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Livre-objet du 40e anniversaire - Gymnase du Soir

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« Un jeu de l’oie… »<br />

D’abord, il y a des dates: 1958, 1985, 2005… On peut jouer avec elles, faire des calculs, des sommes,<br />

des différences, des multiples qui s’égrènent comme une langue ou simplement un jeu de l’oie avec ses<br />

étapes, ses chutes, ses allers et ses retours. Bien sûr, on peut être tenté de les mélanger et d’en extraire un<br />

sens. Et, tel un astrologue indien, officiant à trouver la date et l’heure à laquelle un mariage doit être<br />

célébré, jongler avec tous ces nombres et tenter, ainsi, d’influer sur un destin. Ou encore tel un paysan<br />

berbère s’attacher à évoquer le plus souvent possible le chiffre 5 ou un multiple de 5, afin de se protéger<br />

<strong>du</strong> mauvais œil et favoriser la chance. Puisqu’il s’agit bien ici de chance et d’un passage qui s’est ouvert.<br />

Ensuite, il y a eu la confrontation à la norme. Il fallait bien accepter une certaine normalité, une certaine<br />

forme <strong>du</strong> savoir qui permettait d’être reconnu et d’exister. Alors, oui, j’ai appris à jouer, à définir des<br />

stratégies face aux règles; car, de fait, il y a aussi eu, entre toutes ces dates, mai 68 et l’impression d’être<br />

à cheval sur une révolte devenant adolescent et a<strong>du</strong>lte dans les relents d’une révolution avortée. C’est<br />

pourquoi il est aussi question d’une génération per<strong>du</strong>e dans le retour dépressif à la norme, où les drogues<br />

et le sexe sont devenus dangereux et insatisfaisants et les voyages ont été organisés.<br />

Le <strong>Gymnase</strong> <strong>du</strong> <strong>Soir</strong> s’inscrit alors, pour moi, dans cet enjeu-là, mais il a été également l’occasion de<br />

rencontres avec des personnes qui ont bafouillé en chemin, qui n’ont pas suivi la bonne route, mais des<br />

voies de traverse. Je pouvais les rencontrer, bien qu’elles fussent si différentes et même parfois opposées,<br />

car il y avait en elles une brisure, quelque chose qui n’était pas prévu, pas dessiné comme il faut, qui faisait<br />

que, justement, je pouvais me sentir proche d’elles. Moi, le mauvais bourgeois qui avait dérapé en chemin.<br />

Moi, le mauvais prolo qui était incapable de l’être vraiment. Et peut-être moi, aussi, le mauvais gymnasien<br />

<strong>du</strong> soir qui ne correspondait pas à l’image d’Epinal qu’on a de lui – travailleur, méritant, admirable. Alors<br />

c’est vrai, je m’y suis conformé et je suis encore bizarrement reconnaissant d’avoir pu y être accepté à l’égal<br />

des autres.<br />

Maintenant, je suis convaincu que je poursuis toujours, dans mon travail de psychothérapeute avec des<br />

migrants, le même questionnement autour des normes et <strong>du</strong> savoir en tentant de trouver, tel un enfant<br />

vagabond, des espaces de jeu. En effet, je suis amené à rencontrer des personnes dont on nie le savoir,<br />

dès lors qu’elles s’expriment dans une langue étrangère et en dehors des normes d’élocution reconnues par<br />

notre société. Des femmes et des hommes considérés comme de mauvais pauvres, de mauvais étrangers,<br />

de mauvais requérants d’asile, puisque, finalement, ils ne veulent pas correspondre à l’image que l’on a<br />

d’eux. Mon travail de psychothérapeute, c’est alors de leur offrir un lieu où ils peuvent être reconnus et<br />

d’imaginer avec eux comment faire face aux normes extérieures tout en se créant et en se conservant un<br />

espace de liberté.<br />

Comme quoi, on repasse toujours par la case départ en espérant éviter la prison et finir par être, d’une<br />

manière ou d’une autre, gagnant et un peu plus libre.<br />

Davantage potache que fort-en-thème, acteur contrarié et<br />

bibliothécaire improbable, devenu psychologue sans renier sa foi<br />

en la liberté.<br />

Philippe CONNE<br />

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