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DOSSIER Les - Gouvernement du Québec

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<strong>DOSSIER</strong><br />

quels types précis de problèmes il<br />

avait sans doute permis de répondre<br />

dans l’histoire. J’ai suivi et réussi<br />

d’autres cours de mathématiques<br />

par la suite, mais l’âme n’y était plus.<br />

Qu’est-ce qui distingue profondément<br />

ces deux enseignants? La culture?<br />

Non, car ils maîtrisaient tous<br />

les deux leur objet culturel respectif :<br />

le premier, la poésie; le second, les<br />

mathématiques. Si ce n’est pas la<br />

culture qui les différencie, alors<br />

qu’est-ce que cela peut être? Je<br />

risque une réponse : le rapport au<br />

savoir. Le premier a réussi à créer<br />

un rapport positif au savoir qui m’a<br />

mis en mouvement en tant qu’élève<br />

et donné le goût des lettres. Le second<br />

a pro<strong>du</strong>it un rapport négatif<br />

au savoir mathématique qui m’a<br />

con<strong>du</strong>it, en cette fin de mon adolescence,<br />

à ne plus rien vouloir savoir<br />

de cette discipline et à m’en exclure<br />

moi-même. Examinons le tout de<br />

plus près en méditant sur le sens<br />

que nous pouvons donner au concept<br />

de culture.<br />

LA CULTURE COMME OBJET<br />

ET COMME RAPPORT<br />

Il est possible d’abord de définir la<br />

culture en tant qu’« objet ». Fernand<br />

Dumont fournit un éclairage pertinent<br />

pour établir une première distinction<br />

par les concepts de culture<br />

première et de culture seconde. En<br />

effet, pour lui, la culture première<br />

renvoie à l’ensemble des caractéristiques<br />

<strong>du</strong> mode de vie d’une société<br />

ou d’une communauté d’acteurs, au<br />

réseau de significations familières<br />

dans lequel ils sont enracinés et<br />

qu’ils partagent au quotidien. En ce<br />

sens, la culture première est intériorisée<br />

au jour le jour par imprégnation,<br />

par osmose, comme si elle<br />

était un donné de la conscience.<br />

C’est ainsi que nous sommes tous<br />

des héritiers d’une culture première<br />

parce que nous avons appris, dès<br />

notre plus jeune âge et presque à<br />

notre insu, une langue, des con<strong>du</strong>ites<br />

sociales, des habitudes de vie, etc.<br />

La culture peut aussi être comprise<br />

autrement, c’est-à-dire comme une<br />

distanciation, comme un arrachement<br />

à la culture première. Ce<br />

deuxième sens fait référence à la<br />

culture seconde, c’est-à-dire à<br />

l’ensemble des œuvres pro<strong>du</strong>ites<br />

par l’humanité pour se comprendre<br />

elle-même. <strong>Les</strong> disciplines scientifiques,<br />

littéraires et artistiques, par<br />

exemple, sont autant de manières<br />

de s’arracher à sa culture première<br />

d’origine pour mieux saisir les significations<br />

<strong>du</strong> monde.<br />

En tant qu’institution vouée à la<br />

compréhension <strong>du</strong> monde, l’école<br />

est pour ainsi dire un cercle de<br />

culture seconde. Elle sélectionne,<br />

parmi les éléments de cette culture,<br />

ceux qui paraissent essentiels à la<br />

formation d’un être cultivé. Ainsi,<br />

on pourrait concevoir les programmes<br />

scolaires comme l’ensemble<br />

des éléments de culture seconde<br />

qu’une société choisit à un moment<br />

donné de son histoire pour former<br />

des êtres cultivés. <strong>Les</strong> États généraux<br />

sur l’é<strong>du</strong>cation, menés au cours des<br />

années 1995 et 1996, ont été l’occasion<br />

de débattre dans la société<br />

de ce qui devait faire partie de la<br />

culture seconde de l’école québécoise.<br />

À cet égard, par L’énoncé de<br />

politique é<strong>du</strong>cative (1997b), qui a<br />

conclu ce processus de consultation<br />

populaire, on a statué sur la<br />

nécessité d’enrichir les programmes<br />

des écoles et d’en rehausser<br />

ainsi la dimension culturelle.<br />

Mais se limiter à n’augmenter que<br />

la quantité des objets culturels à<br />

l’école aurait été, sans aucun doute,<br />

nettement insuffisant. On le com-<br />

prend aisément par l’exemple <strong>du</strong><br />

professeur de mathématiques cité<br />

plus haut. C’est pourquoi il est mentionné<br />

dans ce document qu’on<br />

devrait également favoriser une<br />

approche culturelle de l’enseignement<br />

(1997b, p. 13). Cette dernière<br />

recommandation touche les enseignants<br />

de manière complexe et profonde<br />

par rapport au rôle qu’ils<br />

auront à jouer et, par ricochet, leurs<br />

formateurs dans les programmes de<br />

formation initiale ou continue. Que<br />

peut donc signifier « une approche<br />

culturelle de l’enseignement »?<br />

Quelles en sont les conséquences<br />

pour les formateurs des maîtres?<br />

Pour tenter de répondre à cette<br />

question, il convient d’examiner<br />

au préalable un certain nombre<br />

d’éléments.<br />

Pour Charlot (1997), au-delà de sa<br />

constitution comme objet, la culture<br />

est aussi la construction d’un<br />

triple rapport : rapport au monde,<br />

à soi, aux autres. Par sa culture<br />

première, chaque enfant est déjà<br />

héritier <strong>du</strong> monde et porteur d’une<br />

constellation de significations. C’est<br />

ainsi qu’il intériorise à son insu des<br />

représentations de classes, des stéréotypes,<br />

des goûts, des normes de<br />

con<strong>du</strong>ite, etc. (rapport au monde).<br />

Ces représentations ont également<br />

un effet structurant sur son identité<br />

personnelle (rapport à soi). En ce<br />

sens, Paulo Freire, un é<strong>du</strong>cateur<br />

brésilien, a bien décrit l’intériorisation<br />

<strong>du</strong> statut de dominé chez le<br />

paysan qui croit être « né pour un<br />

petit pain ». Ce faisant, ce dernier<br />

accepte sa situation d’oppression<br />

comme si elle était naturelle et normale<br />

chez ceux de sa condition<br />

sociale (rapport à autrui).<br />

Dans mon exemple <strong>du</strong> départ, la<br />

poésie était, selon ma culture première,<br />

l’affaire des efféminés. L’enseignant<br />

de mon adolescence a<br />

réussi à modifier ce rapport au<br />

monde que j’avais et, partant, à<br />

transformer mon identité (j’étais un<br />

amant de la poésie et non un<br />

efféminé) qui, à son tour, a changé<br />

mon rapport à autrui (pouvoir parler<br />

de la poésie avec les copains,<br />

qu’ils soient considérés comme<br />

efféminés ou non). Ce professeur<br />

n’a pas ré<strong>du</strong>it son enseignement à<br />

ma culture première, mais il a su<br />

tisser à sa manière un lien entre<br />

mon monde et le sien.<br />

LA TÂCHE CULTURELLE<br />

DE L’ENSEIGNANT<br />

Si l’école peut être considérée<br />

comme un cercle de culture seconde,<br />

c’est qu’elle a précisément<br />

pour fonction de transformer ce<br />

rapport au monde, à soi et à autrui<br />

dont a hérité l’enfant et dont il est<br />

porteur par sa culture première,<br />

afin de le faire accéder à la culture<br />

seconde. Or, dans notre société<br />

contemporaine, la culture première<br />

de l’enfant n’est plus homogène<br />

comme autrefois, mais bien fortement<br />

éclatée. Le défi de l’enseignant<br />

est d’autant plus difficile à relever<br />

qu’il doit tenter de transformer ce<br />

rapport chez chacun de ses élèves.<br />

En tant qu’a<strong>du</strong>lte scolarisé, l’enseignant<br />

s’est progressivement détaché<br />

de sa culture première pour accéder<br />

à la culture seconde. En ce<br />

sens, il est doublement héritier :<br />

d’une culture première qui l’a façonné<br />

depuis sa tendre enfance et d’une<br />

culture seconde qu’il a acquise par<br />

la suite. Par ailleurs, au cours de sa<br />

formation, il a aussi peu à peu modifié<br />

son rapport au monde, à luimême<br />

et à autrui. La posture qu’il a<br />

acquise au fil <strong>du</strong> temps et de ses<br />

études peut finalement être fort<br />

éloignée de celle de chacun des<br />

élèves qui lui sont confiés. Sa tâche<br />

consistera donc à entrer en relation<br />

avec eux pour qu’ils établissent<br />

un nouveau rapport au monde, à<br />

eux-mêmes et à autrui et deviennent<br />

des êtres cultivés. L’apprentissage<br />

deviendra significatif pour les élèves<br />

quand l’enseignant réussira à tisser<br />

des liens avec leur contexte, leurs<br />

préoccupations et leurs repères afin<br />

de les faire accéder à d’autres rivages.<br />

C’est pourquoi, même si ce<br />

n’est pas la fonction de l’école d’enseigner<br />

la culture première, elle peut<br />

néanmoins partir de celle des élèves<br />

VIE 24 Vie pédagogique 118, février-mars<br />

2001<br />

Photo : Denis Garon

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