02.07.2013 Views

MASSACRE À HUIS CLOS

MASSACRE À HUIS CLOS

MASSACRE À HUIS CLOS

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

KATEB ATEB YYACINE<br />

DE L’ÉCRIT <strong>À</strong> L’ÉCRAN<br />

Par Hamid Nacer Khodja<br />

Un genre cinématographique nouveau est apparu<br />

en Algérie depuis un quart de siècle, le<br />

film documentaire consacré (et consacrant,<br />

nous y reviendrons !) les écrivains algériens.<br />

A tout seigneur tout honneur : le plus célèbre<br />

de nos auteurs (et le moins lu, hélas, car préjugé difficile<br />

par la doxa), à savoir Kateb Yacine (1929-1989),<br />

a ouvert la voie. Par commodité, nous arrêtons provisoirement<br />

le bilan des documentaires le concernant<br />

en distinguant deux parties : les portraits, sortis du vivant<br />

de Kateb et où il intervient en tant qu’acteur, et le<br />

reste des films, essentiellement des témoignages.<br />

Le premier documentaire est de Dominique Colonna.<br />

Diffusé en 1985 dans la série Racines par TF1, il illustre<br />

une œuvre-vie traversée comme un révolutionnaire<br />

(ou plutôt un révolté perpétuel), sur fond de<br />

contexte historique précis : le 8 Mai 1945, la guerre<br />

d’indépendance, le postcolonial. Il insiste sur le passage<br />

de Kateb à Sidi Bel Abbès, de l’homme et des<br />

femmes qu’il a tant défendus et aimés, sans compter<br />

la reprise des pièces en arabe dialectal jouées à l’époque<br />

aux travailleurs émigrés de Paris et de sa banlieue.<br />

S’en suit Kateb Yacine, l’amour et la révolution<br />

(1989, 60’), de Kamel Dehane, compatriote installé à<br />

Bruxelles. C’est une production algéro-belge (Entreprise<br />

nationale de production audiovisuelle et Centre<br />

belge de l’audiovisuel). Renfermant, comme le précédent,<br />

un long entretien, ce film est le plus connu des<br />

documentaires sur l’écrivain, car le seul, à notre<br />

connaissance, à avoir été diffusé par la télévision algérienne,<br />

dans les salles commerciales de Paris – rareté<br />

pour un court métrage algérien – et dans d’autres<br />

pays. On voit Kateb converser simplement de sa vie,<br />

de son œuvre, de ses idées, de sa famille que l’on<br />

aperçoit dans un film de cinéma direct habité de belle<br />

poésie. Effacé, n’ayant presque pas de diction, on remarque<br />

vite le déphasage du parler de l’homme par<br />

rapport à son lyrisme écrit. Nous vient alors en mémoire<br />

cette parole du président Boumediene à l’un de<br />

ses ministres pour la rapporter à l’écrivain : «Dites à<br />

Kateb d’écrire mais de ne pas parler.» D’évidence,<br />

l’à-propos du raïs n’avait rien d’une appréciation<br />

mais découlait des déclarations intempestives de<br />

l’écrivain !<br />

Kateb Yacine, le rebelle amoureux est un court métrage<br />

belge de Joseph Lecoq (RTBF, 1995, 43’). Il est<br />

constitué également d’un long entretien avec l’écrivain<br />

qui évoque sa figure littéraire, particulièrement<br />

l’articulation de son œuvre avec sa vie sur fond d’un<br />

pays se réalisant dans la douleur. Diffusé en Belgique<br />

et en France mais non en Algérie, le film révèle un<br />

écrivain qui se veut aussi un intellectuel, confusion<br />

sciemment entretenue sous nos cieux. Paroles contre<br />

l’oubli, de Hadj Mohamed Fitas (filmé en 1989, diffusé<br />

en 1999, 14’) est un film vidéo constituant la dernière<br />

intervention publique de l’écrivain à la cinémathèque<br />

d’Oran en juillet 1989 (il mourra trois mois<br />

plus tard). Il y répond aux questions des spectateurs<br />

suite à la projection du film de Dehane. Iconoclaste et<br />

provocateur comme à l’accoutumée, Kateb n’élude<br />

aucune interrogation et évoque son ami M’hamed Issiakhem,<br />

la «langue de plâtre» de la télévision algérienne<br />

et l’avenir de la femme auquel il croit ardemment.<br />

Il assène quelques vérités amères à ceux qui ne<br />

veulent pas entendre ses cris. Le poète en trois langues,<br />

du Français Stéphane Gatti (2001,55’) est une<br />

coproduction parisienne (La Parole errante, CNC et<br />

Bibliothèque nationale de France). Non diffusé en<br />

Algérie mais sur FR 3 (France 3, auj.), dans la célèbre<br />

série du défunt Bernard Rapp, Un siècle d’écrivains,<br />

il donne à voir essentiellement un écrivain en politique.<br />

Se succèdent les déclarations les plus lucides<br />

El Watan - Arts & Lettres - Samedi 29 octobre 2011 - 18<br />

Un génie en projection<br />

Un inventaire précis et passionnant des films consacrés<br />

à la vie et l’œuvre de l’écrivain. Et des souhaits…<br />

Nous vient en<br />

mémoire cette<br />

parole de<br />

Boumediène à l’un<br />

de ses ministres :<br />

«Dites à Kateb<br />

d’écrire mais de<br />

ne pas parler.»<br />

comme les plus inexactes (l’étymologie des mots<br />

«berbère», «chaoui» et «kabyle», par exemple), sur<br />

les traces et substrats culturels de l’Algérie dont<br />

l’amazighité qui a obnubilé l’auteur, particulièrement<br />

dans son théâtre joué en arabe dialectal. Les propos<br />

fusent, les phrases chantent, l’histoire est bousculée,<br />

l’homme est demeuré d’une belle obstination quant<br />

aux questions lancinantes de langues et d’identité. Le<br />

film présente une fin émouvante : la tombe de Kateb<br />

au cimetière d’El Alia (Alger) avec un Matoub Lounès<br />

venu se recueillir en béquilles, grièvement blessé<br />

après les évènements d’octobre 1988. Kateb retrace<br />

aussi son itinéraire autobiographique, lui qui l’a pratiqué<br />

en autofiction dans son œuvre romanesque. D’où<br />

l’intérêt additionnel de ses dits aux nombreuses résonances<br />

dans ses textes et déclarations médiatiques, et<br />

l’étude du passage ou du transfert de l’écrit à l’écran.<br />

A la mort de l’écrivain, Jean-Pierre Lledo filme en<br />

vidéo son enterrement mais l’œuvre est diffusée uniquement<br />

en cercle privé. Ne vont plus suivre que des<br />

documentaires d’hommages et/ou des témoignages<br />

sur un passé à jamais révolu dont il ne sert plus d’attiser<br />

publiquement la nostalgie, «li fet met»... Les cinéastes<br />

portent aussi leur caméra plus au profit de la<br />

célébration d’un monument que d’une thèse. La troisième<br />

vie de Kateb Yacine de Brahim Hadj Slimane<br />

(2009, 26’, Keina Cinéma) passe au crible l’héritage<br />

de l’expérience de Kateb au Théâtre régional de<br />

Sidi Bel Abbès, depuis octobre 1978 à sa mort en octobre<br />

1989. Il donne notamment la parole à des membres<br />

de la troupe. Si par sa courte durée le film offre<br />

une nette impression d’inachevé et laisse sur sa soif le<br />

spectateur, les deux poèmes de Kateb chantés avec un<br />

oûd, en liminaire et au final, sont d’exquis instants.<br />

Axé aussi sur le théâtre katébien, tout en n’étant pas<br />

concomitant au premier, notons le film La patrie dans<br />

le cœur, de l’écrivain arabophone et chroniqueur francophone,<br />

Djillali Khellas, et du jeune réalisateur Nazim<br />

Souissi (2010, 77’, Elka Prod. et ministère de la<br />

Culture). L’écrivain a eu déjà à réaliser avec Kamel<br />

Djermoune un premier court métrage, Nedjma (1998,<br />

50’, ENTV), portant sur la géographie littérature du<br />

roman, centrée malheureusement sur un seul lieu,<br />

Annaba d’hier et d’aujourd’hui. Le documentaire, rehaussé<br />

par la présence de Kateb, de comédiens et comédiennes<br />

ayant suivi son aventure théâtrale en Algé-<br />

<strong>À</strong> L'AFFICHE<br />

PHOTO: D. R.<br />

rie ainsi que d’universitaires sans affinités électives,<br />

est tout à fait remarquable de pédagogie alerte et de<br />

témoignages crédibles sur une page méconnue de notre<br />

historiographie littéraire. On se doit d’espérer<br />

qu’il suscitera de nouveau un immense intérêt pour ce<br />

théâtre qui n’est, hélas, guère plus joué et on ne le déplorera<br />

jamais assez.<br />

Deux derniers films sont à retenir (bien que nous ne<br />

les ayons pas encore vus) : Kateb, l'homme des certitudes<br />

et poète des opprimés, d'Ali Fateh Ayadi, et Kateb<br />

Yacine l’Homme Libre, d'Omar Mokhtar Challal.<br />

Enfin, il est à souligner que Kateb, dramaturge à Sidi<br />

Bel Abbès, aurait fait filmer dans les années 1970 et<br />

au début de la décennie 1980 – c’est-à-dire au moment<br />

où il donnait ses pièces dans toute l’Algérie -<br />

quelques-unes de ses pièces telles Palestine trahie,<br />

La Guerre de 2000 ans ou Mohamed prends ta valise<br />

et ce, sur demandes respectives de la BBC, de la télévision<br />

algérienne et de la télévision canadienne. De<br />

même, il existerait une copie filmée du Cadavre encerclé,<br />

tournée en 1958 à Carthage, après sa première<br />

représentation mondiale, en juin 1958 à Bruxelles. A<br />

l’instar de la biographie de l’auteur qui renferme à ce<br />

jour des zones obscures, nous ne disposons pas assez<br />

d’informations sur cette production signalée dans la<br />

presse nationale mais non vue. N’oublions pas que,<br />

de son vivant, Kateb a amorcé sa légende puis s’est<br />

érigé en mythe sacralisé depuis. Ce théâtre filmé, s’il<br />

venait à être disponible, serait du plus haut intérêt littéraire<br />

et cinématographique, particulièrement sur le<br />

plan du son car l’œuvre de Kateb est paradoxalement<br />

très acoustique pour un homme peu bavard, tout en<br />

pratiquant le contact avec le public (à ses yeux le<br />

«peuple»).<br />

En définitive, qu’ajouter à cette courte présentation,<br />

sinon que nous aurions tellement aimé que les cinéastes<br />

questionnent Kateb Yacine sur son regard sur le<br />

cinéma, en tant que simple spectateur ou auteur. Celui<br />

qui ne mâchait pas ses mots pratiquait un véritable<br />

montage du langage n’obéissant pas uniquement aux<br />

méandres du formalisme de sa vie ou de son œuvre.<br />

Nous aurions souhaité aussi, au-delà des portraits et<br />

des témoignages, que les réalisateurs expriment leur<br />

esthétique du cinéma et de ses rapports problématiques<br />

avec l’écriture du texte littéraire katébien. Regrets<br />

éternels pour le premier vœu, ardent souhait<br />

pour le second. Au demeurant, regrettons encore que<br />

toute cette filmographie ne contribue pas à faire<br />

connaitre davantage l’écrivain car certains documentaires,<br />

constituant de véritables sources référentielles,<br />

demeurent indisponibles quand ils devraient être en<br />

vente libre sous supports cassettes ou cédéroms ou<br />

consultables dans les bibliothèques, universités et<br />

lieux culturels. H. N. K.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!