DOSSIER Les - Gouvernement du Québec
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Vie pédagogique 118, février-mars<br />
2001<br />
outils et techniques<br />
POUR COMPOSER DES QUESTIONNAIRES DE COMPRÉHENSION QUI FAVORISENT<br />
L’AUTONOMIE DU LECTEUR<br />
par Jean-Louis Dumortier<br />
outils et<br />
techniques<br />
INTRODUCTION<br />
Il est difficile, pour un professeur<br />
de français débutant, de<br />
concevoir de bons questionnaires<br />
de compréhension en lecture.<br />
Durant ses années de formation initiale,<br />
il a généralement eu plus<br />
d’occasions de développer ses propres<br />
compétences de lecteur que<br />
d’occasions d’apprendre à guider,<br />
à étayer l’apprentissage d’autrui en<br />
matière de savoir-lire. Or, ce sera<br />
pourtant là une de ses principales<br />
tâches professionnelles, sinon la<br />
plus importante de toutes.<br />
<strong>Les</strong> questionnaires de compréhension<br />
en lecture ne constituent qu’un<br />
moyen parmi d’autres d’étayer l’apprentissage<br />
<strong>du</strong> savoir-lire : on peut<br />
en effet avoir recours à des dispositifs<br />
pédagogiques de toute nature.<br />
Je songe en particulier à l’écritureimitation<br />
1 ou au journal de lecture 2 ,<br />
qui harmonisent compétences lecturales<br />
et scripturales. Le questionnaire,<br />
oral (le plus souvent) ou écrit,<br />
est néanmoins un moyen très<br />
fréquemment utilisé. Mais est-il toujours<br />
bien conçu comme un instrument<br />
d’apprentissage? N’arrive-t-il<br />
pas très souvent que les professeurs<br />
de français posent des questions de<br />
compréhension en lecture dont ils<br />
seraient bien en peine de préciser<br />
le rapport avec le développement<br />
des compétences de lecture?<br />
Il y a lieu de se demander, chaque<br />
fois que l’on établit un questionnaire,<br />
si, en y répondant, l’apprenti<br />
lecteur a quelque chance que ce<br />
soit de progresser et de « s’autonomiser<br />
». L’« autonomisation » de<br />
l’élève au cours de la formation (en<br />
lecture) est un objectif à ne pas<br />
perdre de vue. D’abord, parce qu’il<br />
devra, au moment de l’évaluation<br />
sommative 3 (à éventuelle fonction<br />
certificative 4 ), accomplir tout seul<br />
une tâche-problème de lecture.<br />
Ensuite, parce qu’il devra, hors de<br />
l’école, faire face sans aide à des<br />
situations-problèmes qui exigeront<br />
d’avoir des compétences lecturales.<br />
Pour m’en tenir ici aux plus remarquables<br />
défauts des questionnaires<br />
élaborés par les professeurs débutants,<br />
je dirai que l’on y trouve trop<br />
– beaucoup trop – de questions<br />
non subordonnées à des objectifs<br />
d’apprentissage spécifiques. Je<br />
désigne ainsi des objectifs qui<br />
allient des connaissances procé<strong>du</strong>rales<br />
(je sais comment faire pour…)<br />
et des connaissances déclaratives<br />
(je sais que…) relatives à une catégorie<br />
– une espèce – de texte déterminée.<br />
Je dirai que, corollairement,<br />
ces questions portent trop sur les<br />
particularités <strong>du</strong> texte considéré,<br />
ou, si l’on préfère, qu’elles ne portent<br />
pas assez sur ses spécificités. Il<br />
s’ensuit que, se trouvant, de questionnement<br />
sur le particulier en<br />
questionnement sur le particulier,<br />
dans l’impossibilité de prévoir les<br />
questions et d’exploiter ses acquis<br />
pour y répondre, l’élève n’a guère<br />
le sentiment de progresser. J’ajouterai<br />
qu’elles relèvent fréquemment,<br />
ces questions, <strong>du</strong> même mode de<br />
questionnement : un questionnement<br />
oral, dont le professeur<br />
prend seul l’initiative et est l’unique<br />
évaluateur. Et, pour finir, je dirai<br />
que, souvent, elles s’apparentent à<br />
la devinette. Par là, il convient<br />
d’entendre que l’élève doit, pour<br />
répondre correctement, deviner la<br />
réponse atten<strong>du</strong>e par le professeur.<br />
À titre d’exemple, un candidat à<br />
l’agrégation (en Communauté française<br />
de Belgique, certificat d’aptitude<br />
à l’enseignement secondaire<br />
supérieur), qui interroge un élève<br />
sur la compréhension d’un récit de<br />
Maupassant (Le parapluie), pose<br />
les questions et attend les réponses<br />
suivantes, notées dans sa préparation<br />
:<br />
Q. « En combien de parties ce texte<br />
peut-il être divisé? »<br />
R. « Ce texte se divise (sic) en deux<br />
parties très distinctes : 1. Dommages<br />
causés au parapluie;<br />
2. Réparations des dommages. »<br />
Q. « Que fait apparaître ce récit? »<br />
R. « Le récit fait apparaître l’existence<br />
routinière et médiocre d’un<br />
ménage de petits-bourgeois, leurs<br />
préoccupations terre à terre,<br />
sinon sordides, leur vanité mesquine.<br />
»<br />
Je ne conteste pas ici que pareilles<br />
réponses puissent être apportées à<br />
de semblables questions; je soutiens<br />
seulement que les élèves ont<br />
peu de chance de deviner ce qu’attend<br />
le professeur et, corollairement,<br />
qu’ils pourraient, étant donné<br />
la formulation des questions, fournir<br />
bien d’autres réponses. Ainsi, ils<br />
pourraient dire que le texte peut<br />
être divisé en cinq parties (situation<br />
initiale, perturbation, etc.), puisqu’il<br />
s’agit d’un récit. Ou encore que<br />
le récit fait apparaître que l’auteurnarrateur<br />
se distancie des personnages,<br />
qu’il ne cherche pas à comprendre,<br />
à expliquer, à justifier leur<br />
con<strong>du</strong>ite, mais qu’il les juge en<br />
fonction de valeurs et de normes de<br />
comportement qu’il propose au<br />
lecteur de partager. Je ne donne pas<br />
à entendre que ces réponses sont<br />
meilleures que les précédentes; j’affirme<br />
simplement qu’elles sont possibles<br />
vu les questions posées.<br />
LA COMPRÉHENSION<br />
ÀLALECTURE<br />
Il n’est sans doute pas inutile de<br />
préciser tout d’abord que, si l’on<br />
questionne les élèves pour accroître<br />
leur savoir-lire, il convient que<br />
ceux-ci... lisent le texte sur lequel<br />
portent les questions. Qu’ils le<br />
lisent, non qu’ils écoutent un texte<br />
que quelqu’un lit. L’écoute d’un<br />
texte peut avoir des avantages, je ne<br />
le conteste pas. Elle peut s’avérer,<br />
dans certaines circonstances, une<br />
indispensable voie d’accès au texte,<br />
je ne le conteste pas non plus. Elle<br />
ne permet pas moins que la lecture<br />
d’interroger sur la compréhension<br />
(tout court), j’en conviens également.<br />
Mais le point est que, lorsqu’on<br />
répond à des questions portant<br />
sur un texte écouté (même si<br />
l’écoute se double d’un travail des<br />
yeux), on ne manifeste pas la compréhension<br />
à la lecture.<br />
Qu’est-ce que comprendre un texte?<br />
En simplifiant (vraiment) beaucoup<br />
5 , on peut considérer qu’il<br />
existe deux compréhensions, non<br />
pas exclusives, non pas successives,<br />
mais simultanées et d’intensité<br />
variable.<br />
LA COMPRÉHENSION 1<br />
Elle consiste en la construction<br />
d’une représentation mentale à partir<br />
<strong>du</strong> signifiant graphique. Mon œil<br />
perçoit des traces sur un support.<br />
Stimulé par cette perception visuelle<br />
dans une situation de communication<br />
donnée (dont les caractéristiques<br />
ont — ou tout au moins peuvent<br />
avoir — une influence énorme<br />
sur mes opérations mentales), mon<br />
cerveau reconnaît, dans ces traces,<br />
des signes linguistiques, des mots,<br />
et, sous réserve d’une attitude positive<br />
(intérêt), il mobilise les connaissances<br />
nécessaires pour les traiter.<br />
S’éveillent, entre autres, dans ma<br />
mémoire ou, plus exactement, passent<br />
de ma mémoire à long terme à<br />
ma mémoire de travail des réseaux<br />
de connaissances : connaissances<br />
linguistiques, connaissances relatives<br />
à l’espèce d’écrit, connaissances<br />
ayant trait au sujet traité,<br />
connaissances relatives aux circonstances<br />
d’énonciation, etc. Au fil de<br />
ma progression, s’élabore dans<br />
mon esprit une représentation mentale<br />
: le monde <strong>du</strong> texte.<br />
LA COMPRÉHENSION 2<br />
La compréhension 2, que je propose<br />
d’écrire com-préhension, peut<br />
s’identifier à une double réaction,<br />
PÉDAGOGIQUE 51