DOSSIER Ce - Gouvernement du Québec
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<strong>DOSSIER</strong><br />
dit-elle. Former, comme elle le<br />
faisait habituellement lors d’une<br />
probation, un comité d’accompagnement<br />
pour chaque nouvelle<br />
enseignante ? <strong>Ce</strong>la aurait nécessité<br />
un temps fou en supervision et, de<br />
toute façon, son école ne comptait<br />
même pas suffisamment d’enseignantes<br />
expérimentées pour former<br />
tous les comités. « Je réfléchissais,<br />
je réfléchissais… » De plus, les<br />
jeunes enseignantes étant tentées,<br />
dans un contexte de probation, de<br />
faire valoir ce qu’elles réussissaient<br />
le mieux, une telle évaluation était<br />
loin de satisfaire leur directrice. « Je<br />
réfléchissais…» Alors que ce<br />
qu’elle cherchait au loin était déjà<br />
là, à courte distance devant elle.<br />
LA DÉMARCHE D’ANALYSE<br />
DES PRATIQUES<br />
Charlotte Dubé et quelques collègues<br />
immédiats sont inscrits<br />
depuis quelques années au programme<br />
d’intro<strong>du</strong>ction à la direction<br />
d’école, offert par l’Université<br />
de Sherbrooke. <strong>Ce</strong>s nouveaux directeurs<br />
y ont été formés à une<br />
démarche qui, essentiellement,<br />
consiste à échanger leurs idées sur<br />
leur pratique professionnelle et à<br />
l’objectiver. Leur immense satisfaction<br />
vis-à-vis de cette approche et le<br />
besoin de poursuivre le cheminement<br />
amorcé les ont naturellement<br />
amenés, il y a six ans, à former<br />
ensemble un premier groupe d’analyse<br />
des pratiques.<br />
« Je réfléchissais, et à un moment<br />
donné il s’est pro<strong>du</strong>it un déclic. Je<br />
me suis dit que c’est ce qu’il fallait<br />
que je fasse avec mes jeunes<br />
enseignantes : les accompagner<br />
dans leur profession. <strong>Ce</strong> sera la<br />
meilleure façon, parce qu’elles<br />
parleront de leurs vrais problèmes.»<br />
Au cours d’une première<br />
rencontre où elle a réuni toute la<br />
cuvée de nouvelles enseignantes et<br />
deux enseignantes expérimentées,<br />
elle a donc présenté les tenants et<br />
les aboutissants de son projet, rendant<br />
obligatoire, une fois par mois,<br />
la tenue de rencontres d’analyse.<br />
Résultat ? « C’est riche, riche,<br />
riche… Le conseiller pédagogique<br />
que je m’étais adjoint était<br />
emballé de l’expérience, il n’en<br />
revenait pas de voir à quel point<br />
les enseignantes avaient évolué<br />
rapidement. Déjà, avec mes trois<br />
petites nouvelles de cette année,<br />
je vois la différence… » Disant<br />
cela, Charlotte Dubé met la main<br />
sur ses feuilles de notes et s’anime<br />
à la seule idée de présenter la<br />
démarche.<br />
L’objectif principal d’un groupe<br />
d’analyse est de permettre aux participants<br />
et participantes d’échanger<br />
leurs points de vue sur leur pratique<br />
professionnelle et de l’objectiver.<br />
<strong>Ce</strong>s rencontres où un membre,<br />
appelé pour la circonstance « propriétaire<br />
», présente un projet ou<br />
une situation qu’il juge problématique,<br />
devraient amener les autres<br />
membres à apporter leur soutien de<br />
même que des solutions, et donner<br />
naissance à un réseau de communication<br />
et d’entraide. Pour favoriser<br />
le partage d’idées, d’outils et de<br />
moyens utiles à la gestion des différentes<br />
ressources, ces réunions<br />
supposent aussi un très grand lien<br />
de confiance (« qui n’existait pas<br />
dans ce groupe, les jeunes ne se<br />
connaissaient pas ») et la reconnaissance<br />
de l’expertise de chacune<br />
(« ce qui n’était pas le cas non<br />
plus, car elles étaient toutes débutantes<br />
»). En conséquence, la viabilité<br />
d’un tel groupe d’analyse,<br />
sujet à de fortes résistances et à de<br />
fortes émotions, repose sur des<br />
règles <strong>du</strong> jeu bien établies. L’animatrice<br />
s’assure que la démarche<br />
est claire, structurée, et que la<br />
procé<strong>du</strong>re reste rigoureuse. Les<br />
rôles que les membres <strong>du</strong> groupe<br />
tiendront tour à tour doivent être<br />
bien définis et ceux-ci doivent se<br />
porter un respect mutuel. Enfin, le<br />
calendrier des rencontres doit être<br />
réaliste.<br />
Dans le cas qui nous intéresse, les<br />
données sont les suivantes. Charlotte<br />
Dubé animait un groupe réunissant<br />
les dix nouvelles enseignantes de<br />
classe ordinaire, deux enseignantes<br />
expérimentées et un conseiller<br />
pédagogique. Les rencontres étaient<br />
tenues une fois par mois. Comme<br />
Photo : Denis Garon<br />
chacune des jeunes enseignantes<br />
devait y exposer la situation problématique<br />
dont elle était la propriétaire,<br />
le groupe a, dès la première<br />
rencontre, préparé un calendrier<br />
qui fixait l’ordre de présentation de<br />
chacune. Les plus confiantes se sont<br />
naturellement portées comme premières<br />
volontaires. Mais il y avait<br />
suffisamment de souplesse pour<br />
qu’en tout temps un membre puisse<br />
amener une situation urgente à la<br />
place d’une autre déjà prévue à<br />
l’ordre <strong>du</strong> jour. Chacune des rencontres,<br />
qui avait lieu après l’école,<br />
<strong>du</strong>rait une heure et demie, exceptionnellement<br />
deux heures.<br />
LE FIL D’UNE RENCONTRE<br />
Deux ou trois jours avant une rencontre,<br />
la directrice s’informe,<br />
auprès de l’enseignante qui y tiendra<br />
le rôle de propriétaire, de la<br />
nature <strong>du</strong> problème qu’elle entend<br />
soumettre au groupe. <strong>Ce</strong>la permettra<br />
au conseiller pédagogique, mis<br />
au fait de la situation, de préparer<br />
un cadre théorique qui pourra contribuer,<br />
en temps opportun, à<br />
soutenir le groupe dans son analyse<br />
<strong>du</strong> problème.<br />
1. Présentation d’un projet<br />
ou d’une situation jugée<br />
problématique<br />
La propriétaire expose son problème<br />
au groupe. Elle dispose pour<br />
cela de quelques minutes. « Ça<br />
peut être de tout ordre, explique<br />
Charlotte Dubé. Mais comme c’est<br />
un vrai problème que l’enseignante<br />
vit dans sa classe ou dans<br />
l’école, il ne peut pas se situer en<br />
dehors de la profession. Il peut<br />
s’agir par exemple d’une relation<br />
avec un élève, d’un problème lié à<br />
l’évaluation des apprentissages ou<br />
à une notion en particulier, etc. ».<br />
À cette étape, les membres <strong>du</strong><br />
groupe se limitent à écouter.<br />
2. Élargissement de<br />
la problématique<br />
Les participantes deviennent ici plus<br />
actives puisqu’elles vont rigoureusement,<br />
à tour de rôle, poser des<br />
questions ouvertes à la propriétaire.<br />
Elles l’interrogent sur sa compréhension<br />
<strong>du</strong> problème, ses points<br />
d’intérêt ou ses points de remise en<br />
question, les liens avec l’organisation<br />
(en l’occurrence la classe ou<br />
l’école), le climat ou le processus<br />
entourant le problème, etc. « Elles<br />
n’apportent pas des solutions,<br />
elles ne donnent pas des suggestions,<br />
elles ne font que poser des<br />
questions, à partir des réponses<br />
de la propriétaire, pour élargir la<br />
problématique. » En situant son<br />
problème dans un contexte plus<br />
large, la propriétaire en aura une<br />
compréhension plus claire.<br />
« Je dois vous dire que, dans tous<br />
les cas, à la fin de cette étape, le<br />
problème n’est jamais celui qu’on<br />
croyait ! C’est immanquable. »<br />
Ainsi en est-il de cette enseignante<br />
qui éprouvait de sérieuses difficultés<br />
de relations avec un élève, se<br />
voyant incapable de ne pas sempiternellement<br />
le reprendre. Au<br />
terme d’un tour de table où les<br />
questions ont porté sur l’élève<br />
comme sur elle-même, l’enseignante<br />
s’est finalement « [...]<br />
aperçue que le problème n’était<br />
pas <strong>du</strong> côté de l’élève, mais <strong>du</strong><br />
sien. Parce que c’est sur sa faiblesse<br />
à elle que le comportement<br />
de l’enfant agissait. »<br />
3. Introspection et découverte<br />
À ce stade, la propriétaire, qui ne<br />
cesse de prendre des notes, se livre<br />
elle-même à une introspection. « À<br />
mesure qu’on lui a posé des questions,<br />
les idées ont cheminé dans<br />
sa tête. Alors il faut qu’elle réfléchisse<br />
afin de voir quel est son<br />
nouveau questionnement et quelles<br />
nouvelles pistes elle envisage. »<br />
4. Recadrage<br />
Dans la démarche d’analyse des<br />
pratiques, fait suite aux échanges de<br />
vues entre collègues l’apport de<br />
modèles théoriques, intro<strong>du</strong>its<br />
habituellement par l’animateur.<br />
Dans le cas présent, c’est au conseiller<br />
pédagogique que revient ce<br />
rôle. « Il est arrivé que ce qu’il<br />
avait préparé n’a pas servi <strong>du</strong><br />
tout, parce que le véritable problème<br />
ne correspondait pas à<br />
celui qui était défini. »<br />
5. Évocation<br />
Les membres <strong>du</strong> groupe tentent<br />
d’ouvrir de nouvelles pistes ou<br />
VIE 28 Vie pédagogique 111, avril-mai<br />
1999<br />
Photo : Denis Garon