Livre-objet du 40e anniversaire - Gymnase du Soir
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Raymonde MORTARA-BESSERO<br />
Passionnée d’histoire et d’histoire de l’art, range sa planche de<br />
dessinatrice en bâtiment pour conjuguer exigences des études aux<br />
abnégations de mère de famille.<br />
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« Si l’on aime ce que l’on fait, tout devient possible »<br />
Lorsque j’étais en apprentissage de dessinatrice en bâtiment, mon jeune patron, tout frais émoulu de l’EPFL,<br />
prenait régulièrement en stage des étudiants en architecture. Je me souviens que l’un deux, ancien ébéniste,<br />
faisait l’admiration des membres de l’atelier, car il avait fait un gymnase <strong>du</strong> soir. Ils en parlaient comme s’il<br />
avait accompli l’exploit <strong>du</strong> siècle!<br />
Quelques années plus tard, alors que j’en avais assez de tirer des traits toute la journée, le nez collé à ma<br />
planche à dessin, un cousin bienveillant me suggéra de reprendre des études. De prime abord, je trouvai<br />
la proposition incongrue: moi, des études? Je me sentais incapable de relever un tel défi. Puis l’idée fit son<br />
chemin.<br />
Encouragée par celui qui sera mon futur mari, je commençai le <strong>Gymnase</strong> <strong>du</strong> <strong>Soir</strong>, pratiquement en même<br />
temps que j’appris la nouvelle d’une première grossesse. Mieux valait être deux pour surmonter cette<br />
épreuve! Mais il n’y eut pas d’épreuve. Retourner sur les bancs d’école après sept ans de métro-boulot-dodo<br />
fut pour moi un enchantement et une redécouverte. Même si notre professeur d’histoire débordait souvent<br />
<strong>du</strong> sujet initial, ses cours étaient de véritables leçons de vie. Je (re)découvris aussi quelques classiques de<br />
la littérature française; je pus approfondir mes connaissances de la langue italienne – la langue maternelle<br />
de mon mari – ou encore me prendre la tête dans les cours de philo. Ah! la philosophie! J’en garde un<br />
souvenir ému. C’est en effet lors de l’un de ces cours, un soir froid de février, <strong>du</strong>rant lequel, je l’avoue, je<br />
m’ennuyais un peu en fixant nonchalamment la jaquette de la Critique de la raison pure, que j’eus une<br />
illumination: j’avais trouvé le nom de mon fils à naître. Il s’appellera Emmanuel.<br />
Pendant la première année de gymnase, je continuai de travailler à quatre-vingts pour cent dans une usine<br />
de meubles. J’y élaborais presque machinalement des plans pour les coupeurs de cuir et les couturières.<br />
Durant la pause estivale, je profitai de l’occasion – si je puis dire – pour accoucher. Je repris en septembre<br />
le chemin de la Mercerie, fraîche et dispose, enfin presque… En mars de l’année suivante, je passai avec<br />
succès mon examen d’entrée à la Faculté des Lettres et décidai dans la foulée de faire un deuxième enfant.<br />
Par la suite, ma belle assurance, acquise grâce à l’expérience <strong>du</strong> <strong>Gymnase</strong> <strong>du</strong> <strong>Soir</strong>, s’effrita quelque peu.<br />
Comment allais-je faire pour mener à bien mes études avec deux enfants sur les bras! Je n’hésitai plus au<br />
moment où le rectorat me signifia que mon examen risquerait à terme, au gré des incessants changements<br />
de règlement, d’être considéré comme nul et non avenu. Aujourd’hui, je cours toute la journée. Entre l’école<br />
de mon fils, la garderie de ma fille, leurs activités extra-scolaires, la gestion de la maison et les bancs de<br />
l’Université, j’ai un emploi <strong>du</strong> temps quasi-ministériel! Mais au moins je ne m’ennuie jamais. Souvent les<br />
jeunes étudiantes me demandent comment je fais pour gérer tout cela. C’est une question avant tout<br />
d’organisation, et moi, lorsque je peux participer à un cours sur la sculpture de Verrocchio ou sur les<br />
pérégrinations d’un Ulrich Bräker, j’oublie tout! Le <strong>Gymnase</strong> <strong>du</strong> <strong>Soir</strong> a changé radicalement ma vie; il m’a<br />
apporté, outre le plaisir d’apprendre, une réelle confiance en moi, la force d’oser entreprendre et la<br />
conviction que si l’on aime ce que l’on fait tout devient possible.