Livre-objet du 40e anniversaire - Gymnase du Soir
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Sacha ROULIN<br />
Après neuf ans de travail administratif et comptable en qualité<br />
d’employé de commerce, le déclic soudain, inatten<strong>du</strong>: faire des études<br />
universitaires.<br />
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« L’enjeu est énorme, le trac est immense, les nuits sont agitées »<br />
Octobre 2000, un mardi soir. Un bâtiment surplombant une partie de la ville. Devant, une grille, et des<br />
étudiants qui s’agitent. Dedans, une salle comble pour un cours d’histoire. Pas un bruit, le professeur parle,<br />
les Etats-Unis d’après-guerre vont nous occuper quelques mois. A l’école, je ne me souviens pas de cours<br />
d’histoire, peut-être n’en ai-je jamais suivi. Peu importe, je bois ses paroles, prends cinq pages de notes et<br />
frôle la tendinite. Puis mercredi, jeudi, Molière, Kate Chopin, Platon, mon esprit virevolte entre<br />
questionnement et émerveillement, une vocation est née: la soif de connaissances. Je refuse toute sortie le<br />
week-end, complète mes notes le dimanche, tente de déchiffrer cet anglais qui me résiste, plus encore que<br />
la méthode cartésienne. Alors qu’avant je n’avais pas pour habitude de beaucoup lire, j’y consacre soudain<br />
tout mon temps libre. Je dévore Les Mains sales et apprends à rédiger des dissertations. Le soir, après le<br />
travail au bureau, quand je me dirige vers La Cité, c’est avec un empressement digne d’un début de<br />
journée: les vers anciens m’attendent de toute leur nouveauté, la science des philosophes va m’éclairer en<br />
fin de soirée et une partie de la nuit peut-être. Si des doutes font parfois surface, ils sont vite repoussés par<br />
cette soif de connaître et de réussir et par les encouragements de certains: le gymnase c’est aussi un lieu<br />
de rencontres exceptionnel. Dès lors, une certitude s’impose, j’irai jusqu’au bout: les examens. L’enjeu est<br />
énorme, le trac est immense, les nuits sont agitées. J’en viens même à répéter les poèmes romantiques<br />
anglais à voix haute au milieu des arbres, des fois que ceux-ci me souffleraient l’inspiration décisive. Trêve<br />
de suspense: j’ai réussi mon préalable et gagné le droit d’étudier à l’Université. Le moment a été unique,<br />
je le savoure encore.<br />
A l’Université, cette expérience me poursuit toujours; si je suis entré au <strong>Gymnase</strong> <strong>du</strong> <strong>Soir</strong> avec la conviction<br />
d’étudier la psychologie, les cours <strong>du</strong> mardi en fin de soirée m’ont transmis une nouvelle passion: la<br />
philosophie. Depuis trois ans, la psychologie et la philosophie occupent donc mes journées avec le même<br />
intérêt. Tout a changé. Comment en serait-il autrement, quand on passe d’employé à étudiant? Fini les<br />
sorties en voiture, les restaurants; au lieu de cela, des sandwichs, des pâtes et un abonnement de train. J’ai<br />
quand même appris à faire <strong>du</strong> pain, ça rend les repas moins tristes. Soudain, le statut social change, peutêtre<br />
même un peu l’identité. Pourtant le privilège est énorme; à l’UNIL, j’ai découvert un monde de savoirs<br />
et de rencontres, de petits plaisirs quotidiens. J’ai appris les rudiments <strong>du</strong> grec ancien et je me suis frotté à<br />
quelques grands philosophes. Plus précieux encore, les gens qui partagent mon nouveau chemin, mes<br />
penseurs <strong>du</strong> quotidien. Et puis, j’ai acquis une nouvelle certitude: j’irai jusqu’au bout. Thérapeute pour<br />
enfants, enseignant de philosophie, chercheur à l’Université, puis une autre formation en Lettres. Ou peutêtre<br />
juste un seul de ces projets… Après tout, pour moi, la plus belle chose c’est encore ce jour d’octobre,<br />
en haut sur cette colline, dans cette salle comble. J’ai choisi le pouvoir thérapeutique de l’imaginaire comme<br />
travail de mémoire; je pense avoir appris qu’imaginer un nouveau monde n’était pas une entreprise<br />
utopique, mais bien plutôt le début d’une aventure concrète et parfois merveilleuse.