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DANSE<br />
FESTIVAL DE MARSEILLE | LE KLAP<br />
Premiers émois à Marseille<br />
Le Festival de Marseille est un drôle d’événem<strong>en</strong>t !<br />
Tout le milieu culturel marseillais, artistes, politiques,<br />
administrateurs, communicants, journalistes… s’y<br />
presse à chaque spectacle comme à un r<strong>en</strong>dez-vous<br />
att<strong>en</strong>du et exceptionnel. Les att<strong>en</strong>tes expliquant<br />
l’ampleur des déceptions et des ravissem<strong>en</strong>ts<br />
somme toute souv<strong>en</strong>t, les uns comme les autres,<br />
disproportionnés.<br />
Tezuka de Sidi Larbi Cherkaoui est un spectacle<br />
réussi ! Le chorégraphe a <strong>en</strong>fin disposé de moy<strong>en</strong>s<br />
vraim<strong>en</strong>t importants, et a su s’<strong>en</strong> servir intelligemm<strong>en</strong>t<br />
pour construire son propos rêvé : des danseurs<br />
parfois émouvants, toujours excell<strong>en</strong>ts ; des<br />
musici<strong>en</strong>s japonais aux sons et voix qui dépays<strong>en</strong>t,<br />
plong<strong>en</strong>t immédiatem<strong>en</strong>t dans le propos ; de belles<br />
animations vidéos qui établiss<strong>en</strong>t un décor dessiné<br />
où les corps jou<strong>en</strong>t comme des <strong>en</strong>fants sur un<br />
manège… sans effet high tech, avec un côté artisanal<br />
délicieux, cinématographique, calligraphique parfois,<br />
qui touche à l’âme anci<strong>en</strong>ne et éternelle du Japon.<br />
Les superpositions récurr<strong>en</strong>tes de danse, musique,<br />
mots et images cach<strong>en</strong>t parfois le simplisme de chacun<br />
des langages, mais le propos même bouleverse :<br />
les mangas historiques d’Osamu Tezuka, son<br />
astroboy postnucléaire hante la mémoire japonaise,<br />
aujourd’hui redev<strong>en</strong>ue tragique, que l’on s<strong>en</strong>t parfois<br />
affleurer dans le verbe de Sidi Larbi Cherkaoui, et<br />
dans les images qui fond<strong>en</strong>t et s’effac<strong>en</strong>t comme<br />
soumises à une chaleur surnaturelle. Une belle œuvre<br />
malgré ses longueurs, dans un Silo décidém<strong>en</strong>t peu<br />
adapté à la danse dès lors qu’on s’éloigne des tout<br />
premiers rangs…<br />
À Vallier le rapport salle/plateau est nettem<strong>en</strong>t<br />
meilleur, et Standards de Pierre Rigal y est apparu<br />
dans toute sa force. Ses huit danseurs ont des corps<br />
pour dire, révoltés et noueux, athlétiques et souples.<br />
Des longueurs là <strong>en</strong>core ? sans doute. Un manque de<br />
clarté du propos ? parfois. Mais des corps de femmes<br />
et d’hommes, de noirs et de blancs, qui dans<strong>en</strong>t<br />
à égalité les mêmes phrases, fustigeant les clichés<br />
sur les corps normés, leur mode et leur commerce,<br />
regardant frontalem<strong>en</strong>t le public <strong>en</strong> refusant de<br />
minauder, d’esthétiser, et dansant comme on combat,<br />
poings serrés, démontant le décor comme on<br />
détruit des chaînes. Bref Pierre Rigal, <strong>en</strong> gagnant<br />
du galon, n’a pas perdu sa force !<br />
Aussi, deux installations très rafraichissantes, à vous<br />
coller pour un mom<strong>en</strong>t un grand sourire : à Vallier<br />
Autog<strong>en</strong>e ouvre <strong>en</strong> rond des parapluies qui dans<strong>en</strong>t<br />
sans G<strong>en</strong>e Kelly, mais sur la musique de Chantons<br />
sous la pluie ; à L’Alcazar Sol<strong>en</strong>oid fait danser des<br />
Tezuka © Agnès Mellon<br />
chaussures, toujours <strong>en</strong> rond, autour de bras<br />
mécaniques. Deux œuvres drôles et légères de Peter<br />
William Hold<strong>en</strong>. Moins léger, Tôt ou tard de<br />
Richard Bacquier, Jean Marc Montera et Emmanuel<br />
Loi repr<strong>en</strong>d et comm<strong>en</strong>te la performance de<br />
trois comédi<strong>en</strong>s <strong>en</strong>fermés qui s’invectiv<strong>en</strong>t. Mémoires,<br />
reflets et cages empilés <strong>en</strong> échos, gloses et<br />
extraits, prés<strong>en</strong>ces et abs<strong>en</strong>ces, l’installation peuplée<br />
de fantômes est à voir à la CCIMP. Jusqu’à la fin du<br />
Festival le 6 juillet (voir p 50).<br />
AGNÈS FRESCHEL<br />
Thomas, s’il te plaît...<br />
C’est à une petite fête de famille, à la<br />
fois baptême et anniversaire, que nous<br />
étions conviés par Michel Kelem<strong>en</strong>is<br />
et son équipe <strong>en</strong> ce 28 mai : l’emblématique<br />
Après-midi d’un faune créé par<br />
Vaslav Fomitch Nijinski avait 100<br />
ans et la Maison pour la Danse inaugurait<br />
un grand studio au nom du mythique<br />
danseur-chorégraphe. Occasion rêvée<br />
pour proposer un programme autour<br />
de la transmission et une méditation<br />
stimulante sur le temps qui passe...<br />
L’accueil se fait t<strong>en</strong>drem<strong>en</strong>t rétro («I<br />
love you so») au milieu de la «leçon» du<br />
maître à l’élève, Thomas Birzan, jeune<br />
danseur de la Cie Gr<strong>en</strong>ade qui répète<br />
dans la grande salle quelques pass<br />
ages de Faune Fomitch, solo écrit et<br />
interprété par Michel Kelem<strong>en</strong>is <strong>en</strong><br />
1989 ; travail et sévérité pour de rire<br />
«att<strong>en</strong>tion! plus net plus net pas de sala<br />
de frisée !». Puis l’adolesc<strong>en</strong>t interprète<br />
seul et pour de vrai une Variation de la<br />
même chorégraphie avec un <strong>en</strong>gage<br />
m<strong>en</strong>t intellig<strong>en</strong>t, à bonne distance du<br />
modèle, énergique, trapu faune musclé<br />
et malicieux qui tire la musique de De<br />
Thomas Birzan © Agnès Mellon<br />
bussy vers des émois bi<strong>en</strong> terrestres.<br />
Enfin pour brouiller les temporalités et<br />
éclaircir les filiations le film de Charles<br />
Picq, captation d’une représ<strong>en</strong>tation<br />
intégrale du Faune de 1989, offre l’occasion<br />
au Kelem<strong>en</strong>is de 2012 d’abord<br />
de se retrouver face à lui-même, souriant<br />
de son incapacité à r<strong>en</strong>trer dans<br />
son justaucorps de l’époque, et aussi<br />
d’accompagner p<strong>en</strong>dant quelques<br />
minutes, <strong>en</strong> léger décalé, son image<br />
dansante : gestes plus amples et plus<br />
arrondis, mains et pouces moins incisifs,<br />
sobriété des affects, et cette fluidité<br />
qui reste la marque de fabrique du<br />
danseur ; lorsque le faune assis jambes<br />
croisées se pince les pouces des pieds<br />
pour se hisser <strong>en</strong> position debout, la<br />
jeunesse éternelle a le dernier mot.<br />
Expéri<strong>en</strong>ce émouvante, n‘est-ce pas<br />
Thomas ?<br />
MARIE JO DHO<br />
Faune Fomitch / Variation a été donné<br />
au KLAP Maison pour la Danse le<br />
28 mai