22.11.2014 Views

DOSSIER Les - Gouvernement du Québec

DOSSIER Les - Gouvernement du Québec

DOSSIER Les - Gouvernement du Québec

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

êtres humains. Notre idée, c’est que<br />

« objet humain » rejaillit sur tous<br />

les autres aspects de leur travail.<br />

V. P. – Est-ce que ça rejoint<br />

l’idée de ce qu’on appelle<br />

ailleurs les « helping professions<br />

»?<br />

M. T. et C. L. – Oui, tout à fait,<br />

ou des « service professions » ou<br />

encore des « service organisations<br />

», c’est-à-dire des gens qui<br />

accomplissent, même s’ils sont en<br />

bas de la pyramide <strong>du</strong> pouvoir au<br />

sein de l’organisation, la mission<br />

essentielle, la mission pleine de<br />

l’organisation, qui est celle de<br />

transformer des gens, d’en faire des<br />

apprenants.<br />

V. P. – Vous dites que ça n’a<br />

pas de rapport avec le travail<br />

in<strong>du</strong>striel dont les résultats<br />

sont immédiats et même qu’il<br />

y a peu de rapport avec les modèles<br />

dominants aujourd’hui :<br />

technologie, communication,<br />

pro<strong>du</strong>ction de connaissances.<br />

Pouvez-vous expliciter cela?<br />

M. T. et C. L. – D’une certaine<br />

manière, enseigner est un des plus<br />

vieux métiers <strong>du</strong> monde. C’est<br />

un métier qui procède beaucoup<br />

par persuasion, par sé<strong>du</strong>ction, par<br />

pouvoir, par exercice d’un pouvoir.<br />

En ce sens-là, ce n’est pas comme<br />

fabriquer une voiture, parce qu’on<br />

est constamment en train de convaincre<br />

quelqu’un que ce qu’on fait,<br />

c’est pour son bien et qu’on veut<br />

même qu’il y participe pleinement,<br />

qu’il assume pleinement sa part<br />

Photo : Denis Garon<br />

de responsabilité dans le travail.<br />

Toutes les pédagogies contemporaines,<br />

toutes les pédagogies nouvelles<br />

cherchent à responsabiliser<br />

l’élève par rapport à ses apprentissages,<br />

mais ça, c’est une transformation<br />

majeure de l’élève qui a<br />

naturellement – <strong>du</strong> moins dans certains<br />

milieux – tendance à résister<br />

au « bien » qu’on veut lui faire.<br />

Lorsqu’on fabrique un pro<strong>du</strong>it technologique,<br />

on n’a pas à lui demander<br />

ce qu’il en pense. Si on fait face<br />

à une résistance, c’est à celle <strong>du</strong><br />

matériau, ce n’est pas à celle d’un<br />

sujet qui est en train d’éclore. Dans<br />

l’enseignement, on a affaire à un<br />

sujet qui est en train d’éclore et<br />

dont on veut soutenir l’émergence<br />

et le développement. Ce n’est pas la<br />

même chose qu’un métier de communication<br />

où on transmet simplement<br />

de l’information. Le travail ne<br />

finit pas lorsqu’on a transmis un<br />

savoir. Et puis savoir structuré et<br />

transmis par l’école et information<br />

véhiculée par les médias sont deux<br />

choses dont on ne souligne pas<br />

assez la différence. Enseigner n’est<br />

pas non plus un travail de pro<strong>du</strong>ction<br />

de connaissances. Même si on<br />

peut dire que les enseignants pro<strong>du</strong>isent<br />

<strong>du</strong> savoir, enfin, notamment<br />

<strong>du</strong> savoir pédagogique ou didactique,<br />

l’objet de l’enseignement n’est<br />

pas de pro<strong>du</strong>ire un savoir nouveau.<br />

C’est plutôt de faciliter l’apprentissage<br />

de quelqu’un dans un contexte<br />

particulier, à la fois lui transmettre<br />

et lui faire apprendre des savoirs,<br />

mais aussi la valeur de cela. Enseigner,<br />

au sens le plus banal <strong>du</strong> terme,<br />

c’est entrer dans une classe et établir<br />

des interactions humaines avec<br />

un groupe d’élèves : les regarder,<br />

leur parler, se faire comprendre<br />

d’eux, essayer de comprendre ce<br />

qu’ils sont à cette étape de leur apprentissage,<br />

travailler avec eux, les<br />

écouter, les orienter, les encadrer,<br />

etc.<br />

V. P. – Vous dites qu’il y a une<br />

coloration affective dans le<br />

travail de l’enseignant et<br />

aussi une ambivalence entre<br />

aider au maximum et contrôler<br />

à un moment donné, faire<br />

échouer même. L’élément <strong>du</strong><br />

contrôle, est-ce que c’est ce<br />

que l’enseignant fait avec<br />

réticence, pour ne pas dire<br />

avec une certaine répugnance,<br />

comme malgré lui?<br />

M. T. et C. L. – Ça dépend des<br />

enseignants. Nous ne prétendons<br />

pas que tous les enseignants prennent<br />

un certain plaisir à exercer<br />

une contrainte ou un pouvoir sur<br />

des enfants, y compris un pouvoir<br />

négatif. Nous ne disons pas qu’ils le<br />

font tout le temps ou que tous les<br />

enseignants sont comme ça. Mais,<br />

ainsi que le souligne Perrenoud,<br />

parmi les non-dits de ce métier, il y<br />

a certainement celui portant sur<br />

l’exercice d’une certaine contrainte,<br />

d’une certaine sanction négative,<br />

bref d’un pouvoir.<br />

V. P. – Vous êtes proches de<br />

l’analyse pédagogique un peu,<br />

sur ces terrains-là…<br />

M. T. et C. L. – Oui. Revenons à la<br />

question de base : oui, il y a une<br />

dimension proprement affective<br />

dans l’enseignement, d’ailleurs<br />

peut-être plus au Québec que dans<br />

d’autres sociétés. On n’a pas fait<br />

d’analyse comparative, mais nous<br />

en sommes toujours étonnés. L’un<br />

d’entre nous était dans une école,<br />

il n’y a pas longtemps, où séjournaient<br />

des stagiaires belges. On leur<br />

a dit à cette école : la première<br />

chose qu’il faut que vous fassiez,<br />

avant de penser à transmettre des<br />

contenus ou à développer des compétences,<br />

c’est établir un rapport<br />

affectif avec les enfants. <strong>Les</strong> stagiaires<br />

belges étaient étonnés parce<br />

que, d’entrée de jeu, en Belgique ou<br />

dans une tradition européenne, la<br />

première chose à faire n’est pas<br />

d’établir un rapport affectif, c’est<br />

d’établir des règles, de se faire<br />

respecter, notamment sur le plan de<br />

sa compétence proprement pédagogique<br />

ou didactique. Le rapport<br />

affectif, il émergera, pudiquement<br />

dirions-nous, au fur et à mesure<br />

que la relation pédagogique se<br />

déroulera. Peut-être sommes-nous<br />

nord-américains sous cet aspect –<br />

et ce serait intéressant de regarder<br />

cela d’un point de vue comparatif –<br />

mais, dans notre culture et notamment<br />

au primaire, ici, le rapport<br />

affectif est extrêmement important.<br />

Qu’on appelle cela un « emotional<br />

labor » ou un travail affectif, ou<br />

qu’on dise que la ressource première<br />

qu’utilise l’enseignant, sa<br />

technologie, c’est lui-même comme<br />

personne, ça nous paraît typique<br />

de ce métier. Certainement, nos<br />

données confirment cela et nous<br />

croyons qu’il y a quelque chose de<br />

propre au Québec et à l’Amérique<br />

<strong>du</strong> Nord à cet égard.<br />

V. P. – Il y a une autre grande<br />

question qui, sans doute,<br />

vous a touchés à un moment<br />

donné, c’est la perception<br />

de dévalorisation des enseignants,<br />

une sorte de mésestime<br />

sociale. Comment se<br />

positionne le travail enseignant<br />

au Québec, d’après vos<br />

enquêtes? Est-ce que c’est une<br />

pure utopie de penser qu’ils<br />

devraient ou pourraient être<br />

plus valorisés socialement?<br />

M. T. et C. L. – Dans notre livre<br />

précédent, La Profession enseignante,<br />

nous avons beaucoup discuté<br />

de cette question. Dans cet<br />

ouvrage-ci, nous ne l’abordons pas<br />

directement, plutôt indirectement<br />

dans la troisième partie, qui porte<br />

sur le travail collectif et les rapports<br />

entre les enseignants et les parents,<br />

les directions d’école, les commissaires<br />

d’école, le Ministère et la<br />

société en général. Nous croyons<br />

que le statut des enseignants est<br />

certainement lié à une conjoncture<br />

défavorable : depuis une quinzaine<br />

d’années, les enseignants se sentent<br />

l’objet de critiques fréquentes et<br />

virulentes, et mal aimés. Cela est un<br />

fait et c’est plus fort aujourd’hui ou<br />

davantage ressenti qu’à l’époque <strong>du</strong><br />

rapport Parent et des années 60.<br />

Par contre, il faudrait nuancer. Plus<br />

on se rapproche de l’école, plus on<br />

se rapproche des parents, notamment<br />

des parents qui sont en relation<br />

avec les enseignants, moins le<br />

rapport avec l’environnement de<br />

l’école est vécu sur le mode négatif.<br />

Nous croyons que les enseignants<br />

en ont contre les faiseurs d’opinion,<br />

contre les médias. Cela, c’est clair.<br />

Ils se souviennent aussi très bien<br />

de la campagne de dénigrement<br />

dont ils ont été victimes au début<br />

des années 80.<br />

V. P. – Ils ont servi de boucs<br />

émissaires?<br />

M. T. et C. L. – Ils ont le sentiment<br />

d’avoir servi de boucs émissaires.<br />

Ils s’en rappellent, ils n’ont pas<br />

oublié cela. Mais sur le terrain quotidien,<br />

des relations à l’intérieur<br />

d’un milieu donné, nous ne croyons<br />

pas que ce soit vécu sur le mode de<br />

la honte et de la catastrophe. Il faut<br />

faire cette nuance. C’est le rapport<br />

symbolique à la société et à l’État<br />

qui est vécu sur un mode difficile et<br />

VIE 6 Vie pédagogique 118, février-mars<br />

2001

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!