La mère, son bébé et la nourriture - Université de Bourgogne
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semble fon<strong>de</strong>r <strong>la</strong> tentative, constante dans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s cultures, <strong>de</strong> maîtriser le corps <strong>et</strong>, à<br />
travers lui, l‟esprit, <strong>la</strong> per<strong>son</strong>ne tout entière, donc l‟i<strong>de</strong>ntité. »<br />
De même, l‟incorporation peut être fondatrice <strong>de</strong> l‟i<strong>de</strong>ntité collective, <strong>de</strong> l‟altérité. Les<br />
hommes marquent leur appartenance à une culture par <strong>la</strong> spécificité <strong>de</strong> leurs coutumes<br />
alimentaires <strong>et</strong> donc <strong>de</strong> <strong>la</strong> différence par rapport aux autres cultures. Avant d‟être absorbée, <strong>la</strong><br />
<strong>nourriture</strong> est donnée <strong>et</strong> acceptée. En ce<strong>la</strong>, elle est fondatrice <strong>de</strong> toute société. Accepter ce don<br />
<strong>de</strong> <strong>nourriture</strong> c‟est accepter l‟autre <strong>et</strong> <strong>de</strong> nouer <strong>de</strong>s liens avec lui. Selon Apfeldorfer (1994)<br />
« refuser le partage c‟est rej<strong>et</strong>er l‟autre », ceci est vrai au niveau <strong>de</strong>s groupes (<strong>de</strong> culture à<br />
culture : goûter <strong>la</strong> <strong>nourriture</strong> <strong>de</strong> l‟autre est un premier pas vers <strong>la</strong> rencontre) <strong>et</strong> l‟est bien plus<br />
encore lorsqu‟on en vient à <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion <strong>mère</strong>-enfant. Un <strong>de</strong>s premiers terrains d‟affrontement,<br />
<strong>de</strong> contestation, d‟affirmation n‟est-il pas, pour le <strong>bébé</strong>, celui <strong>de</strong>s repas offerts par sa <strong>mère</strong> ?<br />
Comme nous le verrons plus loin dans c<strong>et</strong>te revue théorique, <strong>la</strong> scène alimentaire est lieu<br />
privilégié <strong>de</strong> remise en cause <strong>de</strong> l‟autorité <strong>et</strong> <strong>de</strong>s règles admises.<br />
Fischler dit à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> fondation d‟i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> groupe que : « les systèmes culinaires<br />
contribuent ainsi à donner un sens à l‟homme <strong>et</strong> à l‟univers, en situant l‟un par rapport à<br />
l‟autre dans une continuité <strong>et</strong> une contiguïté globales. […] Le principe d‟incorporation<br />
entraîne en eff<strong>et</strong> c<strong>la</strong>irement c<strong>et</strong>te conséquence, particulièrement importante dans <strong>la</strong> pério<strong>de</strong><br />
contemporaine : si nous ne savons pas ce que nous mangeons, ne <strong>de</strong>vient-il pas difficile <strong>de</strong><br />
savoir, non seulement ce que nous allons <strong>de</strong>venir, mais aussi ce que nous sommes ? »<br />
Fischler expose ici toute l‟importance <strong>de</strong> l‟alimentation <strong>et</strong> <strong>de</strong> l‟acte alimentaire pour<br />
l‟homme. Il ne s‟agit pas que <strong>de</strong> se nourrir pour vivre physiquement, mais aussi pour se<br />
construire <strong>et</strong> appartenir à un groupe, s‟i<strong>de</strong>ntifier en tant qu‟individu propre <strong>et</strong> comme individu<br />
au sein d‟un groupe.<br />
Et lorsque nous parlons <strong>de</strong> manger comme <strong>son</strong> groupe d‟appartenance, sa culture, ou sa<br />
famille, on évoque alors le phénomène <strong>de</strong> transmission, <strong>de</strong> partage <strong>de</strong>s règles. Pour Régnier<br />
(2006) qui cite les travaux <strong>de</strong> Coulon (1998) l‟alimentation est un support <strong>de</strong> l‟i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s<br />
groupes sociaux. Par exemple, <strong>la</strong> cuisine <strong>et</strong> les goûts renvoient à une représentation du groupe<br />
social auquel le mangeur appartient. Le repas <strong>de</strong> famille <strong>et</strong> <strong>la</strong> tradition culinaire, que l‟on<br />
s‟échange <strong>de</strong> <strong>mère</strong> en fille, ou <strong>de</strong> grand-<strong>mère</strong> en p<strong>et</strong>ite-fille, est une bonne illustration <strong>de</strong> ce<br />
rapport entre famille, individu <strong>et</strong> alimentation. Pou<strong>la</strong>in (2002) dit d‟ailleurs que « l‟acte<br />
alimentaire se déroule toujours selon les protocoles imposés par <strong>la</strong> société », <strong>La</strong> société gui<strong>de</strong><br />
le choix <strong>de</strong>s produits, <strong>de</strong> leur préparation, <strong>de</strong> leur association pour en faire <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ts, <strong>de</strong><br />
l‟horaire auquel on mange <strong>et</strong>c. Pour Boutaud (2004) le partage alimentaire s‟organise autour<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> table. Par <strong>son</strong> pouvoir <strong>de</strong> mise en scène <strong>de</strong>s aliments, dans <strong>son</strong> huis clos, <strong>la</strong> table<br />
con<strong>de</strong>nse toute <strong>la</strong> gamme <strong>de</strong>s interactions humaines. Enfin, Fischler (2006, lors du colloque<br />
IFN) ajoute que <strong>la</strong> commensalité, c'est-à-dire le fait, littéralement, <strong>de</strong> partager <strong>la</strong> même table<br />
<strong>et</strong> donc ce qu‟elle porte, selon une perception particulièrement fréquente en France, est facteur<br />
<strong>de</strong> civilisation. Hors d‟elle, on tomberait vite dans une certaine a-socialité sinon une<br />
« sauvagerie ».<br />
Selon <strong>La</strong>hlou (1995) « Apprentissage, alimentation, sociabilité <strong>son</strong>t liées <strong>de</strong> façon étroite<br />
<strong>de</strong>puis <strong>la</strong> nuit <strong>de</strong>s temps, <strong>et</strong> constituent une sorte <strong>de</strong> noyau dur <strong>de</strong>s cultures humaines, <strong>et</strong><br />
probablement <strong>de</strong>s cultures <strong>de</strong>s animaux sociaux en général ». L‟auteur en conclu que c'est <strong>la</strong><br />
rai<strong>son</strong> pour <strong>la</strong>quelle l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'alimentation est multidisciplinaire, faisant référence à <strong>la</strong><br />
biologie, <strong>la</strong> psychologie, l'anthropologie, <strong>la</strong> neurophysiologie <strong>et</strong>c. Ainsi l‟on doit s‟attendre<br />
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