Livre-objet du 40e anniversaire - Gymnase du Soir

« Il eût suffi de peu pour que ma fille ne fût sur les bancs de l’Université avant moi »
Dès 1953, l’impossibilité de conduire des études supérieures me tenaillait. Mes parents n’en voyaient pas
l’utilité pour une fille. Les cours de l’Université populaire nourrirent quelques années mon appétit de savoir:
philosophie, littérature, histoire et histoire de l’art, architecture ne firent qu’aiguiser une envie d’instruction
supérieure. Secrétaire le jour, puisqu’il fallait bien gagner ma vie, je passais mes soirées à meubler mon
esprit. Après l’Exposition nationale de 1964 à Lausanne, à laquelle je collaborais plusieurs années en
qualité de secrétaire générale de la Voie suisse en charge de la préparation des documents destinés aux
Archives fédérales, je m’inscrivis comme auditrice en Faculté des Lettres. N’étant pas autorisée à participer
aux séminaires et aux examens bien sûr, je souffris vivement de marginalité. Jusqu’où va le masochisme!
C’est en automne 1965 que s’ouvrirent les portes du paradis du vrai savoir: je fus admise au Gymnase du
Soir avec ma première fille qui profita de son enseignement les deux derniers mois de son existence intrautérine.
Ainsi, je suivis pendant deux ans et demi les cours dispensés au Collège de l’Elysée et au Gymnase
de La Cité pour la dissection des petites souris. Grâce à l’enseignement de professeurs dévoués qui, pour
certains, deviendront plus tard Président et Directeur de l’Institution, l’acquisition des connaissances exigées
pour l’entrée à l’Université en qualité d’étudiante à part entière me fut possible.
Les aléas de la vie m’entraînèrent six ans à Rome et Milan, puis quatre ans à Montreux et enfin deux ans
à Caracas après un semestre en faculté. Remettre sur le métier… Il eût suffi de peu pour que la petite fille
née le 31 décembre 1965 ne fût sur les bancs de l’Université avant moi. Ouf! J’ai juste passé le dernier
examen de Droit international public en juillet 1984, dix-neuf ans après l’ouverture du Gymnase du Soir.
Nommée Préfet-substitut du district de Lausanne deux mois plus tard, je ne fis pas preuve d’obéissance
filiale, car mon père m’avait conseillé à l’âge de vingt ans: «surtout efforce-toi de ne pas aller à la
Préfecture». Avant de faire acte de candidature à ce poste, je m’enquis du cahier des charges. Référezvous
à la loi sur les Préfets, me fut-il répondu. La liste qui y figure n’est pas exhaustive: outre l’application
de multiples lois, je ne vous fais pas grâce de l’assermentation des pasteurs, des autorités communales et
de leur contrôle, de la présidence de la Commission de conciliation en matière des baux à loyer, de celle
de la Commission des examens notariaux et de la visite des vingt-six cabinets de notaires, des bons offices,
avec, en tant que Chef de l’Etat-major régional de défense civile, la responsabilité générale de l’ordre et
de la tranquillité dans le district.
Vous voyez une femme en 1984 exercer ces charges? En plus, on ne savait pas où placer son mari dans
les manifestations, le protocole ne l’avait pas prévu. C’est du «full time» me dit le Conseiller d’Etat lors de
l’entretien d’un hypothétique engagement. Etes-vous sûre de persévérer? Vous êtes «over competent» en
parlant cinq langues. J’y suis restée quinze ans.
Enfin les hasards de la vie ont bien voulu que je participe encore aux destinées du Gymnase du Soir.
Représentante de l’Etat en son Comité directeur, c’est avec émerveillement que je vois grandir cette jeune
Institution de quarante ans.
Secrétaire diplômée dans les années soixante, magistrate vingt ans
plus tard; simultanément, épouse et mère.
Dolly DUC
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