qu’a duré ce
projet pour les Achats, sept ont été consacrés à la recherche
d’innovation. Outre l’émulation suscitée par la formule originale
du concours, la démarche s’est révélée réellement payante :
les innovations apportées par les fournisseurs ont réduit de
30 % les coûts de production.
51

52
Ce modèle d’innovation déléguée aux fournisseurs, désormais
classique dans l’automobile, l’est beaucoup moins
dans les industries sensibles, surtout pour des dispositifs
aussi technologiques. Jusqu’à une période récente, dans
ce type d’industries, l’innovation stratégique ne pouvait
venir que de l’interne et plus précisément de la R&D qui
contrôlait tout de A à Z. Cet exemple prouve, d’une part,
que les stratégies d’innovation évoluent par nécessité vers
l’outsourcing et, d’autre part, que les Achats sont en capacité
de piloter de bout en bout cette innovation externalisée
- à condition bien sûr d’en avoir le mandat explicite et de
disposer des ressources humaines appropriées.
Dernier exemple, dans le secteur très concurrentiel des télécoms
où l’innovation est un facteur majeur de différenciation
pour les opérateurs. Afin de capter la créativité et de
drainer vers lui l’innovation des petites sociétés innovantes,
cet opérateur a mis en place et anime avec succès depuis
plusieurs années un incubateur de start-up. Entre autres
activités de soutien, cette structure finance des études et
des projets au sein des sociétés retenues en signant avec
elles un contrat de co-développement. Si cette pépinière
fonctionne, c’est parce que le dispositif est mutuellement
avantageux : c’est incontestablement un tremplin pour les
jeunes sociétés créatives mais manquant de moyens pour
mener à bien leurs projets ; c’est aussi un vivier d’opportunités
pour l’opérateur qui bénéficie contractuellement d’une
exclusivité de 12 à 18 mois sur leurs produits et services au
moment de leur commercialisation.
En tant que partenaire de l’incubateur, la fonction Achats
apporte sa contribution au dispositif en identifiant de nouvelles
sociétés candidates à travers les processus de sourcing
classiques. Elle s’appuie pour cela sur une matrice où
les fournisseurs sont positionnés en fonction de leur capacité
d’innovation et de performance économique. L’objectif
est d’identifier les fournisseurs présentant un potentiel d’innovation
élevé pour l’opérateur. Cette catégorisation permet
notamment de faire jouer des synergies entre les fournisseurs
de manière à ne pas perdre en route les plus prometteurs
en matière d’innovation. Ainsi, un fournisseur créatif
mais ayant des capacités de production insuffisantes, ce
qui est le cas de la plupart des “jeunes pousses”, peut être
relayé par un fournisseur peut-être moins innovant mais
capable, lui, d’industrialiser les innovations du premier.

CaPTer eT VaLOrISer L’InnOVaTIOn, D’Où qu’eLLe VIenne
Dans les trois cas qui viennent d’être présentés, c’est principalement
en travaillant avec les fournisseurs que la fonction
Achats contribue à l’apport d’innovations créatrices
de valeur pour l’entreprise. Cette orientation est logique
puisqu’elle est en lien direct avec la vocation historique des
acheteurs. Mais, comme nous l’avons vu plus haut dans
ce chapitre, la communauté des fournisseurs n’est pas
la seule source d’innovation à envisager pour la fonction
Les achats & l’innovation en interne
En interne, la fonction Achats est en position de rechercher
l’innovation auprès des fonctions partenaires mais elle ne
doit pas négliger le potentiel d’apport d’idées et d’innovation
de ses propres collaborateurs, en particulier ceux qui
- stagiaires, jeunes recrues ou collaborateurs en mobilité
interne - ont un regard neuf sur les manières de faire et
d’interagir. Ces “yeux neufs” ont le mérite de voir ce que
les autres ne voient pas ou qu’ils ne voient plus, notamment
parce que cela - en l’occurrence, chercher l’innovation,
proposer des innovations - ne fait pas partie de leur
conception du métier, de leurs responsabilités et de leurs
Achats. Nous avons considéré qu’il n’existait au fond que
trois grandes sources possibles d’innovation : l’interne,
la communauté des fournisseurs et… le “vaste monde”
où circule un nombre incalculable de bonnes idées dont
l’entreprise et ses parties prenantes peuvent tirer profit.
Pour chaque source, nous avons cherché à préciser où les
Achats devaient chercher l’innovation et comment ils pouvaient
la canaliser et la valoriser pour l’entreprise.
LeS aChaTS DOIVenT CuLTIVer
L’IDée que TOuT BeSOIn
Ou PrOBLÈMe PeuT DOnner LIeu
à une reCherChe D’InnOVaTIOn.
53

54
pratiques. Les Achats ont la capacité à développer une approche
systémique face à des interlocuteurs souvent analytiques.
Ils doivent cultiver l’idée que tout besoin ou problème
peut donner lieu à une recherche d’innovation. Ce
principe s’applique autant aux besoins des clients finaux,
des prescripteurs internes et des fournisseurs qu’à ceux
des Achats eux-mêmes, innovation s’entendant ici au sens
large : produits, procédés, marketing, organisation, modalités
de fonctionnement… Ce qui signifie que l’innovation
passe nécessairement par une veille permanente sur les
besoins, que ceux-ci soient exprimés, latents, révélés par
un dysfonctionnement, l’apparition de nouveaux usages ou
de nouveaux comportements…
Pour la plupart des organisations, l’idée que tout collaborateur
peut être détecteur de besoins et apporteur de
solutions innovantes et créatrices de valeur est loin d’être
une évidence. Donner corps à cette idée demande clairement
un changement de culture - chose qui à défaut de
se décréter peut se construire. Il s’agit en quelque sorte
d’instaurer dans les esprits “la liberté d’innover”, en commençant
par favoriser l’expression et les échanges d’idées.
Ce peut être à travers la création d’une boîte à problèmes
pluridisciplinaire, la mise en place d’outils à usage interne
(rapport d’étonnement, concours de créativité) et l’incitation
à la fréquentation des réseaux sociaux professionnels
dont le contenu peut être source d’idées novatrices.
Mais, si l’on veut vraiment que la recherche d’innovation
devienne un réflexe comportemental au sein des équipes
Achats, il faut aller plus loin dans l’incitation individuelle. A
ce titre, introduire explicitement la recherche d’innovation
dans la feuille d’objectifs des acheteurs apparaît comme un
moyen efficace et assez facile à mettre en œuvre. On peut
commencer de manière modeste, par exemple en donnant
à tous les acheteurs l’objectif de proposer au moins une
idée innovante sur des catégories autres que celles de leur
propre portefeuille. Les conditions pour que cela fonctionne ?
Premièrement, considérer cet objectif encore “inhabituel”
comme un véritable objectif donnant lieu à évaluation. Deuxièmement,
récompenser, d’une manière ou d’une autre,
les bons contributeurs.

Ajoutons que favoriser la remontée d’idées innovantes en
interne n’a de sens et de valeur que s’il existe un processus
formalisé de management des idées. C’est là que pêche la
majorité des entreprises : rares sont celles qui ont mis en
place un véritable dispositif de management des idées et
de la créativité internes en dehors des canaux R&D. L’objectif
d’un tel dispositif est de faire le tri pour garder, dans
chaque champ d’innovation et domaine opérationnel, les
idées qui méritent d’être poussées, les prioriser et les faire
passer au stade de projet en affectant à leur mise en œuvre
des ressources adéquates, en termes de temps, de moyens
humains et de ressources budgétaires. Pour que les idées
aboutissent, la fonction Achats peut bien sûr mettre en place
son propre dispositif, organiser des concours d’idées ou
créer un Trophée Innovation récompensant chaque année la
concrétisation d’une idée venant de ses équipes.
Cependant, c’est clairement à l’échelle de l’entreprise étendue
que doivent être pensées ces démarches d’innovation
bottom up. Dans les entreprises où rien n’existe, le directeur
Achats peut très bien “prendre le lead” sur le sujet (et innover
ce faisant). Si un processus de management des idées
existe déjà, même à l’état embryonnaire, la fonction Achats
doit s’y impliquer et donner les moyens à ses collaborateurs
de jouer le jeu. Quoi qu’il en soit, le processus doit être
Le ManaGeMenT DeS IDéeS
eT De La CréaTIVITé, ParenT
PauVre De L’InnOVaTIOn
PrÈS De La MOITIé DeS enTrePrISeS
DISenT ne PaS aVOIr De DISPOSITIf
OrGanISaTIOnneL ParTICuLIer POur
SuSCITer, ParTaGer eT enrIChIr
LeS IDéeS D’InnOVaTIOn POuVanT
SurGIr a PrIOrI ParTOuT DanS
L’enTrePrISe.
sourCe : un nouveau regard sur l’innovation,
logiCa Business Consulting (2012)
souple mais institutionnalisé, organisé et doté de ressources,
tant pour manager les propositions que pour accompagner
les innovations potentielles - lesquelles doivent pouvoir aller
jusqu’à impacter le portefeuille officiel des projets R&D.
55

56
Les achats & l’innovation fournisseurs
Aller chercher l’innovation chez les fournisseurs doit résolument
faire partie de l’ADN du nouvel acheteur et du mandat
de la fonction Achats. Ce n’est pas encore le cas : selon une
enquête de 2012 (Oliver Wyman-EBG), la première attente
des directions générales vis-à-vis des Achats reste, de très
loin, l’amélioration de la compétitivité prix (72 % des citations),
suivie par l’amélioration de la valeur perçue du produit/service
(31 %). Sur les sept items proposés, l’innovation
produit/service créant un avantage concurrentiel arrive en
dernière position (13 %). Pour les raisons exposées plus haut
dans ce chapitre, cette hiérarchie des priorités est vouée à
évoluer et la capacité à capter l’innovation chez les fournisseurs
va devenir une des dimensions clés de la contribution
des Achats à la création de valeur pour l’entreprise.
Reste à savoir où la chercher, cette innovation… Il paraît
évident de se tourner d’abord vers les fournisseurs acteurs
majeurs ou importants de leur marché, qui sont incontestablement
force de proposition. Mais, comme toute entreprise,
leur logique commerciale leur impose de pousser en priorité
leurs dernières créations et de privilégier le standard au spécifique,
sauf s’ils ont un intérêt stratégique à adopter la position
inverse. En d’autres termes, ils sont fortement prescrip-
teurs vis-à-vis de leurs clients ce qui n’est pas incompatible
avec l’apport effectif d’innovation pour ces derniers. S’il est
clair que les innovations de ces fournisseurs sont pensées
pour être reproductibles, une solution innovante dans une
entreprise, peut ne pas l’être dans une autre, parce qu’elle
n’est tout simplement pas adaptée à son activité, à son organisation,
à ses spécifications… ou qu’elle les remet trop fortement
en question.
Capter l’innovation des “autres” fournisseurs devient un
enjeu majeur pour les entreprises et donc pour les acheteurs.
Même si l’on considère que la taille d’une société
n’influe pas sur son potentiel d’innovation, la créativité est,
quels que soient les domaines d’activité, plutôt l’apanage
des jeunes structures qui doivent impérativement innover
pour commencer à exister sur le marché. Plus souples, plus
réactives, elles présentent l’avantage d’innover quasiment
sur demande pour leurs premiers clients. C’est tout l’intérêt
des pépinières et incubateurs de start-up mis en place par
nombre de grandes entreprises qui, en accompagnant des
jeunes pousses, non seulement bénéficient de leurs innovations
mais, de plus, renforcent leur visibilité et leur attractivité
auprès d’autres jeunes entreprises innovantes.

En matière d’innovation fournisseurs, la fonction Achats a
principalement un rôle de catalyseur : elle doit créer l’alchimie
qui fait s’interpénétrer les enjeux et logiques business
de l’entreprise et de ses fournisseurs. Mais elle doit aussi
filtrer les idées d’innovation et les innovations identifiées dans
le cadre de sa veille en fonction des niveaux d’investissement
et de risques qu’elles impliquent pour l’entreprise. Tout
l’enjeu est ici d’évaluer la valeur que peut générer pour l’entreprise
l’innovation trouvée ou proposée par un fournisseur
- ce qui suppose, au sein de la fonction Achats, une bonne
compréhension tant des motivations du fournisseur que de
ce qui est véritablement créateur de valeur pour l’entreprise.
Autant dire qu’il faut une compréhension profonde du business
de l’entreprise et de ses enjeux/priorités stratégiques.
Dans le futur, si, dans l’industrie pharmaceutique, un fournisseur
vient présenter une nouvelle molécule à un acheteur
et que ce dernier l’écoute d’une oreille distraite parce qu’il
ne voit pas du tout ce que l’entreprise pourrait faire de cette
molécule, ce peut être une perte sèche pour l’entreprise. Pas
nécessairement tout de suite, mais demain ou après-demain,
parce que l’acheteur du concurrent direct aura tout de suite
compris, lui, l’intérêt de ladite molécule pour son entreprise.
Et ce sera même une double perte, parce que c’est à l’acheteur
de ce même concurrent que ce fournisseur présentera
en priorité ses innovations suivantes.
Enfin, pour que la démarche d’apport d’innovation soit efficace,
c’est-à-dire satisfaisante pour les deux parties, il
est indispensable pour les Achats de poser clairement les
termes du partage de la propriété intellectuelle et des gains
engendrés par l’innovation. Le non partage sera de plus en
plus perçu et dénoncé par les fournisseurs comme de la prédation
ou de l’accaparement d’innovation - que ce soit vrai ou
faux d’un point de vue juridique.
57

58
Les achats & l’innovation “ailleurs”
La fOnCTIOn aChaTS
DOIT aPPrenDre à aCheTer
De L’InnOVaTIOn auSSI effICaCe-
MenT que D’auTreS PrODuITS, BIenS
eT SerVICeS.
Les sources d’innovation extérieures à l’entreprise (autres
que les fournisseurs) sont foisonnantes. S’il ne faut en négliger
aucune a priori, il est matériellement impossible de
toutes les explorer. La seule voie possible est d’avoir délimité,
sinon exactement ce que l’on cherche, du moins le
champ de ce que l’on recherche. Toutes les entreprises qui
ont structuré leur démarche d’open innovation précisent
dans quels domaines elles ont des besoins. Si au fil de
l’histoire nombre d’inventions ont été le fruit du hasard ou
de concours de circonstances, la recherche d’innovation
est une recherche appliquée : elle ne se conçoit pas sans
retour sur investissement pour l’entreprise. N’en déplaise
aux chantres de la sérendipité (18) , cette recherche demandant
du temps et ayant par conséquent un coût, elle doit se
traduire par des résultats : des idées validées par ceux à
qui on les présente, des projets mis en œuvre et conduits
à bonne fin, etc.
S’il faut capter un maximum d’idées en instaurant le dialogue
avec les producteurs d’idées (universitaires, start-up,
clients, conférenciers, étudiants sollicités lors de concours
École…), il faut aussi se rapprocher de ceux qui organisent
les idées : les business angels, les investisseurs institutionnels,
les cabinets de conseil, les think tanks… Ces organisateurs
d’idées permettent aux Achats de structurer et
filtrer les souvent trop nombreuses idées émises par les
producteurs d’idées et de les réinscrire dans la logique
business de l’entreprise. Là encore, la compréhension que
les acheteurs ont du modèle de création de valeur de leur
entreprise et de sa stratégie à moyen/long terme est fondamentale
pour la pertinence et l’efficacité de la démarche.
18) L’art de trouver ou découvrir ce qu’on ne cherche pas, comme dans le conte persan Les trois princes de Serendip. C’est, par exemple, Colomb découvrant
un nouveau continent alors qu’il cherchait à rallier l’Inde, ou Fleming découvrant la pénicilline après la contamination fortuite d’une boîte de Pétri…

Au fil de l’exploration de ces trois grandes sources d’innovation,
on voit s’imposer pour la fonction Achats la nécessité
de développer et structurer une nouvelle compétence :
apprendre à acheter de l’innovation aussi efficacement que
d’autres produits, biens et services. Si la fonction Achats
doit pour cela attirer des experts de l’innovation et des
compétences spécialisées jouant le rôle de synapse entre
en SYnThÈSe
L’innovation doit avant tout être la réponse à un problème
ou une aspiration des clients. Sans création de valeur pour
l’entreprise ou ses clients, l’innovation perd son sens.
Si elle veut apporter à l’innovation une contribution concrète,
reconnue et valorisée, la fonction Achats doit :
• Crédibiliser son rôle en renforçant sa compréhension des
enjeux, problématiques et besoins de l’entreprise ainsi
que sa capacité à évaluer la valeur potentielle de l’innovation
fournisseur.
l’interne et l’externe, elle doit structurer sa démarche autour
de la connaissance des besoins. C’est cette connaissance
qui permettra aux acheteurs de différencier mais de faire
le lien entre les réponses novatrices à des besoins connus,
correspondant aux achats à court terme, et les besoins non
encore définis mais qui orientent les stratégies d’achats à
moyen terme.
• Grâce à sa position transversale, être vecteur d’innovation
et faciliter la concrétisation de valeur pour l’entreprise en
utilisant tous les circuits et ressources à disposition (fonctions
internes, fournisseurs, producteurs et organisateurs
d’idées…).
• Structurer et professionnaliser son propre rôle et ses
propres actions dans le management de l’innovation, en
se dotant des outils et des compétences favorisant la
capture et le développement d’idées innovantes.
59

60
ChaPITre 4
LE NOUVEL ÉQUIPAGE
DU VAISSEAU AChATS

L’entreprise n’est plus que le véhicule momentané de quelques
talents fédérés par un projet commun, et ce, à durée limitée,
parfois déterminée.
Marc halévy-van Keymeulen,
Noétique et néo-management (2003)
La question est : à quelles conditions produira-t-on, par des
institutions et des dispositifs globaux, des organisations autoréférentielles
et autodéveloppées où les individus, les collectifs
coopèrent et innovent ?
Yann Moulier Boutang, Le Capitalisme cognitif,
La nouvelle grande transformation (2007)
61

62
Les trois premiers chapitres de cet ouvrage ont esquissé
les défis que la fonction Achats est appelée à relever dans
les années qui viennent, ainsi que le cadre élargi dans
lequel elle doit se projeter pour réussir sa transformation
et, ce faisant, contribuer à celle de l’entreprise. Maints
indices montrent que les attentes vis-à-vis de la fonction
Achats sont en train d’évoluer, mais qu’en est-il de son mandat
effectif ? Nous avons vu que les directions générales
continuent à donner la priorité à l’amélioration de la compétitivité
prix et à évaluer principalement sur cette base la
contribution des Achats à la performance de l’entreprise.
Or nous sommes convaincus, et c’est devenu évident pour
beaucoup de directeurs Achats, que ce sera de moins en
moins sur ce terrain que notre fonction pourra apporter une
contribution constructive, significative et durable à la performance.
Faut-il attendre un nouveau mandat ? Non, et pour une
raison très simple : dans les organisations, et plus encore
dans les contextes de transformation, les mandats vont à
ceux qui ont déjà pris le leadership. On ne prête qu’aux
riches… Ce ne sont pas les décrets, les profils de postes,
les indicateurs et les organigrammes qui font évoluer les
mandats : tout cela ne fait le plus souvent qu’entériner ce
que les pionniers ont déjà commencé à démontrer. En
d’autres termes, c’est aux Achats de forger leur nouveau
mandat en s’appropriant les enjeux de l’entreprise étendue.
Et c’est fondamentalement aux individus convaincus de la
nécessité de faire bouger les lignes - directeurs Achats et
acheteurs - de commencer à les faire bouger.

un Cran neTTeMenT PLuS hauT
L’ouverture inévitable de l’entreprise sur son écosystème, son
évolution vers la structure de création de valeur que nous appelons
“entreprise étendue” est une formidable opportunité pour la
fonction Achats. Pourquoi ? Parce qu’elle est à l’avant-poste pour
en percevoir les implications et les faire comprendre à ses partenaires
- en termes d’impact sur leur business model, de maîtrise
des risques et de détection de potentiel de création de valeur.
Elle doit aujourd’hui convaincre que c’est à ce niveau que se
joue non pas son avenir à elle mais celui de l’entreprise. Elle ne
peut le faire qu’en apportant des éléments de preuve recevables
par ses interlocuteurs et mandants habituels. Mais ce n’est pas
la première fois qu’elle est dans cette situation. La fonction
Achats s’est battue pour que l’acheteur et les fournisseurs soient
associés en amont des projets et pour qu’ils participent à la définition
des besoins. De même, en remontant au TCO pour faire
les meilleurs choix pour l’entreprise, elle a appris à dialoguer
avec l’ensemble des parties prenantes de la chaîne de valeur
et à sortir de l’arbitrage par le prix. Nul ne nie aujourd’hui que
l’entreprise a gagné à ces avancées. C’est dans cet esprit que
la fonction Achats doit poursuivre mais en actant le changement
d’échelle qu’est l’entreprise étendue - changement qui lui
impose de “changer de logiciel”.
COnTOurS Du ManDaT fuTur De L’aCheTeur
• OPTIMISaTIOn DeS COûTS eT
De La PerfOrManCe éCOnOMIque
• VeILLe eT SuIVI (MarChé, PrODuITS,
fOurnISSeurS…) POur CaPTer L’InnOVaTIOn
• reCherChe eT CaPTaTIOn D’InfOrMaTIOnS
Sur La COnCurrenCe POur renfOrCer
Du POSITIOnneMenT COnCurrenTIeL
De L’enTrePrISe
• aMéLIOraTIOn De CaSh fLOw
POur L’enTrePrISe
MaIS auSSI…
• réInVenTIOn DeS BuSIneSS MODeLS
• CréaTIOn De VaLeur POur Le CLIenT fInaL
• SéCurISaTIOn De L’aCCÈS aux MaTIÈreS
eT reSSOurCeS rareS
• réDuCTIOn DeS rISqueS rSe eT rISqueS
réGLeMenTaIreS
63

64
Demain, en effet, ce n’est plus en amont du processus
Achats en tant que tel que l’acheteur devra intervenir. C’est
hors processus, en prise directe avec les acteurs d’un
écosystème où tous seront, plus encore qu’aujourd’hui, en
concurrence frontale mais aussi en quête d’opportunités et
en recherche de synergies - que ce soit pour pénétrer un
marché, gagner en influence, accélérer leur time-to-market
ou accéder à des ressources rares. Dès lors, la valeur ajoutée
de l’acheteur ne sera plus dans sa capacité à trouver
les réponses adéquates en termes de qualité-coûts-délais
ou à gérer des relations contractuelles bilatérales sur
un mode défensif. Elle sera dans sa capacité à attirer les
meilleurs contributeurs, à initier et cultiver des relations de
collaboration dans une logique de création de valeur pour
l’écosystème et chacune des parties prenantes.
Dire que la partie qui s’engage sera ardue est un euphémisme
car si tout le monde aspire aujourd’hui à “(re)donner
du sens au business” et dit vouloir contribuer au bien commun,
à l’intérêt général, au bonheur de tous et de chacun,
la philanthropie ne prime pas dans les affaires : les logiques
financières et la rentabilité à court terme ont malheureusement
pris le pas sur l’investissement à long terme. Or le travail
de la fonction Achats à l’échelle de l’entreprise étendue
est indiscutablement un investissement sur le long terme…
Pour autant, les Achats ne manquent pas d’arguments pour
démontrer l’intérêt de cette approche. Par exemple :
“Quand la crise nous a obligés à réduire l’activité, nous
n’avons eu aucun procès, aucune contestation de nos
fournisseurs stratégiques parce que nous avions construit
avec eux des relations de confiance. Et quand l’activité est
repartie et qu’il y a eu des tensions sur les matières premières,
nos fournisseurs nous ont donné la priorité. En prix,
nous n’avons pas forcément été gagnants, mais en termes
de business, le fait de pouvoir repartir avec plus de volume
que nos concurrents a été un avantage”, explique ce responsable
Achats du secteur automobile.
Et ce responsable Achats du secteur de l’énergie de souligner
: “Ceux qui, pour des raisons de coûts, ont sabordé
leurs fournisseurs en France et en Europe pour tout basculer
en Chine se retrouvent coincés : tout se passe mal
en Chine et, trois ans après, ils décident de revenir mais ils
n’ont plus aucun lien, aucun appui dans le tissu fournisseurs
local !”. Et le florilège des relocalisations ne fait que
commencer du fait de la perte structurelle de compétitivité
des pays dits à bas coût de production.

Deux BOnneS nOuVeLLeS !
Le gap à franchir peut paraître immense mais nous avons
deux bonnes nouvelles. La première est que ce n’est pas
la première fois de sa courte histoire que la fonction Achats
déplace son centre de gravité et s’en sort par le haut. Elle l’a
déjà fait quand elle s’est dégagée des approvisionnements
et de l’exécution technique des transactions. C’est ce qui lui
a permis de monter d’un cran et d’affirmer son rôle d’interface
à valeur ajoutée entre l’entreprise et le marché des fournisseurs.
Aujourd’hui, il s’agit d’opérer un nouveau mouvement
pour investir l’espace de l’entreprise étendue, en étant
non plus le “point de passage imposé” mais le catalyseur
des idées et des énergies dans l’écosystème.
La transition n’est pas évidente mais nous pensons que la
fonction Achats dispose de points d’appui importants pour
bâtir sa position :
• Son avance dans la prise de conscience que la transformation
des ensembles productifs et des modèles relationnels
est inévitable. Sa vision de l’entreprise étendue lui permet
de convaincre et de rallier ses partenaires internes et externes.
• Sa situation “frontalière” actuelle, qui fait d’elle dès aujourd’hui
un poste avancé pour la détection des risques et
le sourcing, non plus de fournisseurs, mais d’opportunités
business pour les membres de l’écosystème.
• La proximité avec les fournisseurs et les grands partenaires,
qui lui permet d’avancer plus rapidement vers des
pratiques “modernes” de type communautaires - notamment
en matière d’open innovation, de mutualisation de
moyens et de ressources, de partage de la valeur. C’est
en se différenciant dans ces trois domaines que la fonction
renforcera l’attractivité de l’entreprise pour les fournisseurs
clés et entretiendra leur motivation.
• Un formidable terrain d’expérimentation et de démonstration,
celui de la responsabilité sociétale et environnementale
(RSE) - un terrain complexe, car toutes les contractions
de l’économie concurrentielle mondialisée s’y exacerbent.
C’est cependant un domaine clé pour les Achats parce
que la fonction y a déjà une certaine légitimité et que, paradoxalement,
il regorge d’opportunités. C’est en effet par la
RSE que les entreprises se différencieront, sans perdre de
vue que la réduction des consommations a également des
vertus économiques. Par leurs innovations, dans les relations
sociales, les produits, les matières premières, les stra-
65

66
tégies de sourcing, les alliances… elles devront démontrer
en permanence - aux marchés, aux régulateurs, aux
faiseurs d’opinion, aux citoyens… - qu’elles génèrent plus
d’externalités positives que négatives pour la société.
La deuxième bonne nouvelle est que les directions générales
commencent à exprimer des attentes convergentes avec
un BeSOIn CruCIaL De nOuVeaux TaLenTS
Même si les directions générales ne mandatent pas encore
la fonction Achats sur l’entreprise étendue, cette convergence
est une réelle avancée. Elle ouvre une opportunité
décisive mais il est aussi très clair que ce n’est pas avec
une armée de “faiseurs de prix et de négociateurs (20) ”
que les Achats s’imposeront sur le terrain stratégique de
la transformation des business models… Natacha Tréhan
note dans sa recherche que “selon les directeurs généraux
et directeurs Achats, le principal enjeu est que les
acheteurs aient une bonne compréhension de la création
l’ambition des directeurs Achats ! C’est un des points que
souligne Natacha Tréhan en présentant les enseignements
de sa dernière recherche sur l’avenir de la fonction Achats
à horizon 2025 (19) : “Lorsqu’on interroge les directeurs généraux
et les directeurs Achats, dit-elle, leur première réponse
est que la fonction Achats va contribuer à la réinvention des
business models.”
de valeur au sein de leur entreprise. Ils se doivent de bien
appréhender la chaîne de valeur.”
Nous avons plusieurs fois insisté dans les pages qui précèdent
sur la nécessité pour l’acheteur d’avoir une bonne
compréhension des enjeux business de ses interlocuteurs
internes et externes.
19) “La fonction Achats de demain : esquisse d’une rétro-prospective”. Natacha TREhAN est Maître de Conférences à l’IAE de Grenoble, responsable du Master
DESMA de l’IAE de Grenoble et chercheur au CERAG, unité mixte de recherche du CNRS.
20) Emprunt à Wafik Azmi-Salib, ex-directeur des achats et de la logistique du groupe Club Méditerranée.

Si l’on veut qu’il soit demain un acteur vraiment influent de
la création de valeur de l’entreprise étendue, il faut viser
plus haut et développer une population d’acheteurs ayant :
• une excellente compréhension de la stratégie et du modèle
économique de leur propre entreprise,
• une compréhension de la stratégie des partenaires, audelà
de la connaissance de leur modèle économique et
de leur structure de coûts,
• la capacité à faire les liens entre ces stratégies pour poser
les bonnes questions au bon niveau, identifier l’optimum
global et organiser la juste rétribution des efforts.
Toute la difficulté est évidemment de trouver des professionnels
ayant ce type de profil ou ce potentiel, de les
attirer aux Achats et de les intégrer dans des équipes
d’acheteurs ayant des compétences et des expertises
plus classiques. La fonction Achats a indiscutablement
besoin de ces nouveaux profils plutôt généralistes
- à la fois leaders, animateurs et développeurs de
relations à valeur ajoutée. Est-ce à eux d’aller jusqu’à
la négociation ? Doivent-ils être à l’image des vendeurs
grands comptes qui, chez les fournisseurs, ont précisé-
ment cette vue globale et cette marge de manœuvre ?
La question est ouverte, mais dans notre scénario d’entreprise
étendue, la réponse est plutôt oui. Dotés d’une solide
formation économique, ce sont bien plus des community
managers de haut vol que des négociateurs de prix.
Mais il ne faut pas non plus se tromper de combat. L’équipage
du vaisseau Achats ne peut pas compter que des
vigies et des pilotes. La fonction continue d’avoir besoin
d’experts de plus en plus pointus, maîtrisant les tenants et
les aboutissants de projets et/ou de marchés complexes, et
de techniciens. En d’autres termes, ce n’est pas parce que
la fonction Achats doit passer du supplier management au
supplier relationship management - le “R” trop oublié du
SRM - qu’elle doit désarmer sur ses fondamentaux. Bien
au contraire, elle s’imposera d’autant mieux au niveau d’influence
ambitionné qu’elle se montrera plus performante
dans les domaines où elle est déjà, explicitement ou implicitement,
mandatée et évaluée.
67

68
InquIéTanTS DéCaLaGeS
Ce quI Se DeSSIne DanS LeS
GranDeS OrGanISaTIOnS aChaTS :
• De PLuS en PLuS De SPéCIaLISaTIOn,
Par LeS CaTéGOrIeS
eT faMILLeS D’aChaTS,
• PLuS De SPéCIaLISaTIOn SeLOn
La POSITIOn DanS Le PrOCeSSuS
aChaTS (aCheTeurS aMOnT,
MarkeTInG aChaT, COnTrôLe
De GeSTIOn…),
• DeS SPéCIaLISaTIOnS
Par GranDeS PrOBLéMaTIqueS :
rSe, InnOVaTIOn, rISque
• De MOInS en MOInS D’aCheTeurS
OPéraTIOnneLS MaIS DeS POSTeS
aYanT une DIMenSIOn STraTéGIque.
Dans le droit fil des nouvelles missions de la fonction Achats,
on voit bien apparaître dans les entreprises de nouveaux
intitulés de poste. Natacha Tréhan en souligne quelquesuns
dans sa recherche : supplier sustainibility officer (chez
Philips), supply risk manager (Ericsson), procurement innovation
manager (Kraft), supplier panel manager (PSA)…
Le cabinet international Big Fish, spécialisé dans le recrutement
et le développement de talents pour les fonctions
Achats et Supply Chain, ne voit pas encore apparaître
ces intitulés de poste chez ses clients. Il observe que la
tendance lourde de la demande est au recrutement de
“clones”. Les entreprises veulent majoritairement les
mêmes profils que ceux qu’elles ou leurs concurrents ont
déjà, remplacent à l’identique et recrutent toujours principalement
autour du triptyque category management/projets/
performance et process. Ceci indique que le domaine d’intervention
de l’acheteur est aujourd’hui totalement stabilisé
et que les organisations sont hyperstructurées. Les clones
recherchés sont en effet enfermés dans des spécialités de
plus en plus étroites, dans les achats directs comme indirects.
Par exemple, là où on recrutait un acheteur marketing
global il y a quelques années, on recrute aujourd’hui un

acheteur “événementiel”, un acheteur “printing”, un acheteur
de prestations d’agences, etc. L’hyperspécialisation
catégorielle, sectorielle ou métier se confirme et prime clairement
désormais sur les compétences techniques achats.
Le poids de ces dernières, banalisées du fait même de leur
abondance, continue de décroître au profit des soft skills.
Mais, parallèlement à un manque d’attractivité persistant,
un des problèmes de la fonction Achats en matière de soft
skills est le décalage entre la demande des entreprises et
la perception qu’en ont les jeunes acheteurs. Une enquête
récente (21) montre que, interrogés sur les trois qualités
principales qu’ils pensent qu’on attend d’eux, la qualité
de négociation et de persuasion arrive largement en tête
des citations. Viennent ensuite ouverture d’esprit-qualité
d’écoute, puis rigueur-organisation. Les capacités managériales
arrivent en toute fin de liste, derrière l’aisance relationnelle,
la transversalité et la créativité (moins de 10 %
des citations). Cette hiérarchie n’a pratiquement pas bougé
depuis 2008. Si l’on prend uniquement en compte la compétence
citée en premier depuis 2008, la qualité de négociation
et l’ouverture d’esprit chutent de près de 20 points
et passent derrière avoir une vision globale de l’entreprise
et rigueur-organisation, en hausse depuis 2010. Si la créativité
et la transversalité remontent légèrement, les capacités
managériales et l’esprit d’équipe stagnent tout en bas du
tableau avec moins de 3 % des citations. La dépréciation
par les intéressés eux-mêmes des qualités qui nous paraissent
indispensables pour opérer dans l’entreprise étendue
montre qu’il reste beaucoup à faire. Cela nous conforte
dans l’idée que si la fonction Achats a besoin de sang neuf,
son manager doit aussi d’urgence redonner des perspectives
et des challenges aux acheteurs.
21) Enquête Demos-Décision Achats, réalisée par e-mailing entre le 16 mars et le 30 mai 2012 auprès de 102 professionnels des Achats. Près de 45 % des
répondants sont dans le secteur de l’industrie et 11 % dans les services. Près de 45 % d’entre eux appartiennent à une entreprise dont l’effectif dépasse
750 collaborateurs.
69

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Le tableau ci-après synthétise les connaissances et les compétences à développer à court terme chez les acheteurs pour
relever les challenges de demain tout en assurant les missions actuelles.
domaine achats
domaine juridique
domaine financier
hArd sKills soFt sKills
Connaissance du business de l’entreprise pour mettre en perspective
des opportunités venant du marché fournisseurs
Droit de la concurrence
Droit international
Connaissance des risques juridiques
Gestion de l’image de l’entreprise
Connaissance des risques financiers
BFR / cash flow
management Gestion des projets et des outils associés
relationnel
Curiosité
Ouverture sur le marché
Esprit d’entrepreneuriat
Savoir gérer les litiges
Savoir concilier RSE et gains
Gestion des priorités en fonction de la création de valeur engendrée
Pilotage par les enjeux et les attentes
Satisfaire les clients internes, les fournisseurs…
Leadership
Capacité à évoluer dans des environnements interculturels
Capacité à éduquer la Direction Générale sur les problématiques liées
aux mandats des Achats
Capacité à aller chercher les mandats/savoir les reformuler

Le ManaGer aChaTS, un MuTanT nOéTIque (22) ?
Cet inventaire des compétences souhaitables place déjà la
barre assez haut, la fonction Achats devant réunir à la fois
de bons généralistes et des ultraspécialistes. L’essentiel n’y
apparaît pas pourtant : il s’agit d’un ensemble de qualités et
d’aptitudes personnelles qui n’entrent pas dans la rubrique
“compétences” d’un CV et qui distinguent les “talents” des
bons professionnels. Comme le dit N. Tréhan, “on ne va plus
recruter sur des compétences parce qu’elles sont rapidement
obsolètes, on va recruter des personnes pour leurs talents,
leur expertise, leur capacité de réflexion et de création
dans un monde en mouvement, incertain où ce n’est plus en
faisant du copier-coller qu’on créera de la valeur.”
Se référant à Marc halévy, elle estime que les Achats ont besoin
de “mutants noétiques”, l’avant-garde de la société de
demain. Elle est la première à proposer ce nouveau profil du
manager Achats de demain en tant que “mutant noétique”.
Le terme peut faire sourire, mais la manière dont le prospectiviste
décrit son mutant concorde en bien des points avec
ce que nous avons développé tout au long de cet ouvrage.
Le mutant noétique d’halévy se caractérise, entre autres, par
sa capacité :
• à sortir des logiques binaires,
• à remplacer la logique du OU exclusif par des logiques du
ET inclusif,
• à manier des approches globales et holistiques,
• à allier à la fois rationalité et intuitivité sans s’y réduire,
• à sortir de toutes les architectures pyramidales et hiérarchiques,
• à privilégier les réseaux riches, souples, fluents,
• à se rire des logiques d’appropriation et de pouvoir, des
logiques d’accumulation et de compétition (23) .
22) Selon la terminologie proposée par Natacha Tréhan dans sa recherche “La fonction Achats de demain : esquisse d’une rétro-prospective”, à paraître dans
la revue Management et Avenir et dans les Cahiers de recherche du CERAG.
23) Marc halévy, Les mutants noétiques (janvier 2009).
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Les managers verront immédiatement en filigrane de cette
énumération certains des traits attribués à la génération Y -
celle qu’ils disent avoir tant de mal à manager, justement…
Mais demain, aux Achats comme ailleurs, c’est cette génération
qui constituera l’essentiel des troupes de l’entreprise.
Les meilleurs d’entre eux seront aux commandes et seront
probablement ceux que l’on considère aujourd’hui comme
en SYnThÈSe
En phase de transition, les fondamentaux de la fonction
Achats resteront le socle de sa légitimité et de sa liberté
d’action. Elle doit conquérir ses nouveaux mandats dans
l’entreprise étendue tout en assurant ses missions actuelles.
Pour construire ces mandats, elle doit dépasser la focalisation
sur la performance Achats en développant une approche
collaborative de la création de valeur, fondée sur
“ingérables”, parce qu’indépendants, autodéterminés et
échappant sans cesse aux cadres et aux cases. Ce ne
seront pas des managers mais des leaders, des enthousiastes
contagieux ayant l’intelligence des situations complexes
et sachant y trouver matière à créer du sens - pour
eux et pour les autres.
la confiance et l’investissement dans les relations avec les
acteurs de l’entreprise étendue.
Pour réussir cette transformation, elle doit s’ouvrir à de nouveaux
talents et développer de nouvelles compétences qui
lui permettront de mieux structurer et valoriser ses apports
stratégiques, managériaux et opérationnels.

COnCLuSIOn
accélération…
A l’issue de cette deuxième saison du Think Tank, nous
partageons le sentiment qu’il est urgent pour les dirigeants
Achats de s’emparer de la vision de la fonction Achats que
nous avons développée lors de nos travaux et de la traduire
en actes. La nécessité d’accélérer la transformation des
Achats est d’autant plus grande que l’entreprise elle-même
se transforme à un rythme sans précédent, principalement
sous l’effet de facteurs sociétaux et macro-économiques sur
lesquels elle n’a pas prise.
Tout le monde en est venu à admettre que les prochaines
années seront placées sous le signe de l’instabilité économique,
de la volatilité des prix et, même les plus optimistes
en conviennent, d’une croissance durablement en berne.
Dans cet environnement économique dégradé, il apparaît
clairement au niveau mondial que les tensions géopolitiques
vont s’exacerber concernant l’accès à des ressources que
nous avons voulu croire inépuisables, en premier lieu les
sources d’énergies primaires mais aussi les matières premières,
l’eau, les terres rares et les terres cultivables. C’est
dans ce contexte que les entreprises vont malgré tout devoir
continuer à acheter, produire, vendre et dégager des profits.
La fonction Achats devra accroître son impact et créer de la
valeur dans un modèle économique mondialisé qui peut-être
se délite mais dont la logique continuera à prévaloir dans les
cinq à dix prochaines années.
L’alternative devant laquelle se trouve la fonction Achats est
simple : soit elle continue à jouer la carte de réduction des
coûts, de la négociation des prix et de la compétition généralisée
et perd du terrain parce qu’il y aura de moins en
moins à gagner à ce jeu ; soit elle préempte le territoire neuf
de l’entreprise étendue et, en changeant la nature même de
sa contribution, s’en sort par le haut. Entre la perspective
d’une paupérisation probable de la fonction et son repositionnement
radical sur le développement de relations et de
collaborations à valeur ajoutée pour l’écosystème, il n’y a
pas vraiment à hésiter. Nous avons longuement exposé dans
cet ouvrage les multiples raisons pour lesquelles l’entreprise
étendue est l’échelle pertinente pour agir et construire ce
nouveau rôle. Certaines organisations Achats ont d’ores et
déjà acté ce changement de périmètre et y ont gagné une
nouvelle légitimité. Pour la plupart des directeurs Achats, la
réflexion et la transformation ne font que commencer.
73

74
A ce stade, il nous paraît essentiel d’insister sur un point qui
résume à lui seul l’ambition et la difficulté de cette transformation
: le concept d’entreprise étendue estompe les frontières
rassurantes qui jusqu’ici séparaient nettement l’interne de
l’externe. Ce faisant, il remet inévitablement en question les
statuts de clients internes, de fournisseurs et de ressources
externes qui sont les piliers actuels du discours Achats.
Les mots ne sont jamais neutres et ce n’est pas une question
secondaire que de savoir si cela a encore un sens de parler
de fonction Achats et d’acheteur dès lors que les fournisseurs
ne sont plus des acteurs externes et que le cœur du
métier de la fonction - ce qui lui permet de créer de la valeur
- devient le développement et le pilotage des relations dans
un écosystème ouvert. Il y a une dizaine d’années, devant
les enjeux croissants associés au management de l’information,
est apparu le Chief Information Officer (CIO) qui,
prenant le pas sur le directeur des systèmes d’information,
s’est imposé au niveau stratégique. Allons-nous assister à
un mouvement similaire au niveau des Achats ? Les enjeux
stratégiques et les évolutions de l’entreprise nous le laissent
penser. Allons-nous voir apparaître des Chief Relationship
Officers ? Des Value-in Developpers ? Seront-ils issus de
l’actuelle fonction Achats ? C’est à voir : les “grands” CIO
sont de moins en moins souvent issus de la fonction IT. Ce
qui n’est guère étonnant puisque le système d’information
est de plus en plus externalisé. Quelle que soit la terminologie
qui finira par s’imposer, elle reflètera un changement
organisationnel, une autre répartition des rôles et conduira
probablement au changement de nom de la fonction Achats
elle-même.
L’autre hypothèse à envisager nous projette plus avant
dans le futur. C’est l’autonomisation de tout ou partie de la
fonction Achats (que nous appelons ainsi faute de mieux)
sous forme d’entreprise indépendante dont le métier serait
le pilotage des relations et le développement des synergies
entre les contributeurs de l’entreprise étendue auquel elle
appartiendrait. Passant de fait à une position concurrentielle,
quel pourrait être son business-model ? Une telle organisation
pourrait-elle être rémunérée au résultat ? A la mise en
relation réussie ? A l’apport d’innovation ? Sur la base de
valeur créée pour chaque partie prenante ? Sur des critères
de renforcement global de l’entreprise étendue ? Comment
mesurer ces apports immatériels, les objectiver ? Autant de
questions qu’il serait passionnant d’explorer parce qu’elles
obligent à faire preuve de créativité, à se confronter à des
contradictions, à faire des allers-retours entre les réalités
d’aujourd’hui et une vision du monde de demain.
Pris par les contraintes et les exigences du quotidien, nous
ne voyons pas réellement à quel point, sous l’influence de
son environnement, l’entreprise est en train de changer.

Focalisés sur le court terme, nous négligeons les signes
pourtant nombreux du changement de paradigme sociétal
et économique en cours - un changement du cadre de
référence et du système de pensée dominant comme il s’en
produit tous les trois ou quatre siècles. Révolution noétique
pour halévy, troisième révolution industrielle pour Rifkin, fin
du modèle consumériste pour Stiegler, postmodernité pour
Maffesoli, transhumanisme pour Kurtzweil, avènement du
capitalisme cognitif pour Moulier-Boutang, d’une société
liquide pour Zygmunt Bauman… pour ne citer que des auteurs
occidentaux.
Aussi différentes que soient les visions de l’avenir que ces
auteurs développent, tous insistent sur l’accélération du
changement et son caractère inéluctable. Comme le dit
volontiers Michel Maffesoli, “personne n’y échappe et personne
n’y peut ‘mais’”. Et d’ajouter : “l’entreprise n’étant
pas exterritorialisée par rapport à la société, elle doit obligatoirement
être attentive à ce changement de paradigme ;
c’est un principe de réalité. […] L’entreprise ne peut pas
ne pas être de son temps ! Elle ne peut pas rester durablement
en dissonance avec la société (24) .” Tous se rejoignent
également sur trois points : le rôle central des technologies
24) Propos recueillis lors d’un entretien avec l’auteur, en octobre 2009.
relationnelles, l’effacement des limites institutionnelles, la
disparition du clivage de l’ère industrielle entre producteurs
et consommateurs. C’est une remise en question des fondamentaux
de l’institution entreprise telle que nous la pensons
encore mais qui, en s’ouvrant, évolue vers le modèle réticulaire
et collaboratif que nous avons décrit.
C’est dans cette entreprise là qu’il nous faut nous projeter et
continuer à inventer l’avenir de notre fonction, en gardant à
l’esprit que la fortune sourit aux audacieux et que, demain
plus encore qu’aujourd’hui, la prime de création de valeur ira
aux créatifs, pas aux imitateurs.
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reMerCIeMenTS
nous tenons à remercier les membres
actifs de notre Think Tank achats ayant
contribué aux travaux de cette deuxième
saison.
aLLIanz
Laurent Cochereau, Directeur Achats
areVa
Pierrette Moraux, DRh-Direction Achats
aVIVa
Sandrine Brun, Directrice Achats Europe
axa TeCh
jacques Puibaraud, Directeur des Achats
La Banque POSTaLe
Cyril Sciortino, Directeur des Achats
BIG fISh
Luc Mora, Associé
BuYIn
Cyril Pourrat, Senior Vice President
Procurement Excellence
CLuB MéDITerranée
fabienne Lecuyer, Directrice Achats
et Logistique Groupe
eDf
Pierre Schick, Directeur du Domaine
Achats Tertiaire Prestations
fehaP
Véronique Chasse,
Responsable projets Achats
GLOBaL PaCkaGInG PrOCureMenT
xavier Cassignol,
Directeur de l’Exploitation
GrOuPe LafaYeTTe
Patrice fortin,
Directeur Achats indirects
GSk eurOPe
Marcel Laubacher, Vice President
Global Sourcing & Procurement
MICheLIn
xavier huchard, Responsable Achats IT
MInISTÈre De La CuLTure
eT De La COMMunICaTIOn
Olivier fauconnier,
Responsable Ministériel des Achats
PIerre & VaCanCeS
Martin de neuville,
Directeur Achats Groupe
réSeau ferre De franCe (rff)
françois Meyer, Directeur des Achats
Didier Caramello, Responsable Achats
ThaLeS
Patrick quesnel,
Directeur de la Performance Achats

nous remercions également les invités
ayant permis d’enrichir la réflexion de
notre Think Tank par leur contribution à
l’un des thèmes de la saison 2.
aLLIanz
Patrick Delazzari, Responsable
du Département Opérations Transverses
BeTTer BuYInG COnCePTS
Tony Bocock, Directeur Associé
BOuYGueS TéLéCOM
Séverine Dubois, Responsable Achats
box et plateformes de services
CLuB MéDITerranée
Armelle Garczarek-Drillon,
Responsable Achats Support
DeSMa (Master de Management
Stratégique des achats,
Groupe Iae-Grenoble)
natacha Tréhan, Maître de Conférence
et Responsable du Master DESMA
eSC Grenoble - IrIMa
(Institut de recherche et d’Innovation
en Management des achats)
hughes Poissonnier, Directeur
de la recherche au sein de l’IRIMA
LOGICa BuSIneSS COnSuLTInG
emilie Vallet, Associée practice
Recherche & Développement
LOGICa
jean-Luc Mermoz, Directeur Général
ThaLeS reSearCh & TeChnOLOGY
Bernard Monnier, Responsable Achats
et Président du MMI
eT enfIn nOuS reMerCIOnS
eric Lenté, Manager et Cédric Ginestou,
Consultant au sein de la practice Achats
de Logica Business Consulting, pour leur
contribution à la préparation et l’animation
du Think Tank, Léa Dijoux, pour sa collaboration
précieuse dans la rédaction de cet
ouvrage.
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auTeurS
BrunO CraCCO LeILa CarDOT-fahaS aLaIn PaGe-LeCuYer

BrunO CraCCO
Bruno cracco est Associé au sein de Logica Business
Consulting qui fait maintenant partie de CGI. Il codirige la
practice européenne de transformation et performance des
achats. Après une première expérience dans un bureau
d’étude automobile, il s’oriente dès 1996 vers le consulting.
Passant par CapGemini puis KPMG Consulting, il rejoint
la branche conseil de Logica en 2002. Il intervient auprès
de grands groupes internationaux, dans tous les secteurs
(industrie, transport, luxe, distribution, télécoms, services
financiers…) pour les accompagner dans la transformation
de leurs achats. Il participe activement à l’évolution de
l’écosystème achats européen, notamment en animant des
conférences et tables rondes sur le thème de l’évolution
des achats ainsi que le Think Tank Achats de Logica Business
Consulting.
LeILa CarDOT-fahaS
Leila Cardot-Fahas est Associée au sein de Logica Business
Consulting qui fait maintenant partie de CGI. Elle
codirige la practice européenne de transformation et performance
de la fonction Achats. Après 5 ans passés dans
l’industrie, notamment en qualité d’acheteuse pour un des
équipementiers majeurs de l’automobile, elle a embrassé
une carrière de consultant, d’abord au sein du cabinet
KPMG Consulting, puis a rejoint, en 2002, la branche
conseil du groupe Logica. Elle a piloté depuis, de nombreux
projets internationaux de transformation de la fonction
Achats et de réduction des coûts, dans les secteurs
de l’industrie aéronautique, pharmaceutique, l’énergie, la
banque, l’assurance, le tourisme… elle anime également
des conférences et tables rondes sur le pilotage de la performance
et la professionnalisation des acheteurs et anime
le Think Tank Achats de Logica Business Consulting.
aLaIn PaGe-LeCuYer
Alain Page-Lecuyer, docteur en chimie, a fait toute sa carrière
dans la fonction “Achats”.
Il débute, en 1974, à la direction des achats de Renault,
puis occupe des postes de directeur des achats chez SMT
Goupil, Sagem et Alcatel où il était en charge des achats
indirects au niveau du groupe.
En 2002, il rejoint le groupe Axa pour mettre en place la
fonction Achats, couvrant les dépenses de frais généraux,
d’informatique et le domaine assurantiel dans un contexte
international.
Il co-anime aujourd’hui le Think Tank Achats de Logica Business
Consulting.
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Cet ouvrage s’adresse aux Directeurs Achats et à l’ensemble de l’écosystème de la fonction Achats, Directeurs généraux, Directeurs
métiers, Fournisseurs…
Il repose sur les travaux conduits pendant un an au sein d’un Think Tank Achats ayant réuni près de 20 dirigeants achats de grands
groupes internationaux et d’administrations.
La vocation de ce Think Tank consiste à mener, dans la durée, une réflexion innovante afin de définir une ambition et une trajectoire
nouvelle pour la fonction achats. Les travaux sont issus d’un travail collaboratif entre des dirigeants achats, des partenaires des
autres fonctions de l’entreprise (DAF, DSI, DRH, Recherche et Développement) et des académiques.
Notre ambition, apporter un regard décalé et contribuer à créer un nouvel élan dans la construction de la fonction Achats de
demain.
Logica Business Consulting fait désormais partie du Groupe CGI inc, 6 e plus importante entreprise indépendante de services
en technologies de l’information et en gestion des processus d’affaires au monde.
Cabinet de conseil en transformation et innovation, Logica Business Consulting est le partenaire privilégié de la croissance
profitable et durable de l’entreprise. Chaque jour, nos 3 500 consultants mobilisent leur savoir-faire et leur créativité pour accompagner
nos clients dans la réussite de leurs projets. Une relation pérenne, ouverte, nourrie d’échanges permanents avec
les décideurs permet à Logica Business Consulting de définir et mettre en œuvre des trajectoires de progrès uniques et innovantes.
Parce que chaque client est différent, parce que chaque équipe managériale perçoit les changements à sa manière,
Logica Business Consulting a créé des méthodes de travail spécifiques permettant à chacun de prendre part au management
de sa transformation. Nos consultants associent une combinaison unique d’expertises sectorielles, fonctionnelles et technologiques,
garante d’amélioration de performance démontrable et de retour sur investissement rapide. Les plus grandes sociétés,
font confiance à Logica Business Consulting, l’un des leaders du Conseil en France et en Europe.
Pour plus d’informations : www.logica.fr/conseil
Adresse mail : thinktankachats.fr@logica.com
Logica Business Consulting
fait maintenant partie de CGI.