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El Watan<br />
«En même temps, je me dis : pas de fuite,<br />
pas de recul. Quel visage prendrai-je<br />
alors ? De quelle créature inconnue, ou<br />
connue, mais dont je ne veux être ni la<br />
complice ni la copie ? Mon visage est tout<br />
tourné vers toi et non pas ailleurs. Me<br />
voici debout au bord de ce monde.»<br />
PAR BOUZIANE BEN ACHOUR<br />
Avec ses pièces jouées en<br />
arabe dialectal, Kateb Yacine<br />
propose une forme<br />
d’expression artistique qui<br />
répond aux besoins de son<br />
époque. Perçue au départ<br />
comme un spectacle de<br />
proximité, la représentation<br />
théâtrale chez l’auteur de La Guerre<br />
de deux mille ans est d’abord une<br />
forme de traduction du vécu des petites<br />
gens. Ecrire dans cette dramaturgie<br />
nouvelle avec ses caractères distinctifs,<br />
c’est dire et se dire, en direct et en<br />
toute franchise. Ecrire, c’est aussi dénoncer,<br />
avec les mots que tout le monde<br />
comprend, une société hypocrite<br />
trop longtemps restée otage des mythes<br />
figés en ce pays d’oralité.<br />
Ouverte sur la modernité dans ses aspects<br />
techniques, la pièce de théâtre<br />
katébienne reste autochtone dans ses<br />
sujets et sa langue. Ce théâtre confluent<br />
se fonde sur deux identités : l’une puisée<br />
directement de l’humus local, et<br />
l’autre impliquée dans l’expression artistique<br />
de son temps. A ces deux grandes<br />
sources, s’ajoute l’enracinement<br />
quasi naturel dans le monde de l’immédiat,<br />
le quotidien dans ses rouages<br />
sociaux et ses préoccupations. Avec<br />
Kateb Yacine, on est dans un théâtrefresque<br />
qui reflète la période nouvelle<br />
dans ses contraintes, ses visages affligeants<br />
et ses aspirations renouvelées.<br />
Le masque change de fonction et de<br />
définition. Il est sur un autre registre<br />
d’approche, avec une autre tension<br />
dramatique gorgée d’idéologie sociale.<br />
Cette photographie du réel ne fait pas<br />
dans l’embellissement mais, bel et<br />
bien, dans la remise en cause de la pensée<br />
préfabriquée.<br />
Ecrites et montées dans une période<br />
probablement charnière dans le parcours<br />
du poète-écrivain, les pièces de<br />
théâtre données en arabe algérien dans<br />
la décennie 1970 constituent indéniablement<br />
le point de départ d’une autre<br />
aventure intellectuelle, d’un nouveau<br />
rapport à l’art et au théâtre. Ce style<br />
propre sied bien à la mentalité de l’écrivain<br />
qui a toujours opté pour un art<br />
Samedi 29 octobre 2011 - 14<br />
ARTS LETTRES &KATEB YACINE DRAMATURGE DES HUMBLES<br />
FRONTON<br />
How many times ?<br />
PAR AMEZIANE FERHANI<br />
La brise d’automne vient me rappeler la chanson de Bob<br />
Dylan, Blowin’ in the wind, que je chantais au lycée avec<br />
mon confrère Omar Kharoum, alors fringant défenseur<br />
du RC Kouba. Ce petit chef-d’œuvre d’une génération<br />
égrenait une série de questions dont les réponses<br />
devaient être «soufflées dans le vent», comme l’affirme<br />
son titre. Celle qui nous emballait le plus était la<br />
suivante : «How many times must a man look up before<br />
he can see the sky ?» (Combien de fois un homme doit-il<br />
regarder en l'air avant de voir le ciel ?). L’ironique poésie<br />
du vers n’avait pas autant d’attrait à nos yeux que ce<br />
seul «how many times» sur lequel semblait insister la<br />
voix nasillarde du chanteur.<br />
En vérité, ce ne ce sont pas les vents de la saison qui<br />
balaient ces souvenirs vers notre mémoire mais bien<br />
notre dernière chronique où il était question, entre<br />
autres, de la place dédiée à Alger au révolutionnaire<br />
mexicain, Emiliano Zapata. How many times faut-il dans<br />
notre bonne ville pour construire un petit monument de<br />
marbre avec bassin et jets d’eau, l’inaugurer en grande<br />
pompe avec de hauts responsables de l’Etat et<br />
l’ambassadeur du Mexique, dévoiler le buste altier du<br />
héros de l’Amérique centrale, puis, le lendemain ou<br />
presque, démonter tout cela, comme si de rien n’était ?<br />
Nous le savons maintenant : il faut juste le temps<br />
d’écrire une chronique hebdomadaire !<br />
Et how many time s’est écoulé depuis le décès de Kateb<br />
Yacine ? Depuis hier, 22 ans, soit une jeunesse d’homme<br />
quand la majorité de nos jeunes ne l’a pas lu et sans<br />
doute ignore jusqu’à son existence. Vrai, il ne se lit pas<br />
facilement. Mais dans le lycée précité, à la fin des<br />
années soixante, en classe de troisième (auj. 4e AM), on<br />
étudiait Nedjma durant un trimestre entier, y compris en<br />
cours croisés avec le professeur d’histoire pour aborder<br />
les événements du 8 Mai 1945 et mieux comprendre les<br />
soubassements de ce roman météore. Que devient donc<br />
le fameux programme d’introduction de lectures<br />
d’œuvres littéraires ou autres dans l’éducation<br />
nationale ? Annoncé, comme la place Zapata il y a deux<br />
ans, il en serait encore aux discussions sur le choix des<br />
œuvres algériennes et universelles à programmer. How<br />
many time faut-il pour dresser cette liste ? Trois, quatre,<br />
cinq ans ou le temps d’oublier cette magnifique<br />
mesure ?<br />
En attendant, vous trouverez ici trois approches de<br />
l’œuvre de Kateb Yacine : une analyse rétrospective de<br />
son théâtre, un inventaire critique des films qui lui ont<br />
été consacrés et une étonnante lecture<br />
cinématographique de Nedjma. En attendant aussi,<br />
après inspection citoyenne du chantier Zapata, sachez<br />
que les travaux avancent de nuit comme de jour pour<br />
remplacer le socle ridicule placé auparavant. Mon<br />
confrère, Nadir Iddir, s’inquiétait à juste titre de ce<br />
gaspillage qui dépasse cependant la question financière.<br />
Le mauvais goût et la laideur ont en effet un coût<br />
astronomique.<br />
ZESTE D'ÉCRITURE<br />
Un théâtre indigné<br />
MAIS ENCORE...<br />
DRAMAT<br />
Près d’un million de<br />
spectateurs en quelques<br />
années. Un record inégalé !<br />
d’intervention prêt à servir l’idéal de<br />
vérité, un art de changement qui<br />
s’adresse prioritairement à une société<br />
souvent nourrie à l’analphabétisme, au<br />
rigorisme de façade et aux interdits<br />
suppléés par les diktats des pouvoirs de<br />
l’époque.<br />
Portées par la rage d’appuyer sur l’urgence<br />
de témoigner, ces épopées théâtrales<br />
sont animées par des héros modestes<br />
qui font une lecture, sans complaisance,<br />
de leur société en y versant<br />
la fraîcheur et aussi la fureur de leur<br />
temps actuel, contenant le plus possible<br />
les ferments de changements révolutionnaires.<br />
C’est un théâtre du parti<br />
pris et de la critique sociale qui bouscule<br />
sans ménagement les versions<br />
édulcorées du théâtre en boîte ou en<br />
circuit fermé. Contre celui-ci, Kateb<br />
Yacine clame son désaccord et parle<br />
avec colère de tous ceux qui ont trahi le<br />
pays de Syphax, Massinissa et de<br />
l’Emir Abdelkader. L’humour n’est jamais<br />
absent dans ces œuvres où l’intermède<br />
est, à chaque fois, possible et nécessaire<br />
pour faire plus ample connaissance<br />
avec le public. Passant régulièrement<br />
par le philtre du burlesque, l’ironie<br />
subtile et piquante est largement<br />
convoquée.<br />
Suite page 15<br />
■ <strong>À</strong> L’AFFICHE Suite Kateb Yacine : Un théâtre indigné 15<br />
■ <strong>À</strong> LA VOLÉE Dib/Livres en Islam/Comte de Bouderbala/Loi de Finances/Statue de la Liberté... 16<br />
■ <strong>À</strong> L’AFFICHE Kateb Yacine : Le «miracle Nedjma» 17<br />
■ Kateb Yacine : De l'écrit à l'écran 18<br />
■ <strong>À</strong> LA PAGE Parution : Gide ou la tentation nomade/ Abécédarius 19<br />
Mohammed Dib<br />
Le Sommeil d’Eve Pour écrire à Arts & Lettres, bienvenue sur notre adresse email : arts-lettres@elwatan.com<br />
PHOTO : D. R. ŒUVRE DE MUSTAPHA BOUTADJINE (DÉTAIL)