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MASSACRE À HUIS CLOS

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PHOTOS : D. R. LE THÉÂTRE "KATEB YACINE" DE TIZI OUZOU<br />

KATEB ATEB YA<br />

YACINE DRAMATURGE DES HUMBLES<br />

●●●<br />

Le théâtre-forum<br />

de Kateb Yacine,<br />

souvent divisé<br />

en tableaux<br />

autonomes,<br />

demande<br />

au public<br />

de participer<br />

et d’intervenir.<br />

On accède ainsi à un nouveau théâtre qui met en<br />

relief la nouvelle psychologie, la grossit volontairement,<br />

insiste sciemment sur la démesure,<br />

grâce notamment à un savoureux éclectisme<br />

de mots du jour et de situations concrètes<br />

volées au réel. Dans ce théâtre admirablement algérien,<br />

on retrouve à la fois du réalisme épique<br />

brechtien et un fonds culturel local irrigué aux traditions<br />

ancestrales. Il rompt en partie avec un théâtre<br />

classique emprunté par les devanciers et faussement<br />

naturalisé pour faire couleur locale. C’est un théâtre<br />

qui fait de la dénonciation un acte d’Amour à ce pays<br />

qui a tant payé pour se libérer de tous les jougs, anciens<br />

et nouveaux.<br />

Cette diversité de références tire partie de toutes les<br />

trouvailles des cinquante dernières années et abat le<br />

mur séparant l’acteur du spectateur. Le théâtre-forum<br />

de Kateb Yacine, souvent divisé en tableaux autonomes,<br />

demande au public de participer et d’intervenir,<br />

même si, physiquement, il ne monte pas sur scène.<br />

Dédaignant tout illusionnisme, il refuse, ici et là, les<br />

nuances pour aller à l’essentiel. Il reprend le mot qui<br />

fait mouche, le mot qui touche, le mot qui souligne la<br />

réplique à chaleur humaine, par des chansons courtes<br />

puisées du répertoire populaire urbain. Les tableaux,<br />

en flash-back, sont presque tous inspirés d’histoires<br />

concrètes qui ont vu le jour, séjourné ou élu domicile<br />

sur ces fabuleuses terres de l’Afrique du Nord. Ils sont<br />

l’expression fidèle des préoccupations du petit peuple<br />

dont personne ne parle, de ces héros anonymes qui<br />

portent l’histoire et la traduisent à leur manière, la<br />

jouant comme ils la ressentent, dans ses accélérations<br />

et blocages.<br />

Mis au devant de la scène, ce sont des personnages secondaires<br />

qui prennent la place du héros pour construire<br />

la fable. Le spectateur, lui aussi d’extraction modeste,<br />

s’identifie à ces comédiens qui interprètent des<br />

rôles «tournants». Il cesse d’être spectateur pour devenir<br />

acteur avec des yeux qui cherchent, parmi les comédiens,<br />

ceux qui lui sont proches. Se sentant ainsi<br />

impliqué, le spectateur sort de sa condition d’objet<br />

pour assumer un rôle de sujet. Intervenant directement<br />

dans l’action dramatique, il est dans une relation intime<br />

où salle et tréteaux «écrivent» en même temps la<br />

pièce qui se joue. «La vérité de la scène réside justement<br />

et exclusivement sur la scène», disait Lounatacharsky.<br />

Dans ce théâtre, la notion de réceptacle change<br />

ainsi de définition. Le comédien peut interrompre<br />

l’action et demander l’avis de celui qui le regarde. Cette<br />

façon d’agir, qui élabore de nouvelles manières de<br />

suivre un spectacle théâtral, est, par endroits, plus importante<br />

que l’œuvre elle-même. Il y a ici un théâtre<br />

manifeste, un théâtre témoin apte à gagner la complicité<br />

du spectateur-acteur et capable de l’émouvoir.<br />

Très souvent, les pièces de Kateb Yacine ont été jouées<br />

pour un public qui n’avait jamais vu de pièces de théâtre<br />

ni même entendu parler de cette expression. Aussi,<br />

le dramaturge ne fait pas dans le métalangage. Il opte<br />

pour une parole de l’essentiel, même si l’envolée lyrique<br />

du poète, la marque de fabrique du géniteur de<br />

«Nedjma», ne sont jamais absentes. Dans son théâtre,<br />

El Watan - Arts & Lettres - Samedi 29 octobre 2011 - 15<br />

Kateb Yacine féconde l’outil linguistique qu’il a déjà<br />

utilisé (n’oublions pas qu’il est venu au théâtre par le<br />

biais de l’écriture), recrée l’épopée réelle du petit peuple<br />

à travers la fiction qu’il met en scène. Il fait appel,<br />

ici et là, aux techniques européennes avant-gardistes<br />

qu’il naturalise pour être au plus près de ceux qui n’ont<br />

jamais frappé à la porte d’un théâtre. L’intellectuel engagé,<br />

auprès de la cause des humbles, étend sa sensibilité<br />

aux évènements qui l’entourent, aux manifestations<br />

qui lui parlent, aux agressions qui l’enserrent. Le<br />

créateur, qui a fait sien tout l’héritage gréco-romain,<br />

arabe et africain, montre par ce biais qu’il a une<br />

conscience aiguë des problèmes de sa collectivité. Il y<br />

trouvait la vérité, son tout premier souci. Ses créations<br />

ont le goût du document chaud, pris à vif, et elles faisaient<br />

foule à chaque représentation. L’affiliation à la<br />

culture populaire, dans sa pluralité de signes artistiques,<br />

est soulignée à chaque tournure de répliques.<br />

Elle sait être nouvelle à l’intérieur d’un texte considéré<br />

comme le «deuxième poumon» par lequel respire la<br />

création katébienne, pour reprendre la définition appropriée<br />

du Tunisien Mohamed Driss, autre grand dramaturge<br />

contemporain.<br />

UNE PERTINENCE INÉDITE<br />

Percutante et originale à la fois, la parole, dans sa rencontre<br />

avec le geste, prend le contre-pied des idées reçues<br />

et reconstruit une autre image du théâtre et une<br />

autre façon de le faire. La rupture s’opère aussi bien<br />

sur les plans formels que thématiques dans ce théâtre<br />

qui est, de facto, impliqué dans les débats qui agitent la<br />

société. Dans ce choix qui offre un espace de circulation<br />

privilégié aux idées progressistes, l’auteur incomparable<br />

de Palestine trahie est, par dessus tout, soucieux<br />

de démocratiser son théâtre, de le rendre audible<br />

à la majorité. Incluant sa démarche dans un imaginaire<br />

social et culturel, il tire sa légitimité esthétique de la<br />

terre qui l’a vu naître et de l’histoire qui l’a façonné.<br />

Kateb Yacine a refusé un théâtre niant les luttes sociales<br />

et cela dès le début de son aventure théâtrale des<br />

années soixante-dix, dans un petit espace de Bab El<br />

Oued, en compagnie d’une troupe homogène, l’Action<br />

Culturelle des Travailleurs (ACT), créée à Alger autour<br />

de sa personne. Cette troupe, non asservie à son animateur<br />

principal, contribuait au montage de la pièce.<br />

Le géniteur de La guerre de deux mille ans opte ouvertement<br />

pour une vision théâtrale plus radicale à l’égard<br />

des politiques culturelles et esthétiques de l’époque. Il<br />

n’a jamais été le bouffon du roi et n’a jamais joué un<br />

rôle de soupape. De même, il ne postulera jamais à être<br />

ange ou démon, selon les demandes du moment. Ses<br />

œuvres passerelles s’inscrivent dans une triangulation<br />

: le legs culturel, la langue d’échange et l’ouverture<br />

aux techniques du théâtre universel. L’homme orchestre<br />

de Mohamed prends ta valise reconstitue des<br />

espaces imaginaires pour traduire des atmosphères<br />

dictées par la vie et par ses convictions. Avec simplicité<br />

et persuasion, il monte des pièces aux formes extrêmement<br />

dépouillées, simplifiées, des pièces utiles<br />

parce que proches dans leur langue et leurs formes, du<br />

<strong>À</strong> L'AFFICHE<br />

souffle populaire. Dans ces années effervescentes, le<br />

poète et homme de théâtre montre une sympathie sincère<br />

pour les révolutions libératrices dans le monde. Il<br />

devient un point de jonction entre les formes d’expression<br />

anciennes empruntées par les aèdes d’hier dont<br />

les mots restent pudiques, et les formes nouvelles où le<br />

mot est chargé de poudre. Dans cette optique, il proposera<br />

quelques nouveautés scéniques et langagières<br />

d’une pertinence inédite. Par ailleurs, ses pièces, réfractaires<br />

aux idées de cénacle et propositions de l’establishment,<br />

optent ouvertement pour l’argument polémique.<br />

Sûr de sa mission, son théâtre se veut un porte-voix<br />

des gens humbles qu’il fréquente et chez qui il<br />

se ressource. Il s’agit de produire des chroniques théâtrales<br />

aiguës, qui, tout en insistant sur la sphère distractive,<br />

parlent de manière concrète des soubresauts<br />

profonds de la société. Ces chroniques pourfendent les<br />

ordres établis, ceux apparents et «ceux qui opèrent<br />

dans l’ombre», comme il l’écrira dans la préface au livre<br />

de Yacine Tassadit sur l’autre grand poète de l’Algérie<br />

des blessures, Lounis Aït Menguellet.<br />

Pour une exaltation plus franche des idéaux les plus<br />

élevés, le théâtre synthèse de cet intellectuel est en<br />

nette opposition à la culture des appareils et des<br />

conformismes. Dès le départ, il est perçu comme une<br />

revendication identitaire qui accompagne une histoire<br />

dynamique et non une revendication essoufflée répétée<br />

dans ses référents traditionnels, ses clichés et ses<br />

mythes illustrant un style unique de pensée, dont ont<br />

fait preuve certains de nos intellectuels sans qu’ils le<br />

sachent vraiment.<br />

La première période théâtrale de Kateb Yacine était<br />

écrite en français, «avec les mots de ceux qui avaient<br />

détruit sa tribu», pour reprendre les mots d’Abdelkader<br />

Djeghloul. Elle a donné des œuvres célèbres : Le<br />

Cadavre encerclé, Les Ancêtres redoublent de férocité,<br />

La Femme sauvage, L’homme aux sandales de caoutchouc,<br />

écrite en 1970 en hommage au libérateur vietnamien<br />

Ho Chi Minh… En allant vers un théâtre d’expression<br />

arabe populaire, l’écrivain a superbement<br />

joué son rôle dans ce changement de cap qui est une<br />

refondation du théâtre algérien. Son groupe théâtral,<br />

constitué en véritable atelier de recherche et de diffusion,<br />

n’a-t-il pas touché en quelques années près d’un<br />

million de spectateurs ? Un record inégalé à ce jour !<br />

Sans repousser la magie de la scène ni le pathétique de<br />

la représentation ou les méthodes formelles du quatrième<br />

art, sa seconde période théâtrale, attentive à la<br />

contemporanéité, aura été à la fois grandement enraciné<br />

dans le terroir et grandement appuyé sur les courants<br />

modernes. Sa construction dynamique et, surtout,<br />

moins complexée, a su démasquer les restrictions<br />

mentales et les opportunismes y afférents.<br />

B. B. A.

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