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DOSSIER Ce - Gouvernement du Québec

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<strong>DOSSIER</strong><br />

des décisions, utilisent des stratégies,<br />

etc. Bref, ils travaillent fort<br />

à leur insertion. Or, nos analyses<br />

révèlent que les trajectoires des<br />

jeunes interviewés dépendent, à<br />

chaque moment, de leurs actions<br />

passées, c’est-à-dire que ce qu’ils<br />

peuvent faire et espérer aujourd’hui<br />

dépend en bonne partie de ce qu’ils<br />

ont fait et réalisé auparavant. Par<br />

exemple, si un jeune enseignant,<br />

après avoir envoyé des curriculum<br />

vitae un peu au hasard, parvient à<br />

entrer en relation avec une personne<br />

dans une commission scolaire<br />

ou une école, celle-ci fera<br />

désormais partie de l’historique de<br />

sa trajectoire : elle peut lui être utile<br />

dans d’autres actions et lui ouvrir<br />

d’autres portes. Dans le même sens,<br />

à force de persévérer dans une situation<br />

de suppléance ou de contrats à<br />

la leçon, de jeunes profs finissent<br />

par être connus dans quelques écoles<br />

et voient croître ainsi leur chance<br />

d’obtenir des contrats plus longs et<br />

d’être réengagés au fil des ans. Bref,<br />

ce que font les acteurs n’est pas<br />

inutile, mais dessine progressivement,<br />

à travers le temps, une trame<br />

où les actions et initiatives passées<br />

constituent des jalons vers l’atteinte<br />

d’un but professionnel.<br />

Historicité objective : L’historicité<br />

des trajectoires des jeunes est<br />

aussi en quelque sorte objective,<br />

dans la mesure où elles se déroulent<br />

dans un contexte socio-institutionnel<br />

qui enregistre leur existence et<br />

leur passage sous la forme de documents,<br />

de contrats, de noms inscrits<br />

sur des listes, etc. La fameuse liste<br />

de rappel est le meilleur exemple<br />

de cette objectivité historique : avec<br />

le temps, des efforts et de la<br />

patience, de jeunes profs y voient<br />

leur nom inscrit, gagnant ainsi le<br />

droit à une existence historique<br />

officielle attestée par le principe<br />

d’ancienneté. <strong>Ce</strong> principe montre<br />

justement que l’histoire compte :<br />

l’ordre dans lequel on y apparaît<br />

détermine les possibilités <strong>du</strong><br />

présent et <strong>du</strong> futur.<br />

Historicité subjective : La trajectoire<br />

n’est pas seulement objective,<br />

elle a aussi une existence subjective<br />

pour chacun et chacune. En<br />

effet, le parcours de jeunes profs<br />

engagés dans un processus d’insertion<br />

n’est pas qu’une suite d’actions<br />

et d’événements mais dépend d’une<br />

évaluation subjective de leur situation,<br />

d’une interprétation constante<br />

de ce qu’ils ont réalisé auparavant,<br />

de l’étape où, à leurs yeux, ils sont<br />

ren<strong>du</strong>s et de ce qu’ils espèrent<br />

obtenir par la suite. On constate,<br />

par exemple, que chez de jeunes<br />

enseignants, les notions de précarité<br />

et de stabilité d’emploi ne font<br />

pas référence uniquement, ni même<br />

principalement, à des critères objectifs<br />

d’emploi, mais aussi à leurs<br />

interprétations de leur situation<br />

présente et passée, à leurs repré-<br />

sentations de l’ensemble de leur<br />

situation et à leur anticipation de<br />

réembauche. C’est ainsi que certains<br />

facteurs et certaines expériences<br />

peuvent représenter une<br />

ressource de survie et jouer un rôle<br />

compensateur leur permettant de<br />

poursuivre la « carrière » d’enseignant<br />

malgré des itinéraires instables<br />

et cahoteux : régularité des<br />

contrats, contrats substantiels, bonne<br />

position sur la liste de rappel par<br />

ancienneté, équité, tâche confortable,<br />

valorisation par la direction<br />

d’école et intégration dans l’équipeécole,<br />

collaboration ou soutien de<br />

la direction, bonnes relations avec<br />

les collègues, sentiment de progression,<br />

optimisme en face de l’avenir,<br />

amour de l’enseignement, etc. Dans<br />

un sens analogue, les travaux récents<br />

remettent en question la définition<br />

même de la notion de stabilité<br />

fondée sur un contrat à <strong>du</strong>rée indéterminée<br />

comme à l’époque <strong>du</strong><br />

plein emploi. Ainsi, de nouvelles<br />

notions sont mises en relief, telles<br />

que la régularité <strong>du</strong> travail, la continuité<br />

<strong>du</strong> revenu, l’autonomie financière<br />

et l’employabilité (Trottier et<br />

autres., 1997 ; Vincens, 1996 ;<br />

Nicole-Drancourt, 1994)<br />

CONCLUSION<br />

Non linéaires mais dotées d’une<br />

historicité, telles nous semblent être<br />

les trajectoires d’insertion professionnelle<br />

des jeunes profs lorsqu’on<br />

les envisage comme des processus<br />

temporels. Toutefois, il ne faut pas<br />

oublier que derrière leur apparente<br />

homogénéité se cachent la diversité<br />

et la singularité des profils quant à<br />

l’assemblage et à l’harmonisation<br />

dans le temps des événements constitutifs.<br />

À vrai dire, il y a autant de<br />

trajectoires qu’il y a de personnes<br />

engagées dans un projet d’insertion.<br />

En outre, les phénomènes<br />

décrits plus haut rendent compte<br />

<strong>du</strong> fait que l’insertion professionnelle<br />

est plus que jamais un véritable<br />

work in progress et que les<br />

trajectoires sont des « histoires<br />

Photo : Denis Garon<br />

ouvertes » où l’action des acteurs<br />

contribue constamment à définir<br />

l’avenir au contact même des situations<br />

qui risquent de le défaire ou,<br />

<strong>du</strong> moins, de le rendre improbable<br />

ou imprévisible. Enfin, ces phénomènes<br />

amènent à remettre en question<br />

la définition même de l’insertion<br />

professionnelle fondée seulement<br />

sur les critères objectifs d’emploi,<br />

et à relativiser les notions de précarité,<br />

de stabilité et de sécurité<br />

d’emploi, encore teintées d’une<br />

vision traditionaliste de l’époque <strong>du</strong><br />

plein emploi.<br />

La récente vague d’embauche de<br />

nouveaux enseignants (on parle de<br />

10 500 « nouveaux » enseignants et<br />

enseignantes pour l’année 1997-<br />

1998) qui fait suite à la création de<br />

la maternelle à temps plein pour les<br />

enfants de 5 ans et à demi-temps<br />

pour les enfants de 4 ans dans certains<br />

milieux ainsi qu’aux retraites<br />

massives dans le secteur de l’é<strong>du</strong>cation<br />

atténuera (sur le plan quantitatif)<br />

quelque peu (temporairement<br />

?) le problème d’insertion et<br />

de précarité d’emploi chez les<br />

jeunes mais sans vraiment le<br />

résoudre d’ici quelques années<br />

encore, et cela pour quatre raisons<br />

au moins : 1) la réserve d’enseignants<br />

à statut précaire est encore<br />

largement supérieure au nombre<br />

estimé d’embauches nécessaires ;<br />

2) chaque départ d’enseignant<br />

(retraite ou autre motif) n’équivaut<br />

pas nécessairement à l’entrée d’un<br />

nouvel enseignant permanent à<br />

temps plein. Des phénomènes tels<br />

que la diminution de l’effectif scolaire<br />

depuis les années 80 et la<br />

diminution de l’effectif enseignant<br />

depuis 1992-1993 (MEQ, 1997)<br />

sont loin de favoriser l’équilibre<br />

entre les départs et les arrivées ;<br />

3) la priorité d’accès à un poste<br />

pour les personnes qui enseignent<br />

déjà à temps partiel dans les commissions<br />

scolaires ; 4) à chaque<br />

année encore, beaucoup de nouveaux<br />

enseignants viennent grossir<br />

le bassin de réserve d’enseignants<br />

qualifiés à statut précaire ou sans<br />

emploi : le nombre de permis d’enseigner<br />

émis annuellement demeure<br />

élevé et aurait même explosé pour<br />

atteindre un record de 6 000 permis<br />

au milieu des années 90 (MEQ,<br />

direction des études économiques<br />

et démographiques).<br />

D’ici l’an 2005, on estime qu’il y<br />

aura une vague importante d’embauche<br />

de nouveaux enseignants<br />

pour combler le vide laissé par les<br />

départs massifs à la retraite. Même<br />

si on admet que l’intensité <strong>du</strong> recrutement<br />

sera très différente de celle<br />

des années 60 1 , il y a lieu tout de<br />

même de se demander si un tel<br />

renouvellement massif et soudain<br />

ne risque pas encore une fois de<br />

bloquer la profession pour un autre<br />

quart de siècle, ce qui entraînerait<br />

des conséquences semblables à celles<br />

connues par les générations entrées<br />

sur le marché <strong>du</strong> travail particulièrement<br />

<strong>du</strong>rant la décennie 80.<br />

On ne peut pas non plus passer<br />

sous silence les nouvelles tendances<br />

qui émergent dans l’emploi et la<br />

profession d’enseignant actuellement<br />

: on parle de réorganisation<br />

<strong>du</strong> travail, de temps partagé, de<br />

diversification de tâches, de gel<br />

d’avancement d’échelon (effet négatif<br />

sur le salaire des jeunes), de<br />

décentralisation <strong>du</strong> réseau scolaire,<br />

de professionnalisation, de transformation<br />

<strong>du</strong> syndicalisme, de renégociation<br />

<strong>du</strong> plan de rémunération<br />

au nom de l’équité salariale, etc. De<br />

telles tendances vont redessiner le<br />

paysage de l’emploi en enseignement<br />

au cours des prochaines<br />

années et modifier en profondeur<br />

les pratiques d’embauche des institutions<br />

scolaires et l’idée même de<br />

faire carrière ou de s’insérer en<br />

enseignement. <strong>Ce</strong>s phénomènes<br />

devraient mériter un examen sérieux<br />

dans un proche avenir.<br />

Joséphine Mukamurera est<br />

professeure à l’Université de<br />

Sherbrooke.<br />

VIE 26 Vie pédagogique 111, avril-mai<br />

1999

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