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THÉÂTRE<br />
LA MINOTERIE | LE MERLAN | CAVAILLON<br />
Leur solitude<br />
et nous et nous et nous<br />
Suivre les p<strong>en</strong>sées de quatre inconnus perdus dans<br />
leur anonymat, intégrer fortuitem<strong>en</strong>t un groupe de<br />
spectateurs, flâner dans la fin de journée d’une ville<br />
aux stores baissés, trouver son angle de vue et choisir<br />
sa juste distance… c’est à cette balade sonore et<br />
intime que le Begat Theater nous conviait le 16 juin<br />
© De.M / <strong>Zibeline</strong><br />
Jean-Pierre Melville sur le tournage du Cercle Rouge à Marseille,<br />
TCD - Prod DB © Corona<br />
à Cavaillon. Faire de la rue, à partir de la solitude des<br />
autres, son propre théâtre <strong>en</strong> suivant des objets<br />
repères (un stylo, une orange, une boite d’allumettes<br />
où s’inscrit «vous n’êtes pas seuls») que s’échang<strong>en</strong>t<br />
les acteurs inspirés des personnages de romans<br />
contemporains, impeccables de vérité. Une<br />
expéri<strong>en</strong>ce s<strong>en</strong>sorielle originale et profonde qui trace<br />
sous son allure ludique un chemin m<strong>en</strong>tal<br />
passionnant. Aux p<strong>en</strong>sées des acteurs qui nous sont<br />
diffusées par un casque audio, se superpos<strong>en</strong>t les<br />
nôtres, aux musiques <strong>en</strong>registrées s’imbriqu<strong>en</strong>t les<br />
bruits de la ville, aux chemins qu’ils <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t se<br />
frotte notre libre arbitre. Quatre solitudes qu’on<br />
observe <strong>en</strong> les frôlant, qui s’inv<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t d’impossibles<br />
r<strong>en</strong>contres et coll<strong>en</strong>t des post-it d’espoir, auxquelles<br />
se mêle la nôtre. Et lorsque tous les groupes de<br />
spectateurs se retrouv<strong>en</strong>t aux quatre angles d’une<br />
place publique, face à face, surgit une saisissante<br />
foule s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tale.<br />
DELPHINE MICHELANGELI<br />
Histoires cachées s’est joué le 16 juin dans les rues de<br />
Cavaillon, avec la Scène nationale<br />
L’exemple et la p<strong>en</strong>sée<br />
Dans le cadre de la manifestation En corps urbains,<br />
les artistes et la ville, la Scène nationale du Merlan<br />
a offert du 11 avril au 9 juin «des expéri<strong>en</strong>ces artistiques<br />
de territoire». Tables rondes où géographes,<br />
chercheurs, sociologues crois<strong>en</strong>t leurs regards sur<br />
l’urbanisme. Spectacles autour de projets à forte<br />
dim<strong>en</strong>sion participative où les artistes inscriv<strong>en</strong>t leur<br />
travail dans les quartiers. En ouverture du troisième<br />
volet «Quand la ville se perçoit par le corps», Thierry<br />
Paquot «philosophe de l’urbain» proposait le 24 mai<br />
une ciné-confér<strong>en</strong>ce intitulée : les corps dans la ville,<br />
un cinéma continu. La prestation a comm<strong>en</strong>cé par la<br />
lecture d’un joli texte flâneur, égr<strong>en</strong>é de citations<br />
brillantes, de formules chic et choc, de remarques<br />
étymologiques. Convoquant La passante de Baudelaire,<br />
Balzac, Bachelard, Giacometti, il a poétisé<br />
sur la s<strong>en</strong>sorialité de la ville, sur ses stimulations<br />
quotidi<strong>en</strong>nes qui nous r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t vivants et prés<strong>en</strong>ts<br />
aux autres. Puis, treize extraits de films ont été projetés.<br />
Les perspectives s’annonçai<strong>en</strong>t passionnantes.<br />
Le duel du western relié au mythe des fondations de<br />
villes, le corps désœuvré des jeunes <strong>en</strong> zones<br />
périurbaines chez R<strong>en</strong>é Dumont, <strong>en</strong>tre apathie et<br />
t<strong>en</strong>sion, la bande-annonce de West Side Story écrasant<br />
NY dans une vue aéri<strong>en</strong>ne avant de la<br />
transformer <strong>en</strong> un territoire dont la chorégraphie des<br />
bandes pr<strong>en</strong>d possession, le corps burlesque de<br />
Charlot policeman se jouant de l’ordre urbain, les<br />
corps <strong>en</strong> déambulations parisi<strong>en</strong>nes des héros de la<br />
Nouvelle Vague... Le catalogue aurait pu s’ét<strong>en</strong>dre à<br />
des milliers d’autres films tant ville et septième art<br />
sont liés. Brièvem<strong>en</strong>t comm<strong>en</strong>té ou paraphrasé, chaque<br />
exemple n’a hélas fait que s’ajouter au précéd<strong>en</strong>t<br />
sans fil conducteur autre que thématique pour<br />
aboutir <strong>en</strong> conclusion à un discours général sur la<br />
ville qui nous a éloignés du cinéma. On le sait Thierry<br />
Paquot n’aime pas Le Corbusier et son modulor<br />
considéré comme normatif voire stalini<strong>en</strong>, se dispute<br />
avec Jean Nouvel sur les tours et les asc<strong>en</strong>seurs,<br />
déteste Frank Gehry, son Gugg<strong>en</strong>heim de Bilbao et<br />
ses bancs anti-clochards, fustige la mercantilisation<br />
et l’uniformisation des c<strong>en</strong>tres-villes, désire une<br />
architecture s<strong>en</strong>sible, soucieuse de l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t,<br />
du partage, de la mixité sociale et du rythme des<br />
piétons. On ne peut qu’être d’accord sur la finalité<br />
d’une cité «<strong>en</strong> att<strong>en</strong>te de l’homme», «<strong>en</strong> amitié avec<br />
lui», mais outre que ce discours a déjà été ressassé<br />
à propos d’autres thèmes choisis par le festival<br />
Images de ville où Thierry Paquot intervi<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t,<br />
les grandes réflexions architecturales du XX ème et<br />
XXI ème siècles ne peuv<strong>en</strong>t se réduire à des complots<br />
de malfaisants, hostiles aux citadins. L’idée que les<br />
villes ont perdu leur âme et que c’était mieux «avant»,<br />
le travers moralisant, la facilité de la métaphore sont<br />
décevants chez un p<strong>en</strong>seur de ce niveau.<br />
ÉLISE PADOVANI<br />
En corps urbains, les artistes et la ville<br />
se poursuit jusqu’au 9 juin au Merlan<br />
www.merlan.org<br />
Choeur populaire © Stef Duref<br />
Sous<br />
les pavés...<br />
C’<strong>en</strong> est fait, une page se tourne ! La Minoterie,<br />
devant plier bagages, a organisé une soirée d’adieu<br />
chargée d’émotion. Au cours de la soirée, 80 artistes<br />
de la région ont défilé pour offrir à 300 spectateurs un<br />
spectacle informel fait de clins d’oeil et de bonne<br />
humeur autour de Pierrette Monticelli et Haïm<br />
M<strong>en</strong>ahem, les créateurs du lieu. Des textes avai<strong>en</strong>t<br />
été spécialem<strong>en</strong>t rédigés pour l’occasion, rappelant<br />
l’histoire de la troupe créée <strong>en</strong> 1985 <strong>en</strong> ce lieu<br />
improbable, dans un quartier perdu et peu à peu<br />
conquis. Avec l’ambition t<strong>en</strong>ue de partager des textes<br />
contemporains avec les g<strong>en</strong>s du quartier, les écoles<br />
et les lycées, et de faire se r<strong>en</strong>contrer auteurs et<br />
public. Ambition aussi d’offrir la culture à tous ;<br />
Philippe Séjourné a d’ailleurs rappelé les célèbres<br />
paroles de Malraux : «La culture ne s‘hérite pas, elle se<br />
conquiert.» Ne doutons pas que cet esprit de<br />
conquête se perpétuera dans le nouveau lieu <strong>en</strong><br />
construction. En att<strong>en</strong>dant l’équipe va déménager<br />
dans des locaux à Bougainville qui ne sont pas <strong>en</strong>core<br />
<strong>en</strong> état de l’accueillir... Néammoins <strong>en</strong> cette soirée<br />
c’est l’optimisme qui a régné. Il faut saluer la<br />
prestation de Frédéric Poinceau qui a déliré un long<br />
mom<strong>en</strong>t sur ses <strong>en</strong>vies d’un vrai texte, avec un vrai<br />
costume (pas acheté dans une friperie) cousu par une<br />
vraie costumière, agrém<strong>en</strong>té d’un vrai salaire. Et aussi<br />
la participation des <strong>en</strong>fants M<strong>en</strong>ahem qui, tombés<br />
dans le théâtre quand ils étai<strong>en</strong>t petits, n’<strong>en</strong> sont<br />
jamais sortis ! Le tout agrém<strong>en</strong>té d’un buffet convivial<br />
et d’échanges cordiaux.<br />
CHRIS BOURGUE<br />
Cette soirée d’adieu s’est déroulée le 19 mai<br />
Rappelons que 1040 pavés seront bi<strong>en</strong>tôt <strong>en</strong> v<strong>en</strong>te<br />
au prix de 5 euros chacun (réservation sur le site<br />
www.minoterie.org)<br />
Les Mouchoirs © Stef Duref