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MASSACRE À HUIS CLOS

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PARUTION ANDRÉ GIDE OU LA TENTATION NOMADE<br />

Refuges d’oasis<br />

Le prix Nobel de littérature 1947 avait<br />

souvent séjourné en Algérie.<br />

Il entretient une<br />

correspondance<br />

très suivie avec sa<br />

mère qu’il finit par<br />

convaincre de<br />

séjourner avec lui<br />

à Biskra à partir<br />

de 1894.<br />

Au moment où l’on célèbre<br />

en France le centenaire<br />

des éditions Gallimard,<br />

fondées par Gaston Gallimard<br />

en 1911 avec un<br />

groupe d’amis issus de la Nouvelle<br />

Revue Française (NRF), on<br />

retrouve parmi les précurseurs<br />

André Gide, admirateur du grand<br />

poète Mallarmé et qui avait trouvé<br />

un allié de taille en la personne<br />

du poète et théoricien de la littérature,<br />

Paul Valéry. Les<br />

animateurs<br />

de la NRF ont favorisé et cherché<br />

«l’assentiment de cette élite<br />

intellectuelle de la province». Les<br />

conversations passionnantes, sur<br />

la poétique et la littérature en général,<br />

ont donné à cette revue et<br />

aux éditions Gallimard une réputation<br />

d’exigence et un rayonnement<br />

international. Cette élite littéraire,<br />

née sur les décombres du<br />

romantisme et du naturalisme<br />

dont André Gide était le porte-<br />

drapeau, guerroyait sur le front de<br />

la création pour émerger et faire<br />

oublier les monstres sacrés tels<br />

Victor Hugo, Flaubert ou Baudelaire.<br />

Dans le beau livre qui vient<br />

de sortir aux éditions Flammarion,<br />

André Gide ou la tentation<br />

nomade*, c’est l’écrivain voyageur<br />

qu’on découvre. Gide est un<br />

poète adepte de la contemplation,<br />

qui rompt avec la tradition de<br />

l’écrivain-baroudeur, version dixneuvième<br />

siècle. Avant de suivre<br />

les itinéraires d’André Gide, faisons<br />

un détour par certains repères<br />

biographiques. Il est né le 22<br />

novembre 1869 à Paris. Il est<br />

El Watan - Arts & Lettres - Samedi 29 octobre 2011 - 19<br />

l’auteur d’une œuvre prolifique<br />

qui épouse toutes les formes de la<br />

création littéraire. On peut citer<br />

certains romans comme : La Porte<br />

étroite (1909), Les Caves du<br />

Vatican (1914) ou encore La Symphonie<br />

pastorale et Les Fauxmonnayeurs.<br />

A côté de cette œuvre<br />

romanesque, la poésie a une<br />

place prépondérante comme Les<br />

Nourritures terrestres ou Paludes<br />

qui est inclassable car trans-générique.<br />

Ses mémoires et journaux<br />

de voyage sont très nombreux et<br />

le tout va lui valoir le prix Nobel<br />

de littérature en 1947.<br />

Malgré une vie bourgeoise, André<br />

Gide n’a jamais cessé de<br />

voyager et d’aller scruter<br />

le monde pour chercher,<br />

comme Lamartine lors<br />

de son voyage en<br />

Orient, une réalisation<br />

de soi et un renouvellement<br />

dans<br />

sa créa-<br />

tion. Il<br />

avait commencé<br />

par découvrirl’Angleterre<br />

comme une sorte<br />

d’hommage secret à Mallarmé<br />

qui était professeur d’Anglais.<br />

C’est en 1892 que le désir de partir<br />

vers un ailleurs libérateur devient<br />

réalité à travers, d’abord, les<br />

poésies d’André Walter où il dit<br />

notamment : «Un jour nous avons<br />

levé la tête/ De dessus, nos graves<br />

bouquins/ Tu m’as dit : "C’est<br />

l’heure de nous mettre en route/<br />

Voilà assez longtemps que nous<br />

sommes enfermés/ Marchons tous<br />

deux où nous mènera la route"».<br />

Ces vers sont l’acte fondateur<br />

d’une vie de nomade qui s’écrira<br />

sur les chemins du vaste monde.<br />

Puis vint une période de relation<br />

intense avec l’Afrique du Nord<br />

qui débuta en 1893. Ses premiers<br />

voyages lui permirent d’entretenir<br />

une correspondance très suivie<br />

avec sa mère, qu’il finit par<br />

convaincre de séjourner avec lui à<br />

Biskra à partir de 1894 (ndlr : ce<br />

qui a inspiré le roman de Hamid<br />

Grine, Le Café de Gide, Ed. Alpha,<br />

2008). Dès l’aube de la colonisation,<br />

la reine des Zibans avait<br />

déjà le vent en poupe, car c’est un<br />

lieu enchanteur et d’hivernage<br />

très prisé. Un lieu magique qui a<br />

inspiré beaucoup de peintres<br />

orientalistes, dont Gustave<br />

Guillaumet et son célèbre La séguia<br />

près de Biskra, une toile importante<br />

par ses dimensions réalisée<br />

en 1884 et qu’on peut admirer<br />

au Musée d’Orsay à Paris. Lors<br />

de ce voyage, Gide se rapproche<br />

de la population locale et lui permet<br />

d’entrevoir l’écriture de Paludes.<br />

De 1894 à 1829, suivent<br />

une série de va-et-vient entre la<br />

France et le Maghreb et de longs<br />

séjours en Algérie et en Tunisie.<br />

Un autre voyage sera déterminant<br />

dans ses prises de position politique,<br />

c’est celui qu’il fit au Congo<br />

en 1927. Le séjour en Afrique<br />

subsaharienne l’aide à cerner les<br />

intentions de la présence coloniale<br />

et ses prétentions de civilisation.<br />

Dans son journal intitulé<br />

Voyage au Congo, il dénonce<br />

cette idéologie fondée sur la domination<br />

de l’autre et l’exploitation<br />

des richesses autochtones.<br />

Une position courageuse surtout<br />

que la célébration du centenaire<br />

de la colonisation de l’Algérie<br />

était en préparation. Le retour en<br />

Europe, après ces longs périples<br />

africains, lui donne l’idée de s’intéresser<br />

au communisme qui professait<br />

le progrès et l’égalité. En<br />

1936, il entreprend un voyage en<br />

URSS. Sur place il constate que<br />

la propagande soviétique occultait<br />

une réalité autre que celle embellie<br />

par un discours fallacieux.<br />

Là aussi, il ne va pas hésiter à<br />

mettre à nue la supercherie d’une<br />

telle idéologie totalitaire et au<br />

nom de laquelle se commettait<br />

beaucoup de crimes et de déportations.<br />

Son livre Retour de<br />

l’URSS aura un grand retentissement.<br />

La capitulation du gouvernement<br />

du Maréchal Pétain, en<br />

juin 1940, va le conduire à cesser<br />

son activité de collaborateur assidu<br />

à la Nouvelle Revue Française<br />

pour se retirer à Nice avant de se<br />

réfugier en Afrique du Nord entre<br />

1942 et 1945.<br />

Dans le beau livre de Jean Claude<br />

Perrier, on suit à la trace André<br />

Gide que ses amis désignaient par<br />

«le bipède». L’écrivain, à l’âme<br />

voyageuse, a laissé à côté de cette<br />

œuvre nomade un important<br />

fonds iconographique que<br />

l’auteur du livre met à la disposition<br />

du lecteur. Dans la vie d’André<br />

Gide, l’Algérie a joué un rôle<br />

important pour l’aider à s’affranchir<br />

du conservatisme de son milieu,<br />

mais aussi pour s’extirper de<br />

la culture ambiante d’une Europe<br />

alors travaillée par plusieurs de<br />

ses démons.<br />

Slimane Aït Sidhoum<br />

*Jean Claude Perrier. «André Gide ou la<br />

tentation nomade», Paris, édition<br />

Flammarion, 2011.<br />

<strong>À</strong> LA PAGE<br />

ABECEDARIUS<br />

Billard littéraire<br />

PAR MERZAC BAGTACHE<br />

Cela se passait dans un<br />

somptueux hôtel de<br />

facture américaine aux<br />

Emirats Arabes Unis, un<br />

de ces édifices hôteliers<br />

qui impressionnent mais<br />

ne sont pas toujours du<br />

meilleur goût. Sur le coup<br />

de minuit, ne trouvant pas<br />

le sommeil et ayant lu les<br />

principaux articles de la<br />

presse locale, je sortis<br />

humer l’air frais dans le vaste hall qui s’ouvrait à la<br />

fois sur les profondeurs du désert et sur les<br />

hauteurs d’un ciel richement étoilé.<br />

Il était là, seul, face au tapis vert d’un billard<br />

installé en plein milieu du hall. Son geste bien<br />

calculé, rapide et minutieux, rappelait celui d’un<br />

toréador sur le point de planter une banderille sur<br />

le dos d’un taureau déjà chancelant. Je me mis à<br />

l’observer à distance et à attendre. Attendre quoi ?<br />

La fumée de sa cigarette collée à ses lèvres était<br />

d’un bleu léger, fourni par un éclairage coloré, et<br />

elle se confondait avec celui, naturel, d’une barbe de<br />

quelques jours. Good evening, fis-je alors. Et lui de<br />

me répondre dans un arabe dénotant son étrangeté<br />

au lieu et à la langue même : wa alaïkoum essalam !<br />

Il m’invita aussitôt à me joindre à lui, comme s’il<br />

avait affaire à une vieille connaissance. Je répondis<br />

que je ne savais rien de ce type de jeu, sinon ce que<br />

j’avais pu en voir dans de célèbres films<br />

généralement policiers et américains. Quelques<br />

mots enchaînés de sa part en langue arabe, et le<br />

voilà à me montrer comment tenir la baguette et<br />

comment assener un coup sec à l’orpheline boule<br />

rouge en face de moi. Après un essai et un deuxième,<br />

les deux non concluants, je rendis le tablier.<br />

Mon joueur de billard arabophone venait du pays<br />

d’Alexandre le Grand, un Macédonien quoi ! Plutôt<br />

que de s’intéresser à Aristote, le précepteur de ce<br />

grand empereur, s’était spécialisé en littérature<br />

arabe classique qu'il avait étudiée à Damas. Je suis<br />

éditeur, me précisa t-il encore. Son accent très<br />

prononcé, à la fois guttural et syncopé, de<br />

montagnard, donnait à la langue arabe une sonorité<br />

toute particulière, au point de me pousser à<br />

m’interroger, à part moi, sur le commerce que j’ai<br />

toujours établi avec cette langue dont la richesse<br />

musicale est peut-être aussi celle de ses différentes<br />

prononciations dans le monde.<br />

Sans s’étaler sur sa vie privée, ses mots aussi concis<br />

que ses gestes de joueur, il me fit comprendre qu’il<br />

avait guerroyé contre les Serbes. Mais son champ de<br />

bataille de prédilection restait le vaste monde de la<br />

culture. C’est pourquoi, il s’était lancé dans l’édition<br />

en faisant de son mieux pour faire connaître la<br />

culture arabe à ses concitoyens de Macédoine.<br />

Toutefois, ce qui le chagrinait outre-mesure, c’était<br />

surtout – selon son expression bien sûr – «l’absence<br />

de repères au sein de l’intelligentsia du monde<br />

arabe». Pour lui, le poète syro-libanais, Adonis, n’a<br />

cessé de décocher ses flèches contre tout ce qui est<br />

propre au monde arabe. «Ce poète, devait-il<br />

marteler encore, fait toujours des courbettes en<br />

direction du monde occidental dans l’espoir de<br />

décrocher le prix Nobel de littérature !».<br />

Bien sûr, je n’ai jamais revu ce Macédonien et sans<br />

doute ne le reverrai-je jamais. Mais, je m’imagine<br />

aujourd’hui cet homme si aigri, jubilant de plaisir<br />

peut-être, à la suite de l’annonce du couronnement<br />

du poète suédois, Tomas Tranströmer, par ce<br />

prestigieux prix pour lequel Adonis était fortement<br />

pressenti cette année.<br />

toyour1@yahoo.fr

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